Chaque année, la Grand-Place de Bruxelles se pare de lumières et installe sa crèche de Noël, symbole vivant d’une tradition séculaire. Cette fois, l’édition 2025 restera dans les mémoires pour de bien tristes raisons : une tête de petit Jésus en chiffon décapitée et volée, puis, quelques jours plus tard, un tag « Free Palestine » malgré un dispositif de sécurité renforcé. Deux actes qui, en pleine période de l’Avent, cristallisent les tensions d’incroyables tensions culturelles et politiques.
Une crèche « inclusive » qui divise dès son installation
Dès le mercredi précédant le premier dimanche de l’Avent, la nouvelle crèche a été dévoilée. Exit les santons traditionnels aux visages expressifs. À la place, des personnages entièrement réalisés en tissu bariolé, sans yeux, sans bouche, sans traits distincts. La créatrice a expliqué vouloir proposer « un mélange inclusif de toutes les couleurs de peau » afin que « tout le monde puisse s’y retrouver ».
Le résultat ? Une silhouette du petit Jésus réduite à une simple boule de chiffon beige et brune, posée dans une mangeoire moderne sous un baldaquin transparent. Pour certains, une démarche louable d’ouverture. Pour beaucoup d’autres, une dénaturation complète du mystère de la Nativité, transformée en installation artistique abstraite sur l’un des plus beaux sites patrimoniaux d’Europe.
« On ne reconnaît plus rien. C’est comme si on avait honte de montrer le visage de Jésus », confiait une Bruxelloise venue admirer le sapin.
Premier choc : la décapitation du petit Jésus
Samedi matin, les employés municipaux découvrent l’impensable : la boule de tissu qui faisait office de tête de l’Enfant Jésus a purement et simplement arrachée. Le reste du corps en chiffon gît, décapité, dans la paille. L’auteur a pris le soin de couper proprement le tissu avant d’emporter son trophée.
Le porte-parole de la Ville confirme l’information avec un certain embarras : « Oui, c’est la boule de chiffon qui faisait office de tête qui a été volée. Nous sommes en train de la remplacer. » Une nouvelle tête, identique, est posée dans la journée, comme si rien ne s’était passé.
Mais sur les réseaux sociaux, l’affaire fait le tour de la Belgique en quelques heures. Nombreux sont ceux qui y voient un acte symbolique fort : refuser la représentation, même édulcorée et « inclusive », de la figure centrale du christianisme.
La sécurité renforcée… et pourtant
Face à la polémique grandissante, la Ville de Bruxelles décide de réagir rapidement. Dès le lundi suivant, des barrières supplémentaires sont installées autour de la crèche, des agents de sécurité privés patrouillent, et des caméras de surveillance sont réorientées. Objectif affiché : protéger cette installation controversée des « incivilités ».
Mesure jugée dérisoire par beaucoup. Car en plein cœur de la Grand-Place, sous les yeux de milliers de touristes et de Bruxellois chaque soir, l’endroit reste difficile à sécuriser totalement. Et surtout, personne n’imaginait que l’histoire allait prendre une tournure encore plus politique.
Deuxième vandalisme : le tag « Free Palestine »
Quelques jours à peine après le renforcement sécuritaire, nouvelle stupeur. Dans la nuit ou au petit matin, un ou plusieurs individus parviennent à franchir (ou contourner) les barrières pour taguer en grosses lettres rouges, sur le tissu blanc qui entoure la crèche : FREE PALESTINE.
Le message est immédiatement effacé par les services de nettoyage, et un procès-verbal est dressé par la police bruxelloise. Mais la photo a déjà fait le tour des réseaux. L’image est violente : le lieu le plus emblématique de la capitale européenne, en plein marché de Noël, transformé en support de slogan géopolitique.
Beaucoup notent l’ironie : une crèche conçue pour être « inclusive » et éviter toute offense se retrouve au centre d’un conflit idéologique brûlant, instrumentalisée malgré elle dans la guerre Israël-Palestine.
Que nous dit cette double profanation ?
Derrière ces deux actes, c’est tout le malaise d’une société qui ne sait plus comment représenter ses racines chrétiennes sans froisser quiconque qui éclate au grand jour.
La première décapitation peut être lue comme un refus pur et simple de toute figuration religieuse, même ultra-épurée. Un geste presque « iconoclaste » au sens historique du terme : détruire l’image pour détruire ce qu’elle représente.
Le second vandalisme, lui, transforme un symbole de paix et de naissance en tribune politique. Il montre que même un objet vidé de sa substance religieuse reste perçu comme un étendard chrétien, donc occidental, donc, pour certains activistes, légitime à attaquer au nom d’une autre cause.
« On voulait éviter les polémiques religieuses, on se retrouve avec une polémique politique encore plus explosive », résume un habitant du centre-ville.
Un symbole bruxellois en perdition
La Grand-Place, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, accueille chaque année des millions de visiteurs pour ses « Plaisirs d’Hiver ». La crèche y occupait une place discrète mais forte : rappel que Noël n’est pas qu’une fête commerciale, mais une célébration religieuse ancrée dans deux millénaires d’histoire européenne.
Aujourd’hui, entre la volonté de neutralité absolue et les réactions passionnées qu’elle suscite, c’est tout l’équilibre qui semble rompu. Certains élus appellent déjà à revenir à une crèche traditionnelle l’an prochain. D’autres défendent mordicus le concept inclusif, y voyant l’avenir d’une société multiculturelle.
En attendant, les Bruxellois et les touristes continuent de défiler devant une crèche sous haute protection, tête de chiffon neuve et tissu blanc impeccable. Mais l’atmosphère n’est plus tout à fait à la fête. Comme si, en cherchant à ne froisser personne, on avait fini par blesser tout le monde.
À lire aussi : Cette affaire n’est pas isolée. Ces dernières années, plusieurs crèches publiques en Europe ont été vandalisées ou retirées sous pression d’associations laïques ou communautaires. Le cas bruxellois montre que même la version la plus édulcorée ne met personne d’accord.
Noël 2025 à Bruxelles laissera donc une trace amère : celle d’une ville qui, en voulant trop bien faire, a révélé ses fractures les plus profondes. Et pendant ce temps, sur la Grand-Place illuminée, une crèche sans visage continue de veiller, muette, sur des tensions bien réelles.









