Imaginez-vous au cœur de Bissau, vendredi matin. Le soleil se lève à peine sur la grande artère qui relie le port au palais présidentiel. Hier encore, cette avenue était quasi déserte, quadrillée par des militaires. Aujourd’hui, les taxis klaxonnent à nouveau, quelques passants pressent le pas, et la vie semble timidement reprendre ses droits. Pourtant, le pays vient de vivre un nouveau coup d’État, le énième depuis son indépendance.
Un retour progressif à la normale dans la capitale
Dès les premières heures de ce vendredi, les Bissau-Guinéens ont pu constater un allègement visible du dispositif sécuritaire. Les barrages les plus visibles ont été levés, notamment autour du palais présidentiel. Les véhicules circulent de nouveau librement sur les axes principaux.
Les journalistes présents sur place ont observé que les taxis et les voitures particulières empruntent sans encombre la grande avenue centrale. Quelques piétons réapparaissent sur les trottoirs, signe que la peur reflue doucement.
Dans les quartiers périphériques, le mouvement reste plus timide. Les marchés ont bien rouvert leurs étals, mais la fréquentation demeure faible. Beaucoup préfèrent encore rester chez eux, observant l’évolution de la situation avant de reprendre pleinement leurs activités.
Les mesures immédiates prises par la junte
Dès jeudi, le Haut commandement militaire pour la restauration de l’ordre (HCM) a multiplié les gestes d’apaisement. Le couvre-feu nocturne imposé la veille a été levé. Un signal fort envoyé à la population.
Autre décision importante : la réouverture de toutes les frontières, fermées depuis mercredi après-midi. Les liaisons terrestres avec le Sénégal et la Guinée Conakry ont donc repris normalement.
Enfin, les nouvelles autorités ont ordonné la réouverture immédiate des écoles, des marchés et des institutions privées. Objectif affiché : permettre à la vie économique et sociale de redémarrer le plus vite possible.
« Nous voulons que la population reprenne ses activités normales dans les meilleurs délais »
Un communiqué du HCM diffusé jeudi soir
Le déroulé des événements depuis mercredi
Mercredi, l’annonce tombe comme un coup de tonnerre : des militaires déclarent avoir pris le « contrôle total » du pays. Ils interrompent immédiatement le processus électoral, alors que les résultats provisoires des élections présidentielle et législatives du 23 novembre étaient sur le point d’être proclamés.
Jeudi, la junte passe à l’étape suivante : elle nomme le général Horta N’Tama, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, à la tête du Haut commandement militaire. Sa mission : diriger une transition politique censée durer un an.
Cette nomination officialise la prise de pouvoir par les militaires et marque le début d’une nouvelle période d’incertitude pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.
Un pays habitué aux soubresauts politiques
La Guinée-Bissau n’en est malheureusement pas à son premier coup d’État. Depuis son indépendance du Portugal en 1974, le pays a connu quatre putschs réussis et une multitude de tentatives avortées.
Les proclamations de résultats électoraux ont souvent servi de détonateur à des crises. Le scrutin du 23 novembre 2025 n’a pas échappé à la règle : les tensions étaient déjà palpables avant même l’intervention militaire.
Située entre le Sénégal au nord et la Guinée Conakry au sud, la Guinée-Bissau reste l’un des États les plus instables de la région. Cette instabilité chronique freine son développement malgré des ressources naturelles importantes.
Le sort de l’ancien président Umaro Sissoco Embalo
Jeudi soir, l’information est confirmée : l’ex-président Umaro Sissoco Embalo, destitué par le coup d’État, a quitté le territoire. Il a atterri sain et sauf au Sénégal à bord d’un avion affrété par les autorités sénégalaises.
Cette évacuation rapide vers le pays voisin illustre les liens étroits entre Dakar et Bissau, mais aussi la volonté sénégalaise de jouer un rôle de médiateur dans la crise.
Pour l’instant, aucune information n’a filtré sur les conditions exactes de son départ ni sur ses intentions futures. Reste à savoir s’il tentera de mobiliser un soutien international pour revenir au pouvoir.
Les premières réactions de l’opposition
Fernando Dias, principal adversaire d’Umaro Sissoco Embalo lors du scrutin du 23 novembre, n’a pas tardé à réagir. Il affirme avoir remporté l’élection présidentielle et va plus loin : il accuse l’ancien président d’avoir lui-même « organisé » le coup d’État.
Cette déclaration est explosive. Elle laisse entendre que le putsch pourrait avoir été orchestré pour éviter la proclamation d’une victoire de l’opposition. Une thèse qui, si elle était prouvée, changerait radicalement la lecture des événements.
Pour l’instant, aucune preuve tangible n’a été apportée à l’appui de cette accusation. Mais elle alimente déjà les débats au sein de la classe politique bissau-guinéenne.
Quelles perspectives pour la transition ?
Le général Horta N’Tama a été investi pour diriger une transition d’un an. Mais les contours de cette période restent flous. Qui composera le gouvernement de transition ? Quelles institutions seront maintenues ?
La communauté internationale observe la situation avec attention. La CEDEAO, qui avait déjà sanctionné la Guinée-Bissau par le passé lors de précédents coups d’État, pourrait rapidement se saisir du dossier.
Pour les Bissau-Guinéens, l’enjeu est simple : éviter que cette énième crise ne plonge le pays dans une nouvelle spirale de violence. Le retour à la normale observé ce vendredi est encourageant, mais fragile.
À retenir :
- Dispositif sécuritaire allégé dans Bissau
- Frontières, écoles et marchés rouverts
- Transition dirigée par le général Horta N’Tama pour un an
- Ancien président Embalo exfiltré vers le Sénégal
- Accusations croisées entre pouvoir destitué et opposition
En ce vendredi matin, Bissau respire à nouveau. Les klaxons des taxis jaunes, les odeurs de poisson grillé sur les petits marchés, les discussions animées aux coins de rue… Tous ces petits riens qui font la vie quotidienne reviennent peu à peu.
Mais derrière cette apparente sérénité, le pays se trouve à un carrefour. La transition qui s’ouvre sera-t-elle l’occasion de tourner enfin la page de l’instabilité chronique ? Ou simplement un énième épisode d’un cycle infernal ?
Une chose est sûre : les prochains jours seront décisifs. La population, habituée aux soubresauts, observe et attend. Avec l’espoir, cette fois, que la paix dure un peu plus longtemps.









