Imaginez-vous flâner sur la Grand-Place de Bruxelles, illuminée pour Noël, et tomber nez à nez avec une crèche où Marie, Joseph, les Rois mages… n’ont tout simplement pas de visage. Juste du tissu lisse là où devraient briller les yeux de l’Enfant-Jésus. C’est exactement ce qui arrive depuis quelques jours dans la capitale belge, et la réaction ne s’est pas fait attendre.
Une crèche qui divise la Belgique entière
Depuis son inauguration vendredi dernier, cette installation artistique signée Victoria-Maria Geyer déchaîne les passions. Des milliers de commentaires outrés, une pétition qui dépasse déjà les 33 000 signatures en trois jours, et même un appel au calme lancé par le bourgmestre lui-même. Rarement une crèche de Noël aura autant fait parler d’elle.
Ce qui choque ? L’absence totale de traits sur les cinq personnages adultes en chiffons. Pas de yeux, pas de bouche, pas même un sourire esquissé. Pour certains, c’est une insulte directe à la tradition chrétienne et à l’identité occidentale. Pour d’autres, c’est une proposition artistique audacieuse qui invite à la réflexion.
Un choix artistique assumé
L’artiste, Victoria-Maria Geyer, se dit catholique pratiquante et assure qu’il n’a jamais été question de rompre avec la tradition. Au contraire.
« Les visages en tissu ont vocation de laisser libre cours à l’imagination de tout un chacun, et certainement pas d’exclure l’une ou l’autre communauté »
Selon elle, cette absence de traits permet à chaque visiteur de projeter ses propres émotions, ses souvenirs, sa foi. Une Nativité universelle plutôt qu’une représentation figée dans une culture précise. Un pari osé en pleine période de tensions identitaires.
Et le pari semblait pourtant validé en amont : le projet a reçu l’aval des autorités ecclésiastiques locales avant d’être installé sur la place la plus emblématique de Bruxelles.
La droite belge monte au créneau
Mais l’approbation religieuse n’a pas suffi à calmer tout le monde. Loin de là.
Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur (MR), n’a pas mâché ses mots. Il a qualifié l’œuvre d’« ineptie » et d’« insulte à nos traditions ». Les personnages sans visage ? « Un hommage aux zombies », selon lui.
Samedi, il lançait une pétition exigeant le remplacement de la crèche au plus tard pour Noël 2026. Trois jours plus tard, le texte frôlait déjà les 33 000 signatures. Un succès fulgurant qui montre à quel point le sujet touche une corde sensible.
Le plus piquant ? Le MR fait partie de la majorité communale qui a validé le projet en amont. Un revirement qui n’a pas manqué de faire jaser dans les couloirs de l’Hôtel de Ville.
Le bourgmestre appelle à l’apaisement
Face à la tempête, Philippe Close, bourgmestre PS de Bruxelles, a tenté de calmer le jeu. « Il faut redescendre d’un cran », a-t-il déclaré, rappelant que l’œuvre avait été approuvée dans les règles.
Il a insisté sur le caractère temporaire de l’installation et sur le fait qu’elle ne remplace pas les crèches traditionnelles présentes dans les églises ou chez les particuliers. Juste une proposition artistique différente, dans l’espace public.
L’Enfant-Jésus déjà vandalisé
Mais le débat a rapidement dépassé les réseaux sociaux. Samedi, les éléments en tissu représentant la tête de l’Enfant-Jésus ont purement et simplement disparu de la mangeoire.
Impossible d’établir un lien formel avec la polémique, mais le timing est troublant. La Ville a immédiatement remplacé les pièces manquantes et renforcé la sécurité autour de l’installation. Preuve que la tension est bien réelle.
Un symptôme de tensions plus profondes ?
Au-delà de l’anecdote, cette crèche sans visage cristallise des débats qui dépassent largement la Grand-Place.
Dans une Europe où la question de l’identité chrétienne resurgit régulièrement, où certains dénoncent une prétendue « cancel culture » anti-religieuse, cette œuvre arrive comme un révélateur. Elle pose la question : jusqu’où peut-on moderniser, réinterpréter, déconstruire les symboles fondateurs sans les trahir ?
Pour certains, laisser les visages vides revient à effacer l’humanité même de la Nativité. Pour d’autres, c’est précisément cette vacuité qui permet à chacun de s’y reconnaître, quelle que soit son origine ou sa croyance.
Entre ces deux lectures, le fossé semble abyssal.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Une chose est sûre : rarement une crèche de Noël aura autant fait réfléchir, débattre, s’énerver. Elle aura peut-être même réussi son pari : sortir la Nativité des églises pour la ramener au cœur du débat public, là où elle est née il y a deux mille ans.
Alors, provocation inutile ou proposition artistique courageuse ? Insulte à la tradition ou invitation à la méditation universelle ?
La Grand-Place de Bruxelles, en cette fin d’année 2025, est devenue le théâtre inattendu d’un débat qui nous concerne tous.
Et pendant ce temps, sous les illuminations, cinq silhouettes de chiffon continuent de veiller, silencieuses, sur une mangeoire où repose un Enfant… que chacun est désormais libre d’imaginer à son image.









