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Crimes de guerre en Syrie : l’enquête française s’accélère

La mort tragique de Marie Colvin et Rémi Ochlik en Syrie en 2012 pourrait bien être un tournant. La justice française vient d'étendre son enquête aux crimes contre l'humanité, ouvrant la voie à de possibles poursuites historiques contre le régime de Bachar al-Assad. Une avancée majeure pour la liberté de la presse en zone de guerre.

C’est un tournant qui pourrait faire date dans la lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes en zone de guerre. Treize ans après la mort tragique de la reporter américaine Marie Colvin et du photographe français Rémi Ochlik à Homs en Syrie, la justice française vient de décider d’étendre son enquête aux crimes contre l’humanité. Une première qui ouvre la voie à de possibles poursuites historiques contre le régime de Bachar al-Assad.

Deux journalistes tués dans un bombardement ciblé

Le 22 février 2012, Marie Colvin, grand reporter pour le Sunday Times, et Rémi Ochlik, photojournaliste de guerre reconnu, se trouvent dans un centre de presse improvisé dans le quartier rebelle de Baba Amr à Homs, alors assiégé par les forces loyalistes. Au petit matin, un bombardement frappe le bâtiment de plein fouet. Les deux journalistes, qui tentent de fuir, sont tués sur le coup. Leurs confrères à l’intérieur sont grièvement blessés par le souffle de l’explosion.

Très vite, les soupçons se portent sur une attaque délibérée du régime syrien, qui chercherait ainsi à dissuader les témoins gênants. « Nous n’étions pas au mauvais endroit au mauvais moment, il y avait une volonté de nous cibler », affirmera plus tard Edith Bouvier, une journaliste française blessée dans le bombardement. Un ancien officier syrien confiera même que « l’objectif principal du régime était de frapper les journalistes car c’était eux qui témoignaient de la réalité de la situation ».

La France ouvre une enquête pour crimes de guerre

Face à ces forts soupçons, la justice française se saisit du dossier. Dès mars 2012, le parquet de Paris ouvre une enquête pour les victimes françaises : meurtre sur Rémi Ochlik et tentative de meurtre sur Edith Bouvier. Deux ans plus tard, les investigations sont élargies aux crimes de guerre, visant des attaques délibérées contre des civils. En 2016, les proches des victimes étrangères se constituent parties civiles.

Ces récents développements sont extrêmement novateurs et ouvrent la voie à la caractérisation de crimes contre l’humanité dans un certain nombre de procédures concernant des journalistes opérant en zone de conflits armés.

Matthieu Bagard, avocat d’Edith Bouvier

L’enquête étendue aux crimes contre l’humanité

Mais c’est le 17 décembre dernier que l’enquête prend une nouvelle dimension. Le parquet national antiterroriste décide de l’étendre aux crimes contre l’humanité, visant spécifiquement « l’exécution d’un plan concerté, à l’encontre d’un groupe de population civile parmi lesquels les journalistes, activistes et défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ».

Concrètement, en plus des meurtres de Marie Colvin et Rémi Ochlik, la justice va se pencher sur la « persécution » des journalistes présents ce jour-là à Homs, ainsi que les « actes inhumains » subis par Edith Bouvier. Une qualification inédite en France pour des exactions commises contre des reporters en mission.

« Une grande avancée pour les reporters de guerre »

Pour les avocats des victimes, cette extension de l’enquête est une décision majeure. « Il faut saluer la position du Pnat. A notre connaissance, on n’a pas de précédent en France. C’est une grande avancée pour les reporters de guerre », souligne ainsi Marie Dosé, avocate d’Edith Bouvier aux côtés de Matthieu Bagard.

Au-delà du cas syrien, cette qualification pourrait en effet créer une jurisprudence importante pour mieux protéger les journalistes couvrant les conflits à travers le monde. En criminalisant le ciblage délibéré des reporters considérés comme une population civile à part entière, elle renforcerait considérablement l’arsenal juridique à leur disposition.

Un long combat pour la vérité et la justice

Malgré ces avancées, le chemin vers d’éventuelles condamnations reste long et semé d’embûches. Les enquêteurs devront démontrer l’existence d’un plan concerté du régime syrien visant spécifiquement les journalistes, dans un pays toujours en guerre et fermé aux investigations internationales. Un véritable défi qui nécessitera sans doute des années de patience et de détermination.

C’est une excellente nouvelle car toute avancée de la justice, toute reconnaissance des crimes – et donc de la souffrance et de la légitimité des victimes – est importante.

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières

Mais pour les proches de Marie Colvin et Rémi Ochlik, comme pour tous les défenseurs de la liberté de la presse, cette perspective d’un jour voir les responsables de leur mort rendre des comptes est déjà une victoire en soi. Une lueur d’espoir de vérité et de justice, pour que leur sacrifice au nom du droit à l’information n’ait pas été vain. Et un avertissement clair aux régimes qui s’en prennent impunément aux journalistes : leurs crimes n’auront ni frontière, ni prescription.

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