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Coup d’État en Guinée-Bissau : Un Ex-Ministre Nommé Premier Ministre

En Guinée-Bissau, la junte qui vient de renverser le président Embalo nomme… son propre ex-ministre des Finances comme Premier ministre. Un choix inattendu qui soulève déjà de nombreuses questions sur la suite de la transition. Que cache cette décision surprenante ?

Imaginez un pays où, depuis l’indépendance, les armes parlent plus souvent que les urnes. Mercredi soir, la Guinée-Bissau a replongé dans ce scénario qu’elle connaît malheureusement trop bien : un coup d’État militaire, le cinquième officiellement reconnu depuis 1974.

Un coup d’État express qui stoppe net le processus électoral

Tout commence le mercredi 27 novembre. Les bureaux de vote des élections présidentielle et législatives du 23 novembre sont fermés depuis plusieurs jours. Les résultats provisoires sont sur le point d’être annoncés quand, soudain, l’armée déclare avoir pris le « contrôle total » du pays.

En quelques heures seulement, les militaires interrompent la diffusion des chiffres, arrêtent le président sortant Umaro Sissoco Embalo et imposent un couvre-feu nocturne. Les frontières terrestres, maritimes et aériennes sont fermées. Le pays retient son souffle.

Le général Horta N’Tam, nouvel homme fort de la transition

Le lendemain, jeudi 28 novembre, les putschistes structurent leur pouvoir. Ils nomment le major-général Horta N’Tam, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, président de la République pour une transition d’un an.

Un Haut commandement militaire pour la restauration de l’ordre (HCM) est créé. Objectif affiché : remettre de l’ordre dans un pays miné par l’instabilité chronique et organiser une transition « apaisée ».

Dès le jeudi soir, signe d’une certaine maîtrise de la situation, le HCM lève le couvre-feu et ordonne la réouverture immédiate des frontières, des écoles, des marchés et des institutions privées. Un message clair : la vie doit reprendre, mais sous contrôle militaire.

Le choix surprenant d’Ilidio Vieira Té comme Premier ministre

Et puis arrive le vendredi. Un décret présidentiel signé par le général N’Tam tombe : Ilidio Vieira Té est nommé Premier ministre… et conserve son ancien portefeuille des Finances.

Ce nom ne sort pas de nulle part. Ilidio Vieira Té était, jusqu’au coup d’État, le ministre des Finances du président déchu Umaro Sissoco Embalo. Autrement dit, la junte choisit un homme qui appartenait au premier cercle du pouvoir renversé.

Ce choix peut sembler paradoxal. Pourquoi garder un haut responsable de l’ancien régime ? Plusieurs hypothèses circulent déjà : volonté d’apaisement, nécessité de continuité administrative, ou simple calcul pour éviter une rupture trop brutale avec les bailleurs de fonds internationaux qui connaissent bien ce technocrate.

Umaro Sissoco Embalo, exfiltré vers le Sénégal

Pendant ce temps, l’ancien président, arrêté entre mercredi et jeudi dans la capitale Bissau, a été discrètement exfiltré. Un avion affrété par le Sénégal l’attendait. Il atterrit jeudi soir à Dakar, « sain et sauf », selon le communiqué officiel sénégalais.

Ce départ rapide vers le voisin sénégalais n’est pas anodin. Dakar a toujours joué un rôle de médiateur dans les crises bissau-guinéennes et dispose d’une influence certaine sur l’armée locale.

L’opposition crie à la manipulation

Dans ce chaos, une voix s’élève avec force : celle de Fernando Dias, principal challenger d’Umaro Sissoco Embalo lors du scrutin du 23 novembre.

« J’ai remporté l’élection présidentielle », affirme-t-il avec assurance.

Mais il va plus loin. Selon lui, le coup d’État n’est pas l’œuvre spontanée de militaires mécontents. Il accuse directement l’ancien président Embalo d’avoir « organisé » lui-même le putsch pour empêcher la proclamation de résultats qui lui étaient défavorables.

Une thèse qui, si elle était prouvée, renverserait complètement la lecture des événements : le coup ne serait pas dirigé contre Embalo, mais commandité par lui pour conserver le pouvoir par d’autres moyens.

La Guinée-Bissau, championne tristement célèbre de l’instabilité

Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut se replonger dans l’histoire récente du pays. Depuis son indépendance du Portugal en 1974, la Guinée-Bissau a connu :

  • Quatre coups d’État réussis (1980, 1999, 2003, 2012)
  • Une guerre civile (1998-1999)
  • Une multitude de tentatives de putsch avortées
  • Aucun président n’a terminé son mandat complet de façon régulière depuis des décennies

Le narcotrafic, les rivalités ethniques et les tensions au sein de l’armée forment un cocktail explosif qui fait régulièrement basculer le pays dans la crise.

Quelles perspectives pour les mois à venir ?

La nomination d’un civil issu de l’ancien régime à la tête du gouvernement peut être interprétée comme un signal de modération. Les militaires semblent vouloir éviter une rupture totale avec la communauté internationale, particulièrement sensible aux questions de gouvernance dans ce petit pays côtier.

Mais rien n’est joué. La durée d’un an annoncée pour la transition reste théorique. L’histoire bissau-guinéenne montre que les calendriers fixés par les juntes sont rarement respectés.

Et pendant ce temps, la population retient son souffle, habituée à ces soubresauts mais toujours inquiète des lendemains incertains.

La Guinée-Bissau nous rappelle, une fois de plus, que la démocratie reste fragile là où les armes ont pris l’habitude de trancher les différends politiques. L’espoir d’une sortie de crise rapide repose désormais sur la capacité des nouveaux maîtres du pays à surprendre… positivement cette fois.

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