Imaginez-vous réveillé en sursaut un dimanche matin par une annonce à la télévision nationale : des militaires en treillis déclarent avoir pris le pouvoir et destitué le président en exercice. Scène de film ? Non. C’est exactement ce qui s’est produit au Bénin ce week-end. En quelques heures seulement, les autorités ont repris la situation en main. Soulagement général, mais aussi immense inquiétude face à la fragilité démocratique qui semble gangrener l’Afrique de l’Ouest.
Un coup d’État avorté en direct à la télévision
Tout commence dans la matinée du dimanche. Des hommes en uniforme font irruption dans les studios de la télévision publique béninoise. Micro en main, ils proclament la suspension de la Constitution et la destitution du président Patrice Talon. Le pays retient son souffle. Les réseaux sociaux s’enflamment, les chancelleries étrangères suivent la situation minute par minute.
Mais l’histoire ne dure que quelques heures. Rapidement, les forces loyalistes reprennent le contrôle des lieux stratégiques. Le gouvernement annonce officiellement avoir déjoué une tentative de coup d’État. Les putschistes sont arrêtés ou en fuite. La vie reprend peu à peu son cours à Cotonou, même si la stupeur reste palpable.
« La tentative de prise du pouvoir par la force survenue ce dimanche matin au Bénin constitue une violation grave des principes démocratiques »
Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie
La réaction immédiate de la Francophonie
Dès les premières heures, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a publié un communiqué sans ambiguïté. Sa secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, a condamné « avec la plus grande fermeté » cette tentative de putsch.
Elle a également salué la réactivité des autorités béninoises qui ont permis de « rétablir rapidement la situation ». Un message clair : la communauté francophone ne tolérera pas de nouvelle rupture de l’ordre constitutionnel.
Mais l’OIF va plus loin. Elle pointe du doigt un phénomène profondément préoccupant : la multiplication des coups d’État dans la région.
Une vague inquiétante en Afrique de l’Ouest
Le Bénin était jusqu’à présent considéré comme un îlot de stabilité relatif dans une sous-région en pleine tourmente. Depuis 2020, pas moins de cinq pays voisins ou proches ont connu des putschs réussis :
- 2020 et 2021 : deux coups d’État au Mali
- 2022 : Burkina Faso (deux coups la même année)
- 2023 : Niger
- 2021 : Guinée Conakry
- Novembre 2024 : tentative en Guinée-Bissau
Et maintenant, le Bénin frôle le pire. Même si l’opération a échoué, le simple fait qu’une partie de l’armée ait osé prendre les armes contre le pouvoir en place en dit long sur les tensions qui couvent.
Louise Mushikiwabo parle d’une « multiplication préoccupante des ruptures de l’ordre démocratique » qui « fragilisent durablement la stabilité et les institutions de la région ». Des mots forts, rarement employés avec une telle gravité par l’OIF.
Le Bénin, une démocratie sous pression
Depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon en 2016, le Bénin a connu une concentration croissante du pouvoir. L’opposition dénonce régulièrement des élections peu transparentes, l’emprisonnement de figures politiques et une restriction de l’espace civique.
Pourtant, le pays reste l’un des plus dynamiques économiquement de la région ouest-africaine. Croissance solide, port de Cotonou en pleine expansion, réformes ambitieuses… Mais cette prospérité ne profite pas à tous, et les frustrations s’accumulent, notamment dans le nord du pays où les attaques jihadistes se multiplient.
Patrice Talon, qui achèvera son second mandat en avril 2026, a déjà annoncé qu’il ne se retirerait du pouvoir. Une promesse rare en Afrique, mais qui n’empêche pas les spéculations sur une possible modification constitutionnelle ou sur une candidature d’un dauphin choisi.
Pourquoi ce coup a-t-il échoué si vite ?
Plusieurs éléments expliquent la rapidité avec laquelle les autorités ont repris la main :
- Manque de préparation évident des putschistes
- Absence de soutien populaire visible dans les rues
- Réaction immédiate des unités loyalistes
- Probable absence de coordination avec d’autres corps de l’armée
Contrairement aux coups réussis au Mali ou au Burkina, aucune foule n’est descendue acclamer les militaires. Au contraire, la société civile et de nombreux citoyens ont rapidement exprimé leur attachement à l’ordre constitutionnel.
Les conséquences à venir
Cette tentative, même ratée, laisse des traces. Elle révèle des fissures au sein de l’appareil sécuritaire béninois. Elle risque aussi de renforcer la méfiance du pouvoir en place, qui pourrait justifier un durcissement sécuritaire au nom de la stabilité.
Pour l’Afrique de l’Ouest tout entière, c’est un signal d’alarme supplémentaire. La CEDEAO, déjà affaiblie par le départ du Mali, du Burkina et du Niger, voit son autorité contestée. Les sanctions contre les juntes peinent à produire des effets, et les transitions traînent en longueur.
L’Organisation internationale de la Francophonie, avec ses 90 membres et observateurs, se pose plus que jamais en gardienne des principes démocratiques. Son communiqué, loin d’être une simple formalité, s’inscrit dans une série d’alertes lancées ces dernières années.
« Tant que les frustrations populaires ne trouveront pas de réponses par les urnes et le dialogue, les tentations putschistes resteront vives. L’Afrique de l’Ouest paie aujourd’hui le prix d’une gouvernance déconnectée et d’une jeunesse sans perspective. »
— Analyse partagée par de nombreux observateurs régionaux
Vers une sortie de crise durable ?
Le Bénin a évité le pire. Mais évitera-t-il la contagion ? Tout dépendra de la capacité du pouvoir à ouvrir un dialogue réel avec l’opposition, à organiser une transition apaisée en 2026 et à répondre aux aspirations d’une population jeune et de plus en plus exigeante.
En attendant, l’Afrique de l’Ouest retient son souffle. Chaque dimanche matin peut désormais réserver son lot de surprises. Et la démocratie, si chèrement acquise dans les années 1990, semble plus fragile que jamais.
Une chose est sûre : l’échec de ce coup d’État ne signe pas la fin des tensions. Il en est peut-être même le révélateur le plus brutal.









