InternationalPolitique

Coup d’État en Guinée-Bissau : Embalo Prisonnier d’un Putsch Suspect

Mercredi, des tirs éclatent à Bissau et l'armée annonce prendre le pouvoir juste avant la proclamation des résultats. Le président Embalo est détenu... mais certains parlent déjà d'un coup monté par lui-même pour éviter la défaite. Et si ce putsch était l'ultime manœuvre d'un président aux abois ?

Imaginez la scène : vous êtes à Bissau, il est midi passé, et soudain des rafales d’armes automatiques déchirent le silence habituel de la capitale. En quelques heures, l’armée annonce avoir pris le « contrôle total » du pays et suspend les élections qui devaient consacrer ou renverser le président en place. Ce n’est pas un film. C’est la Guinée-Bissau, mercredi 27 novembre 2025.

Un coup de force aussi brutal que mystérieux

Tout commence par des tirs nourris près du palais présidentiel. Rapidement, un communiqué militaire tombe : les forces armées viennent de prendre le pouvoir et interrompent immédiatement le processus électoral lancé quatre jours plus tôt. Le président sortant, Umaro Sissoco Embalo, est arrêté et placé en détention dans une résidence surveillée.

Dans la foulée, les frontières sont fermées, les médias publics et privés réduits au silence, un couvre-feu instauré. Le lendemain pourtant, signe troublant de maîtrise, les frontières rouvrent et le couvre-feu est levé. Comme si les putschistes avaient déjà tout sous contrôle… ou su exactement jusqu’où aller.

Une transition taillée sur mesure

Jeudi matin, les militaires désignent le général Horta N’Tama, ancien chef d’état-major de l’armée de terre et surtout figure considérée comme très proche du président déchu, pour diriger une transition censée durer un an. À ses côtés, le nouveau chef d’état-major des armées n’est autre que le général Tomas Djassi, ex-chef d’état-major particulier… d’Umaro Sissoco Embalo lui-même.

Autrement dit, les hommes qui dirigent désormais le pays sont ceux qui, il y a encore quelques jours, étaient les plus fidèles collaborateurs du président désormais « prisonnier ». Cette proximité interpelle immédiatement observateurs et diaspora.

« C’est le scénario idéal pour M. Embalo qui pourrait, suite à des négociations, être libéré et éventuellement se repositionner pour les prochaines élections »

Un chercheur ouest-africain spécialiste de la Guinée-Bissau, sous couvert d’anonymat

Des résultats qui sentaient la défaite

Avant le coup de force, des résultats provisoires non officiels circulaient dans Bissau. Ils plaçaient largement en tête le candidat de l’opposition Fernando Dias, soutenu par le leader historique Domingos Simões Pereira et une partie de l’ancien parti au pouvoir, le PAIGC – recalé pour vice de forme aux élections.

Le camp Embalo avait pourtant revendiqué la victoire dès mardi soir. Mais plus les heures passaient, plus les chiffres qui fuyaient donnaient l’avantage à l’opposition. Juste au moment où la commission électorale s’apprêtait à publier les tendances définitives, l’armée intervient.

Coïncidence ? Difficile à avaler pour beaucoup.

Le spectre du narcotrafic brandi comme justification

Pour légitimer leur action, les militaires évoquent une menace imminente : les services de renseignement auraient découvert un complot impliquant des « barons de la drogue » et l’introduction massive d’armes destinées à renverser l’ordre constitutionnel.

La Guinée-Bissau n’a pas volé sa réputation de plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Des généraux, des politiques, parfois des présidents ont été accusés de complicité. Mais brandir cette carte précisément au moment où le président sortant risquait de perdre le pouvoir laisse sceptique.

Surtout quand on sait que Umaro Sissoco Embalo lui-même a été soupçonné à plusieurs reprises, sans preuves irréfutables, de liens troubles avec certains réseaux. Utiliser le narcotrafic comme prétexte alors qu’on est soi-même dans le viseur de la DEA américaine depuis des années relève de l’ironie tragique.

Un président étrangement libre de parler

Autre détail qui alimente les thèses du coup monté : dans les heures qui suivent son arrestation, le président Embalo est joignable par téléphone et donne même des interviews à des médias internationaux. Un prisonnier politique qui conserve son portable et discute tranquillement avec la presse ? L’histoire a du mal à passer.

« Il est détenu mais en sécurité », précisent les militaires. Une détention dorée qui ressemble davantage à une mise en scène qu’à un véritable renversement.

La diaspora parle d’un « coup d’État inventé »

Dans les groupes WhatsApp et sur les réseaux sociaux, la diaspora bissau-guinéenne s’enflamme. Pour beaucoup, il s’agit ni plus ni moins d’un auto-putsch. Le porte-parole du mouvement civique Firkidja di Pubis, Yussef Gomes, est catégorique :

« Il s’agit d’un coup inventé dont l’objectif fondamental est de mettre un terme à un processus électoral qui allait démontrer de façon claire la défaite copieuse d’Umaro Sissoco Embalo »

Lucia Bird, directrice de l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest, abonde : si les résultats qui circulaient étaient exacts, « la personne qui avait le plus à perdre était le président lui-même ».

Un précédent qui pèse lourd

Ce n’est pas la première fois que la Guinée-Bissau vit un tel scénario. Le pays détient le record peu enviable de coups d’État et tentatives depuis l’indépendance en 1974. Mais celui-ci a une saveur particulière : il intervient au moment précis où le pouvoir risquait de basculer pacifiquement dans les urnes.

En 2019 déjà, Embalo avait accédé au pouvoir dans un climat de contestation extrême, avec des résultats contestés et une validation tardive par la Cour suprême. Six ans plus tard, il semblait prêt à tout pour ne pas quitter le palais.

Et maintenant ?

La communauté internationale observe, condamne mollement, mais la CEDEAO, habituée aux crises dans la région, n’a pour l’instant pas annoncé de sanctions fortes. Peut-être parce que beaucoup soupçonnent que la situation pourrait se dénouer rapidement… avec un Embalo « libéré » et une nouvelle élection dans un an, sous conditions évidemment favorables.

En attendant, Bissau reste sous haute surveillance militaire, les rues sont quasi désertes, et la population, lasse de ces éternels soubresauts, attend de voir si ce énième coup de force débouchera sur plus de stabilité… ou sur le énième chapitre d’une tragédie sans fin.

Une chose est sûre : en Guinée-Bissau, la démocratie reste un sport de combat. Et pour l’instant, c’est encore l’uniforme qui arbitre.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.