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Couvre-feux : L’exception qui devient la règle en Outre-mer

Aux Antilles et en Nouvelle-Calédonie, le couvre-feu devient la norme pour endiguer les violences. Mais cette mesure d'exception est-elle vraiment efficace sur le long terme ? Décryptage d'un phénomène qui interroge.

Tandis que les émeutes et les violences se multiplient en Outre-mer, du côté des Antilles jusqu’en Nouvelle-Calédonie, les autorités françaises semblent peiner à endiguer un phénomène de délinquance qui prend une ampleur quasi-insurrectionnelle dans ces territoires éloignés de la métropole. Face à cette situation, une mesure revient tel un leitmotiv : le couvre-feu. Mais derrière son apparente nécessité pour rétablir l’ordre, ne cacherait-il pas en réalité une certaine impuissance des pouvoirs publics ?

Le couvre-feu, une mesure d’exception qui se banalise

Si les restrictions de circuler la nuit restent rares et très ponctuelles en France métropolitaine, elles tendent à se généraliser dès qu’un problème survient en Outre-mer. La Nouvelle-Calédonie, par exemple, vit sous couvre-feu depuis six mois, suite à une fronde des indépendantistes contre une réforme du corps électoral, qui a dégénéré en émeutes d’une violence inédite. Initialement circonscrite à Nouméa, la mesure a été étendue à l’ensemble de l’archipel et sans cesse prolongée depuis.

Le cas néo-calédonien n’est pas isolé. A Mayotte, île de l’océan Indien gangrenée par l’insécurité, des couvre-feux ont aussi été décrétés localement pour lutter contre les vols. Aux Antilles, c’est carrément une partie de la Guadeloupe et la totalité de la Martinique qui ont été placées sous cloche, respectivement pour stopper des violences urbaines et contenir un mouvement social dégénérant en émeutes.

Une solution de court terme face à des problèmes profonds

Si les élus locaux se félicitent généralement de ces mesures jugées nécessaires sur le moment pour apaiser les tensions, beaucoup s’interrogent sur leur efficacité sur le long terme. Car le couvre-feu ne s’attaque pas aux racines des maux qui minent les territoires d’Outre-mer : chômage endémique, pauvreté, délinquance des mineurs liée au désœuvrement, économies souterraines prospères…

Le couvre-feu à lui seul ne règle pas le problème. On a aussi besoin de renforts de sécurité et de moyens d’investigation au quotidien.

Didier Laguerre, maire de Fort-de-France (Martinique)

Comme le souligne cet élu martiniquais, le couvre-feu doit s’accompagner d’autres mesures, notamment en termes de présence policière. Mais surtout, pour beaucoup d’observateurs, il ne remplace en rien un véritable travail de fond de prévention et d’éducation, qui fait cruellement défaut dans ces territoires.

Une population prise en étau

Outre son efficacité relative, cette “parapluie” sécuritaire fait aussi grincer quelques dents par son caractère liberticide. Car si la population approuve en général le retour au calme, elle n’en subit pas moins de plein fouet les restrictions. Sorties et loisirs nocturnes interdits, activité économique ralentie, sentiment d’une liberté confisquée… Sans compter que l’objectif est parfois détourné.

Le couvre-feu sans les moyens de le faire respecter, c’est quasiment la liberté donnée à nos délinquants d’agir.

Olivier Nicolas, Fédération socialiste de Guadeloupe

Car faute d’effectifs policiers suffisants, les contrevenants ne sont pas toujours verbalisés, ce qui limite grandement la portée de ces couvre-feux. Résultat : une population doublement pénalisée, entre privation de liberté et persistance de l’insécurité. Un équilibre périlleux que les autorités, malgré leurs efforts, peinent encore à trouver.

Vers une remise en question du modèle ?

Au-delà de l’ordre public, cette récurrence des couvre-feux en Outre-mer révèle surtout la difficulté de l’État à apporter des réponses pérennes aux problématiques spécifiques de ces territoires. Malgré les plans successifs, les écarts avec la métropole persistent, voire se creusent, sur de nombreux indicateurs sociaux et économiques.

Une situation explosive, qui pousse régulièrement une partie de la jeunesse dans la rue, et face à laquelle le couvre-feu apparaît au mieux comme un pis-aller, au pire comme le révélateur d’une certaine forme d’impuissance. Car derrière la question sécuritaire, c’est tout le modèle d’intégration de ces territoires lointains qui est aujourd’hui questionné. Et il faudra sans doute plus que quelques nuits sous cloche pour y répondre.

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