Imaginez un aristocrate de 74 ans, cheveux blancs impeccablement tirés en arrière, lunettes rondes et costume sombre, qui monte à la barre et déclare tranquillement : « Je n’étais pas le chef, juste l’hôte. » Cette scène digne d’un thriller politique s’est déroulée à Francfort et concerne l’un des plus gros scandales judiciaires allemands de ces dernières années.
Le procès qui fascine l’Allemagne entière
Depuis mai 2024, neuf personnes comparaissent dans la salle d’audience ultra-sécurisée de Francfort. Au centre de toutes les attentions : Henri XIII Prince Reuss, descendant d’une ancienne maison princière et accusé d’avoir été le cerveau d’un projet de coup d’État visant à renverser la République fédérale.
Mercredi, l’accusé a pris la parole pour la première fois longuement. Son ton était posé, presque professoral. Il a reconnu avoir accueilli des réunions dans ses propriétés et avoir joué un rôle de « modérateur ». Mais il a fermement nié toute intention terroriste.
« Je n’étais pas le meneur, mais l’hôte »
Cette phrase résume toute la ligne de défense du septuagénaire. Selon lui, il a simplement mis des salles à disposition d’un groupe qu’il découvrait peu à peu. Il admet avoir été curieux, voire fasciné, par les thèses présentées.
Mais il insiste : jamais il n’a voulu participer à un acte violent. « Je ne suis pas un terroriste et je n’ai planifié aucun acte terroriste », a-t-il répété devant les juges, le regard droit.
« J’ai mis des salles à disposition et j’ai participé de manière modératrice à des réunions, à ce titre d’hôte. »
Henri XIII Prince Reuss, audience de Francfort
Des Reichsbürger prêts à tout
Le mouvement des « citoyens du Reich » refuse de reconnaître la République fédérale allemande. Pour eux, l’Empire allemand de 1871 (ou parfois même l’Empire de 1918) existe toujours. L’État actuel ne serait qu’une société commerciale illégitime.
Le groupe démantelé en décembre 2022 allait beaucoup plus loin. Ses membres envisageaient une prise armée du Bundestag, la création d’une armée parallèle et l’instauration d’un nouvel ordre avec, à sa tête… Henri XIII Prince Reuss.
Parmi les accusés figurent d’anciens militaires d’élite, dont un ex-lieutenant-colonel et un ancien membre des forces spéciales KSK, un ex-policier et même une ancienne juge qui fut députée AfD.
L’illusion de l’« Alliance terrestre »
L’aristocrate a expliqué avoir été mis en contact avec ce qu’on appelait l’Alliance terrestre, une prétendue coalition militaire secrète mondiale prête à restaurer les « vrais » États. Un grand classique des milieux conspirationnistes les plus extrêmes.
Il affirme aujourd’hui avoir compris, avant même son arrestation, que cette alliance n’existait pas. « Nous avions été trompés », a-t-il lâché, désignant aussi bien lui-même que les autres membres du groupe.
Cette révélation, si elle est sincère, pose une question vertigineuse : jusqu’où peut-on se laisser emporter par des récits délirants quand on y trouve un rôle flatteur ?
Trois procès, une même menace
L’affaire est tellement vaste que la justice allemande a dû ouvrir trois procès distincts :
- Francfort : les prétendus cerveaux, dont le prince Reuss
- Munich : l’aile militaire
- Stuttgart : les soutiens logistiques et financiers
Une vingtaine de personnes au total sont concernées. Et l’enquête continue : en mai dernier, trois nouveaux suspects ont été arrêtés pour avoir participé à des entraînements de tirs en vue d’un éventuel assaut du parlement.
Un aristocrate dans la tourmente
Henri XIII Prince Reuss appartient à une ancienne maison souveraine de Thuringe qui régna jusqu’en 1918. Propriétaire de châteaux et de domaines forestiers, il menait une vie discrète d’homme d’affaires dans l’immobilier et le vin.
Comment passe-t-on de salons feutrés aux réunions secrètes avec des nostalgiques armés ? La curiosité, dit-il. La solitude aussi, suggèrent certains observateurs. L’impression de voir le monde s’effondrer et de détenir enfin une mission.
Son apparence soignée et son phrasé posé tranchent avec l’image qu’on se fait habituellement d’un extrémiste. C’est peut-être ce qui rend l’affaire encore plus troublante.
La République fédérale ébranlée
Lorsque l’opération policière géante a eu lieu en décembre 2022 – plus de 3 000 agents mobilisés, 25 arrestations dans onze Länder – l’Allemagne a découvert avec stupeur qu’une partie de sa population rêvait encore de putsch.
Le choc a été d’autant plus violent que le pays se croyait à l’abri de ce genre de fantasmes. Les services de renseignement avaient pourtant alerté depuis des années sur la montée en puissance des Reichsbürger.
Aujourd’hui, chaque audience est suivie avec attention. Car au-delà du sort des accusés, c’est la solidité des institutions démocratiques qui semble posée sur la table d’examen.
Et maintenant ?
Le procès de Francfort doit durer encore de longs mois. Les juges vont devoir démêler le vrai du faux, les rêves délirants des projets concrets, les fanfarons des vrais dangers.
Henri XIII Prince Reuss continue de clamer qu’il n’a été qu’un hôte trop curieux. L’accusation, lui, maintient qu’il était le futur « régent » d’une Allemagne redevenue empire.
Une chose est sûre : cette affaire continuera longtemps de hanter les débats sur l’extrémisme, le complotisme et les failles de nos sociétés contemporaines.
À suivre, donc. Très attentivement.









