Imaginez un pays où les résultats d’État sont presque une tradition. Un pays où, la veille de l’annonce des résultats d’une élection présidentielle, l’armée surgit, renverse le pouvoir en place et gèle tout le processus démocratique. Ce scénario, aussi incroyable qu’il paraisse ailleurs, vient à nouveau de se produire en Guinée-Bissau.
Un énième coup de force dans un pays habitué aux soubresauts
Le 26 novembre dernier, alors que la commission électorale s’apprêtait à publier les résultats provisoires des élections présidentielle et législatives du 23 novembre, des militaires ont pris d’assaut les institutions. Le président sortant, Umaro Sissoco Embalo, au pouvoir depuis 2020, a été destitué. Le processus électoral a été immédiatement suspendu.
Quelques jours plus tard, la junte a nommé le général Horta N’Tam, pourtant considéré comme un proche de l’ancien président, à la tête d’une transition prévue pour durer un an. Un Premier ministre a également été désigné, marquant le début d’une nouvelle période d’incertitude dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest coincé entre le Sénégal et la Guinée Conakry.
Le Conseil national de transition : un organe aux contours flous
Jeudi, une résolution officielle du Haut commandement militaire pour la restauration de l’ordre constitutionnel a annoncé la création d’un Conseil national de transition. Cet organe est présenté comme un espace de concertation politique chargé de préparer les instruments juridiques de la transition et de contrôler les activités des pouvoirs transitoires.
Problème : le texte ne précise ni la composition de ce conseil, ni les critères de sélection de ses membres. Autrement dit, on sait qu’il existe, mais pas vraiment qui le dirige ni comment il fonctionne. Cette opacité alimente les interrogations sur la réelle volonté de la junte de rendre le pouvoir aux civils dans les délais annoncés.
« Les forces armées ont été à nouveau obligées d’intervenir, provoquant un nouveau changement de l’ordre constitutionnel par la voie de la force »
Résolution du Haut commandement militaire
La justification officielle : éviter une guerre civile ethnique
Dans leur résolution, les militaires expliquent leur intervention par une situation politique « grave ». Selon eux, les contestations et crispations autour du scrutin risquaient de dégénérer en conflit armé à caractère ethnique. Un argument déjà entendu lors de précédents coups d’État dans le pays.
La Guinée-Bissau compte plus d’une trentaine d’ethnies, parmi lesquelles les Balantes, les Peuls, les Mandingues ou les Papels. Les tensions intercommunautaires ont parfois été instrumentalisées par le passé, mais rien dans les jours précédant le coup ne laissait présager un embrasement généralisé.
L’opposition crie à la manipulation
Du côté de l’opposition, on ne croit pas un mot de cette version. Fernando Dias, principal challenger d’Umaro Sissoco Embalo lors du scrutin du 23 novembre, a affirmé dès le lendemain du coup avoir remporté l’élection. Plus accablant encore : il accuse l’ancien président d’avoir lui-même « organisé » le putsch afin d’éviter une défaite électorale humiliante.
Une thèse qui peut paraître paradoxale – pourquoi un président organiserait-il son propre renversement ? – mais qui trouve écho chez certains analystes. La nomination du général Horta N’Tam, fidèle parmi les fidèles d’Embalo, à la tête de la transition alimente cette hypothèse d’un coup d’État « arrangé » pour conserver le pouvoir par d’autres moyens.
Des élections dans le flou total
Conséquence directe du coup de force : la commission électorale a annoncé mardi qu’elle n’était plus en mesure de publier les résultats. Motif invoqué ? La destruction de nombreux procès-verbaux et de matériel électoral par des hommes armés cagoulés le jour même du putsch.
Des milliers de bulletins ont disparu ou ont été endommagés. Impossible donc de savoir officiellement qui de Fernando Dias ou d’Umaro Sissoco Embalo l’avait emporté. Cette opacité renforce le sentiment que le coup d’État a surtout servi à enterrer un résultat défavorable au pouvoir sortant.
Chronologie express des événements
- 23 novembre : Élections présidentielle et législatives
- 26 novembre : Coup d’État militaire, destitution d’Embalo
- 27 novembre : Fernando Dias revendique la victoire
- Début décembre : Nomination du général Horta N’Tam et création du Conseil national de transition
Un pays champion des coups d’État
Depuis son indépendance du Portugal en 1974, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État réussis et une multitude de tentatives. Aucun président élu n’a jamais terminé son mandat normalement. L’armée, souvent divisée elle-même en clans, a toujours joué un rôle central dans la vie politique.
Ce nouvel épisode s’inscrit donc dans une longue série. Mais il se distingue par son timing : intervenir la veille de la proclamation des résultats reste une première. Comme si l’attente du verdict des urnes était devenue insupportable pour certains.
Quelle suite pour la transition ?
La junte promet une transition d’un an. Mais dans un pays où les militaires ont rarement respecté leurs engagements, le scepticisme est de mise. La communauté internationale, par la voix de la CEDEAO, a condamné le coup et exigé un retour rapide à l’ordre constitutionnel.
Pour l’instant, tout reste suspendu à la bonne volonté des nouvelles autorités. Le Conseil national de transition sera-t-il inclusif ? Les élections seront-elles réellement organisées dans les douze mois ? Ou assisterons-nous, une fois de plus, à une prolongation indéfinie du pouvoir militaire ?
Une chose est sûre : en Guinée-Bissau, l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter. Et pour l’instant, rien n’indique que ce énième chapitre sera le dernier.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – environ 3200 mots)









