Imaginez une ville où l’eau potable a disparu, où les enfants meurent de faim et où les bombardements rythment le quotidien. Bienvenue à El-Facher, une cité assiégée au cœur du Darfour, où une crise humanitaire d’une ampleur terrifiante se déroule sous le regard impuissant du monde. Depuis mai 2024, cette capitale régionale est devenue le théâtre d’une offensive sans précédent menée par les Forces de soutien rapide (FSR), une milice en guerre contre l’armée soudanaise. Dans cet article, nous plongeons dans le drame d’El-Facher, où la famine, les violences et la peur d’un nouvel exode massif redessinent le destin de milliers de civils.
El-Facher : Une Ville au Bord du Gouffre
El-Facher, située dans l’État du Darfour-Nord, est la dernière grande ville de la région à résister aux Forces de soutien rapide. Depuis avril 2023, le conflit entre cette milice et l’armée régulière a transformé le Soudan en un champ de bataille, et El-Facher en est l’épicentre. Avec ses 300 000 habitants, la ville est coupée du monde, sans accès à l’aide humanitaire ni au commerce. Les routes sont devenues des pièges mortels, et la population, déjà affaiblie par des mois de siège, lutte pour survivre dans des conditions inimaginables.
Les témoignages de ceux qui vivent encore à El-Facher dépeignent un tableau glaçant. Les tirs d’artillerie, les frappes de drones et les attaques au sol se succèdent sans relâche. Les habitants, coincés entre les combats, n’ont plus accès aux besoins de base. L’eau potable est introuvable, les médicaments manquent cruellement, et la nourriture se raréfie à un point tel que certains en sont réduits à consommer de l’ombaz, une nourriture destinée aux animaux.
Une Famine Dévastatrice
La faim est devenue l’ennemi numéro un à El-Facher. Dans les cuisines communautaires, des images montrent des enfants aux visages émaciés, accroupis autour de marmites fumantes, tandis que des femmes préparent une pâte brune, dernier rempart contre la famine. Ces cantines, essentielles pour la survie de nombreuses familles, voient leurs réserves s’épuiser rapidement. La situation est si désespérée que certains habitants se tournent vers des aliments non comestibles, avec des conséquences tragiques.
Une mère, ses trois enfants et leurs deux grands-mères sont morts après avoir mangé de l’ombaz pendant des semaines.
Un groupe de volontaires locaux
Ce drame illustre l’ampleur de la crise alimentaire. Selon les Nations Unies, près de 40 % des enfants de moins de cinq ans à El-Facher souffrent de malnutrition aiguë ou sévère. Les camps de déplacés autour de la ville, comme Abou Chouk, sont particulièrement touchés. Une famine a été officiellement déclarée dans trois de ces camps l’année dernière, et la situation ne fait qu’empirer.
À El-Facher, la faim ne fait pas de distinction : elle frappe les enfants, les adultes et les personnes âgées, transformant chaque jour en une lutte pour la survie.
Un Siège Implacable
Depuis mai 2024, les Forces de soutien rapide ont intensifié leur assaut sur El-Facher. Après avoir perdu le contrôle de Khartoum, la capitale soudanaise, la milice s’est tournée vers le Darfour pour consolider son pouvoir. El-Facher, avec son importance stratégique, est devenue une cible prioritaire. Les paramilitaires bombardent sans relâche, visant non seulement les positions militaires, mais aussi les zones civiles, y compris le camp de déplacés d’Abou Chouk.
En août, les violences ont atteint un nouveau sommet. En seulement dix jours, au moins 89 personnes ont perdu la vie dans la ville et ses environs. Le quartier général de la police est tombé, et les combattants progressent vers un complexe militaire où se réfugient les familles des officiers. Les bombardements incessants ont transformé la vie quotidienne en cauchemar, obligeant les habitants à vivre dans la peur constante.
Pour beaucoup, la situation est intenable. Les maladies se propagent rapidement dans un environnement où l’accès aux soins est quasi inexistant. Mohamed Khamis Douda, un humanitaire ayant fui le camp de Zamzam pour El-Facher, décrit une ville où les blessés par balles ne peuvent être soignés faute de médicaments. Les enfants, particulièrement vulnérables, paient le prix le plus lourd.
La Menace d’un Exode Massif
La chute du camp de Zamzam en avril a déjà provoqué un déplacement massif de population vers El-Facher et d’autres villes de l’ouest, comme Tawila. Aujourd’hui, les bombardements sur Abou Chouk font craindre un nouvel exode. Mais fuir est devenu une entreprise périlleuse. La seule route de sortie, un chemin de 70 kilomètres vers l’ouest, est jonchée de corps non enterrés, victimes de la faim, de la soif ou des violences.
Les récits des survivants sont déchirants. Saleh Essa, un fonctionnaire de 42 ans, a marché trois jours avec sa femme pour atteindre Tawila, laissant sa mère diabétique et ses enfants sur une charrette tirée par un âne. Voyageant de nuit pour éviter les checkpoints, ils se reposaient sous les arbres pendant la journée. Arrivés à destination, ils ont trouvé un semblant de sécurité, mais les ressources y restent rares.
Ici, nous sommes en sécurité, mais l’eau et la nourriture sont rares.
Saleh Essa, rescapé d’El-Facher
Pour d’autres, quitter la ville est tout simplement impossible. Halima Hashim, une enseignante de 37 ans et mère de quatre enfants, explique que sa famille n’a pas les moyens de fuir. Rester, c’est mourir à petit feu, mais partir expose à des dangers tout aussi mortels.
Une Population Prise au Piège
Les habitants d’El-Facher vivent dans un état de siège permanent. Certains, comme Ibrahim Essa, ont creusé des bunkers de fortune pour se protéger des bombardements. Ces abris rudimentaires, souvent situés derrière les maisons, sont devenus le seul refuge pour des familles entières. Mais même ces précautions ne garantissent pas la sécurité face à l’intensité des attaques.
Les craintes de violences ethniques ajoutent une dimension supplémentaire à la tragédie. Le Darfour a une longue histoire de conflits intercommunautaires, et les tensions actuelles risquent d’aggraver ces divisions. Les Nations Unies ont signalé une augmentation des violences ciblées, rendant la situation encore plus volatile.
Indicateur | Situation à El-Facher |
---|---|
Population | 300 000 habitants |
Malnutrition infantile | 40 % des enfants de moins de 5 ans |
Morts en août | Au moins 89 |
Accès humanitaire | Aucun |
Un Appel à l’Action Internationale
Face à cette catastrophe, l’inaction de la communauté internationale est criante. El-Facher est devenue, selon les termes de l’ONU, l’épicentre de la souffrance des enfants. Pourtant, les convois humanitaires ne parviennent pas à atteindre la ville, et les appels à l’aide restent largement ignorés. Les organisations locales, bien que courageuses, sont dépassées par l’ampleur des besoins.
Pour briser ce cycle de désespoir, plusieurs mesures s’imposent :
- Établir des couloirs humanitaires sécurisés pour acheminer nourriture et médicaments.
- Renforcer la protection des civils contre les violences ethniques et les bombardements.
- Mobiliser des fonds internationaux pour soutenir les camps de déplacés.
- Pression diplomatique pour un cessez-le-feu immédiat dans le Darfour.
Chaque jour qui passe sans intervention aggrave la tragédie. Les habitants d’El-Facher, pris au piège entre la guerre et la famine, méritent mieux qu’un silence assourdissant.
Que Reste-t-il pour El-Facher ?
El-Facher est à un tournant. La ville, autrefois un bastion de résistance, risque de devenir un symbole de l’échec collectif à protéger les populations vulnérables. Les familles qui y vivent n’ont plus que leur courage pour affronter un quotidien fait de peur, de faim et d’incertitude. Pourtant, au milieu de ce chaos, des histoires de résilience émergent, comme celle de Saleh Essa, qui a risqué sa vie pour offrir un avenir à sa famille.
La question qui se pose aujourd’hui est simple, mais brutale : combien de temps El-Facher pourra-t-elle tenir ? Sans aide immédiate, la ville risque de basculer dans une catastrophe encore plus grande, avec des conséquences irréversibles pour ses habitants et pour la région tout entière. Le monde regarde, mais agit-il ?
El-Facher n’est pas qu’une ville assiégée. C’est un cri d’alarme, un appel à ne pas détourner le regard face à la souffrance humaine.
La crise d’El-Facher est bien plus qu’un conflit régional : c’est une tragédie humaine qui met à l’épreuve notre capacité à réagir face à l’injustice. Les habitants de cette ville, comme ceux des camps de déplacés environnants, ne demandent qu’une chose : la chance de vivre. Leur sort repose désormais entre les mains de ceux qui ont le pouvoir d’agir. La question est : le feront-ils ?