Le 19 novembre 2023, la petite commune de Crépol, dans la Drôme, basculait dans l’horreur. Un bal de village, moment de fête et de partage, se transformait en scène de violence inimaginable. Thomas Perotto, seize ans, perdait la vie, poignardé. Deux ans plus tard, alors que la douleur reste intacte pour la famille et les habitants, un nouveau chapitre s’ouvre : l’un des mis en examen vient de retrouver la liberté.
Un rebondissement judiciaire qui fait réagir
Cette remise en liberté, intervenue le 25 novembre 2025, n’a rien d’une décision discrétionnaire. Elle découle directement d’une règle stricte du code de procédure pénale. Lorsque l’on est mineur au moment des faits, la détention provisoire ne peut excéder deux années pour les crimes les plus graves. Point final. Passé ce délai, la loi impose soit une libération, soit un placement sous contrôle judiciaire renforcé.
Le jeune homme, qui avait moins de dix-sept ans en novembre 2023, entre donc dans ce cadre. À dix-neuf ans aujourd’hui, il quitte la prison muni d’un bracelet électronique pour une durée de six mois. Il lui est interdit de pénétrer dans la Drôme, mais aussi dans plusieurs grandes villes de la région comme Grenoble ou Lyon. Cinquante personnes – coprévenus, témoins, proches – lui sont également interdites de contact.
Que dit exactement la loi sur les mineurs accusés de crimes graves ?
L’article 145-2 du code de procédure pénale est clair : pour un mineur d’au moins seize ans poursuivi pour un crime, la détention provisoire peut être prolongée, mais jamais au-delà de vingt-quatre mois. Cette limite vise à protéger la présomption d’innocence et à tenir compte de l’âge, même dans les affaires les plus lourdes.
En pratique, cela signifie qu’un adolescent accusé de meurtre, de viol avec barbarie ou d’acte terroriste doit être jugé dans ce délai, sous peine de retrouver la liberté en attendant son procès. Une règle qui, dans certains dossiers très complexes impliquant de nombreux protagonistes, peut se révéler difficile à respecter.
« La détention provisoire d’un mineur ne peut excéder deux ans lorsqu’il existe une peine encourue de vingt ans de réclusion criminelle ou plus. »
Article 145-2 du Code de procédure pénale
L’affaire de Crépol : rappel des faits
Retour en arrière. Ce soir-là, plusieurs centaines de personnes participaient au bal annuel du village. Vers une heure du matin, un groupe d’une vingtaine de jeunes, venus de Romans-sur-Isère, située à une trentaine de kilomètres, fait irruption. Très vite, la situation dégénère. Coups, insultes, armes blanches. Thomas tente de s’interposer pour protéger des amis. Il reçoit plusieurs coups de couteau. Transporté en urgence, il décède quelques heures plus tard.
Neuf autres personnes seront blessées, dont certaines gravement. L’enquête révélera que plusieurs membres du groupe étaient déjà connus des services de police pour des faits de violence ou de trafic. Quatorze individus seront finalement mis en examen pour meurtre et tentatives de meurtre en bande organisée, ainsi que pour violences aggravées.
Pourquoi une telle durée d’instruction ?
Deux ans, c’est long. Très long. Surtout quand une famille attend des réponses. Mais le dossier est particulièrement lourd : plus de cent témoins auditionnés, des dizaines d’expertises balistiques et médico-légales, des téléphones à exploiter, des vidéos à analyser. À cela s’ajoute la complexité d’une qualification en bande organisée, qui nécessite de prouver l’existence d’un plan concerté.
Dans ce genre d’affaires, les magistrats instructeurs avancent avec prudence. Chaque élément doit être vérifié, contre-vérifié. Une erreur peut entraîner une nullité de procédure. Et quand quatorze personnes sont poursuivies ensemble, le risque est démultiplié.
Le contrôle judiciaire : une liberté sous haute surveillance
Libre, mais pas totalement. Le bracelet électronique permet un suivi en temps réel. Toute sortie du domicile hors des horaires autorisés déclenche une alerte. L’interdiction de territoire dans la Drôme et certaines communes vise à éviter tout risque de pression sur les témoins ou de nouvelles tensions avec les habitants de Crépol.
L’interdiction de contact avec une cinquantaine de personnes montre l’ampleur du réseau concerné. On parle ici de coprévenus, mais aussi d’amis, de membres de la famille, de connaissances. Un véritable cordon sanitaire judiciaire.
Les principales obligations imposées :
- Port du bracelet électronique pendant six mois
- Résidence fixe dans l’Isère
- Interdiction formelle de se rendre dans la Drôme
- Interdiction de fréquenter Grenoble, Lyon et plusieurs communes
- Interdiction de contact avec cinquante personnes désignées
- Pointage régulier auprès des services de police
Une décision qui divise
Sur les réseaux sociaux, dans les cafés, dans les familles touchées par le drame, la nouvelle a du mal à passer. Comment accepter qu’une personne mise en examen pour un crime aussi grave puisse retrouver l’air libre avant même d’avoir été jugée ?
Pour les uns, c’est la preuve que la justice protège davantage les auteurs que les victimes. Pour les autres, c’est le respect d’un principe fondamental : nul ne peut être détenu indéfiniment sans jugement, surtout quand il était mineur au moment des faits.
Ce débat n’est pas nouveau. Il resurgit à chaque affaire médiatisée impliquant un mineur et un crime de sang. On se souvient des polémiques autour des durées de détention dans certaines affaires terroristes ou de grande criminalité. La question est toujours la même : où placer le curseur entre sécurité publique et droits de la défense ?
Et maintenant ? Vers un procès dans les mois qui viennent
Cette libération ne signe pas la fin de la procédure. Loin de là. L’instruction se poursuit, et un renvoi devant la cour d’assises des mineurs – ou éventuellement une cour d’assises ordinaire si certains sont jugés comme majeurs – reste l’issue la plus probable.
Les parties civiles, la famille de Thomas en tête, attendent toujours des réponses précises : qui a porté le coup fatal ? Y avait-il une intention homicide collective ? Le groupe avait-il prévu de semer la terreur ce soir-là ? Autant de questions qui ne trouveront de réponse définitive que lors du procès.
En attendant, la commune de Crépol panse encore ses plaies. Le bal du village n’a plus jamais été le même. Certains habitants ont déménagé. D’autres refusent toujours de parler de cette nuit-là. Deux ans après, le choc est toujours là. Et cette libération, même encadrée, ravive inévitablement la douleur.
La justice suivra son cours. Lentement, méthodiquement. Mais pour beaucoup, le sentiment demeure que rien ne pourra ramener Thomas. Et que deux ans, dans une prison ou sous bracelet électronique, ne pèseront jamais assez lourd face à une vie fauchée à seize ans.









