Imaginez : vous avez voté il y a trois jours, vous attendez les résultats, et soudain des hommes cagoulés armés déboulent, arrachent les téléphones, brûlent les bulletins et emportent les serveurs. Ce n’est pas le scénario d’un thriller politique, c’est ce qui s’est réellement passé à Bissau le 26 novembre dernier.
Un coup d’État qui stoppe net le processus démocratique
La Guinée-Bissau, petit pays lusophone d’Afrique de l’Ouest souvent qualifié de « narco-État » en raison de son instabilité chronique, vient de vivre son énième soubresaut politique. Le 26 novembre, à la veille de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle et législative du 23 novembre, l’armée a renversé le président Umaro Sissoco Embalo, au pouvoir depuis 2020.
En quelques heures, le processus électoral a été purement et simplement suspendu. Une junte a pris le pouvoir et nommé le général Horta N’Tama à la tête d’une transition censée durer un an.
La commission électorale dans l’impossibilité totale de publier les résultats
Mardi, le secrétaire exécutif adjoint de la Commission nationale des élections (CNE), Idriça Djalo, a tenu une conférence de presse lourde de conséquences. Son message était clair : il est impossible de proclamer les résultats.
La raison ? Tout le matériel électoral a été détruit et la quasi-totalité des procès-verbaux a disparu dans des conditions violentes.
« Les conditions logistiques et matérielles ne sont pas réunies pour conclure le processus électoral et proclamer les résultats. Tout le matériel a été détruit et il n’y a aucun procès-verbal des élections. »
Idriça Djalo, secrétaire exécutif adjoint de la CNE
Ce n’est pas une simple panne technique. C’est une annihilation délibérée du scrutin.
Le récit glaçant du raid dans les locaux de la CNE
Idriça Djalo a décrit minute par minute l’assaut mené le jour du coup d’État. Vers midi, un groupe d’hommes armés et cagoulés a fait irruption dans la salle de compilation des résultats à Bissau.
Quarante-cinq membres de la commission étaient présents, ainsi que le président de la CNE, Mpabi Cabi, et cinq juges de la Cour suprême. Tous ont été menacés sous la menace des armes.
Les téléphones portables ont été arrachés des mains, les procès-verbaux déjà compilés ont été détruits sur place. Le serveur central contenant les données nationales a été fracassé.
Pire encore : les procès-verbaux des régions d’Oio et de Cacheu – deux zones où les réserves de voix étaient importantes – qui étaient en cours de transfert vers la capitale, ont été interceptés sur la route par d’autres hommes armés et purement confisqués.
Récapitulatif des éléments détruits ou confisqués :
- Tous les procès-verbaux présents dans la salle de compilation
- Le serveur principal contenant les données consolidées
- Les téléphones de l’ensemble des 45 personnes présentes
- Les procès-verbaux des régions Oio et Cacheu interceptés en cours de route
- Une partie du matériel informatique et bureautique
La Cédéao mise devant le fait accompli
Lundi, une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est rendue à Bissau pour évaluer la situation. Elle a directement interrogé la commission électorale : était-il encore possible de poursuivre le processus et de publier les résultats ?
La réponse a été sans appel : non.
La Cédéao, qui avait pourtant condamné fermement le coup d’État et exigé le retour à l’ordre constitutionnel, se retrouve aujourd’hui face à une réalité brutale : il n’existe plus de trace exploitable du vote du 23 novembre.
Un pays habitué aux coups d’État, mais jamais à ce point
Depuis son indépendance du Portugal en 1974, la Guinée-Bissau a connu une impressionnante série de coups d’État, de tentatives de coup d’État et de crises politiques majeures. Aucun président élu n’a jamais terminé son mandat complet de façon paisible.
Mais cette fois, l’atteinte à la souveraineté populaire atteint un niveau inédit. Détruire physiquement les preuves du vote, c’est nier purement et simplement la voix des citoyens.
En supprimant les procès-verbaux, la junte s’assure qu’aucun recours juridique ne pourra rétablir les résultats réels. Le scrutin est rayé de l’histoire.
Quelles conséquences pour la transition d’un an ?
Le général Horta N’Tama a été nommé président de transition et un Premier ministre a été désigné. Le calendrier annoncé prévoit un retour à l’ordre constitutionnel dans un an.
Mais sans résultats officiels du scrutin du 23 novembre, la légitimité même de cette transition est mise en doute. Qui a vraiment gagné l’élection ? Umaro Sissoco Embalo était-il en passe d’être réélu ou battu ? Personne ne le saura jamais avec certitude.
Cette opacité risque de nourrir des contestations durables et d’alimenter de nouvelles tensions dans un pays déjà profondément fracturé.
Un précédent dangereux pour toute l’Afrique de l’Ouest
La méthode utilisée – destruction physique des preuves électorales – pourrait faire école. Dans une région où les coups d’État se multiplient (Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry, Niger…), cette technique radicale offre un modèle terrifiant : plus besoin de contester les résultats, il suffit de les faire disparaître.
La Cédéao, déjà affaiblie par ses difficultés à faire respecter ses sanctions, voit son autorité sérieusement remise en cause.
Et pendant ce temps, les Bissau-Guinéens, eux, restent dans l’attente. Leur vote du 23 novembre a été réduit en cendres, littéralement.
La démocratie, dans ce petit pays de deux millions d’habitants, vient de vivre un de ses plus sombres chapitres.
Le vote du peuple bissau-guinéen a été effacé en quelques minutes.
Une transition d’un an commence, mais sur quelles bases ?
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – 3127 mots)









