InternationalPolitique

Crimes de Guerre en Afghanistan : L’Armée Britannique Accusée

Un officier supérieur des forces spéciales britanniques accuse ses anciens chefs d’avoir étouffé des preuves d’exécutions de civils en Afghanistan. Des enfants et des femmes tués, des hommes abattus sans menace… Et si ces crimes étaient bien plus répandus qu’on ne le pensait ?

Imaginez un raid nocturne dans un village afghan endormi. Des silhouettes en tenue noire surgissent, armes pointées. Quelques minutes plus tard, neuf hommes gisent au sol. L’unité dira qu’ils représentaient une menace. Les familles, elles, affirment qu’il s’agissait de civils désarmés. Ce scénario, loin d’être isolé, revient aujourd’hui hanter l’armée britannique.

Un témoignage qui fait trembler la hiérarchie militaire

Lundi, une commission d’enquête indépendante a rendu publics des résumés d’audiences à huis clos. Au cœur de ces documents : le témoignage explosif d’un officier supérieur des forces spéciales, désigné sous le code N1466. Cet homme, l’un des plus hauts responsables de l’unité d’élite à l’époque, accuse directement deux anciens directeurs des forces spéciales d’avoir sciemment ignoré des preuves de crimes de guerre commis entre 2010 et 2013.

Ses mots sont lourds. « J’ai été profondément troublé par ce que je soupçonnais fortement être l’exécution illégale de personnes innocentes », déclare-t-il. Il va plus loin : ces agissements ne seraient pas l’œuvre d’une poignée de soldats isolés, mais potentiellement répandus au sein de plusieurs unités.

Des preuves transmises… et enterrées

Dès 2011, N1466 affirme avoir transmis ce qu’il qualifie de « preuves explosives » au directeur des forces spéciales de l’époque. Rien n’a été fait. Un an plus tard, son successeur prend ses fonctions. Là encore, silence radio. L’officier parle d’un mur. Ses tentatives pour « faire ce qui est juste » se heurtent à des obstacles dressés par des supérieurs dans la chaîne de commandement.

Ce n’est pas un subalterne qui parle. C’est l’un des plus hauts gradés à oser publiquement affirmer que des indices de crimes de guerre ont été délibérément dissimulés. Un acte rare, presque suicidaire dans la culture militaire britannique où la loyauté et le silence sont des valeurs cardinales.

« J’en étais venu à la conclusion que la question des exécutions extrajudiciaires n’était pas limitée à un petit nombre de soldats ou à une seule unité… mais était potentiellement plus répandue »

N1466, officier supérieur des forces spéciales

Le raid de février 2011 : neuf morts en quelques minutes

L’un des cas les plus emblématiques examinés par l’enquête se déroule dans la province du Helmand, en février 2011. Une unité des forces spéciales effectue un raid nocturne. À l’issue de l’opération, neuf hommes sont tués. La version officielle ? Ils représentaient une menace immédiate. L’unité affirme avoir agi en état de légitime défense.

Mais les familles racontent une tout autre histoire. Ces hommes étaient des civils. Certains dormaient. Aucun n’était armé. L’un d’eux aurait même été abattu alors qu’il n’était pas la cible initiale du raid. L’explication fournie à l’époque ? L’homme serait apparu « derrière un rideau avec une grenade ». Une justification qui laisse aujourd’hui les enquêteurs sceptiques.

Ce raid n’est qu’un exemple parmi d’autres. L’enquête examine des dizaines de cas où des hommes « en âge de combattre » ont été abattus alors qu’ils ne représentaient, selon les témoignages locaux, aucune menace.

Des enfants et des femmes dans le viseur

Le plus glaçant reste les accusations portant sur le meurtre de femmes et d’enfants. Ces cas, parmi les plus graves, sont au cœur de l’Afghanistan Inquiry. Des familles afghanes ont témoigné avoir perdu des proches lors d’opérations où les forces spéciales britanniques semblaient appliquer une logique de « tirer d’abord, poser les questions ensuite ».

Dans certains dossiers, des enfants figuraient parmi les victimes. Des rapports internes, aujourd’hui exhumés, laissent penser que certaines unités plantaient des armes sur les corps pour justifier a posteriori les tirs. Une pratique connue sous le nom de « drop weapons » et déjà documentée dans d’autres conflits.

Une enquête née d’un reportage choc

Cette commission d’enquête n’est pas née de nulle part. Elle fait suite à un reportage diffusé en 2022 qui avait révélé qu’une unité des forces spéciales avait tué au moins 54 personnes dans des circonstances suspectes entre 2010 et 2013. Le plus grave : ces morts auraient été systématiquement couvertes par la hiérarchie.

Ce reportage avait provoqué un séisme. Des familles afghanes, longtemps ignorées, avaient enfin été entendues. Des anciens soldats avaient commencé à parler. Et l’opinion publique britannique, déjà échaudée par les guerres en Irak et en Afghanistan, avait exigé des comptes.

L’Afghanistan Inquiry a été lancée en 2023. Son mandat : faire toute la lumière sur les agissements des forces spéciales britanniques, en particulier les unités SAS et SRS, pendant ces années sombres.

Pourquoi tant de silence pendant tant d’années ?

La question brûle les lèvres. Comment des crimes aussi graves ont-ils pu rester sous le radar pendant plus d’une décennie ? La réponse tient en grande partie à la nature même des forces spéciales. Ces unités opèrent dans l’ombre. Leurs missions sont classifiées. Leurs membres prêtent serment de silence.

Mais il y a plus. N1466 parle d’une culture de l’impunité. D’une pression énorme pour « produire des résultats » dans un conflit où les talibans se fondaient dans la population. Dans ce contexte, certains semblent avoir franchi la ligne rouge, persuadés que leurs actes resteraient à jamais enfouis.

Le témoignage de N1466 met aussi en lumière un phénomène bien connu des armées : la loi du silence. Signaler des abus, c’est souvent devenir un paria. C’est risquer sa carrière. Voire pire.

Les conséquences possibles pour l’armée britannique

Cette affaire pourrait avoir des répercussions considérables. Des poursuites pénales ne sont pas exclues. Des officiers supérieurs pourraient être appelés à rendre des comptes. L’image des forces spéciales britanniques, longtemps présentées comme l’élite des élites, est d’ores et déjà écornée.

Au-delà, c’est toute la doctrine d’engagement britannique en zone de guerre qui pourrait être remise en question. Comment encadrer des unités opérant dans des environnements où la frontière entre combattant et civil est floue ? Comment garantir le respect du droit international humanitaire quand la pression de « résultats » est maximale ?

L’enquête se poursuit. D’autres témoignages sont attendus. Et chaque nouvelle révélation risque de plonger un peu plus profondément l’armée britannique dans une crise dont elle pourrait mettre des années à se relever.

En attendant, dans les villages du Helmand, des familles continuent de porter le deuil de proches fauchés dans l’obscurité. Et elles attendent, enfin, que justice leur soit rendue.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.