À quelques jours de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, prévue pour samedi, le pays est secoué par une vague de tensions politiques. Dans les rues d’Abidjan et d’autres villes, des manifestations interdites par les autorités ont donné lieu à des arrestations massives et à des condamnations sévères. Mardi soir, 32 personnes ont été condamnées à trois ans de prison ferme pour avoir participé à une marche non autorisée. Ce verdict, prononcé dans un climat déjà tendu, soulève des questions sur la liberté d’expression et le rôle des forces de l’ordre dans un contexte électoral explosif. Que se passe-t-il en Côte d’Ivoire, et quelles sont les implications pour l’avenir politique du pays ?
Un Contexte Électoral Explosif
À l’approche du scrutin présidentiel, la Côte d’Ivoire traverse une période de crispations. Les deux principaux partis d’opposition, emmenés par des figures comme Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, ont vu leurs leaders exclus de la course électorale par des décisions judiciaires controversées. Cette exclusion a déclenché une série de manifestations dans plusieurs villes, notamment dans le sud et l’ouest du pays, où l’opposition bénéficie d’un soutien historique. Ces marches, bien que pacifiques selon les organisateurs, ont été interdites par le gouvernement, qui invoque des risques de troubles à l’ordre public.
Depuis le début du mois d’octobre, les autorités ont procédé à environ 700 arrestations à travers le pays. Parmi les motifs invoqués, on retrouve des accusations graves, allant de la participation à des marches non autorisées à des actes qualifiés de terrorisme par le procureur de la République. Cette répression a exacerbé les tensions, ravivant les souvenirs des violences électorales de 2020, qui avaient causé la mort de 85 personnes.
Des Condamnations Controversées
Le verdict prononcé mardi soir à Abidjan a mis en lumière la fermeté des autorités face aux manifestations. Les 32 condamnés ont écopé de trois ans de prison pour troubles à l’ordre public et attroupement sur la voie publique. Pourtant, selon leurs avocats, les preuves de leur participation à la marche du 11 octobre, dispersée à coups de gaz lacrymogène, sont inexistantes. Les accusés ont nié en bloc, affirmant qu’ils vaquaient à leurs occupations quotidiennes – courses, travail – lorsqu’ils ont été arrêtés.
Nous allons faire dès demain appel de cette décision que nous trouvons injuste, parce que toute l’instruction a démontré que les personnes qui étaient présentées à la barre n’ont pas été appréhendées sur le parcours de la marche.
Me Roselyne Serikpa, avocate de la défense
Ce n’est pas la première fois que de telles peines sont prononcées. La semaine précédente, une trentaine d’autres manifestants avaient également été condamnés à trois ans de prison. Ces jugements rapides et sévères suscitent l’indignation des défenseurs des droits humains, qui dénoncent un cadre répressif visant à museler l’opposition.
Une Opposition sous Pression
Les partis d’opposition, notamment le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dirigé par Tidjane Thiam, accusent le pouvoir en place de chercher à étouffer toute forme de contestation. Lors d’une conférence de presse, Calice Yapo, porte-parole adjoint du PDCI, a appelé à un dialogue politique urgent pour apaiser les tensions. Il a également exhorté la population à se mobiliser pacifiquement pour faire entendre ses revendications.
Les griefs de l’opposition portent principalement sur l’exclusion de figures majeures comme Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, écartés par des décisions judiciaires. Ces exclusions, perçues comme des manœuvres politiques, ont alimenté un sentiment d’injustice parmi leurs partisans. Par ailleurs, la candidature d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat est vivement contestée, accentuant la fracture entre le pouvoir et ses adversaires.
Fait marquant : Depuis une semaine, des barrages routiers et des tentatives de marches ont été observés dans plusieurs villes, notamment dans d’anciens bastions de l’opposition. Ces actions ont parfois dégénéré, causant la mort de trois personnes, dont deux manifestants et un gendarme.
Un Déploiement Sécuritaire Massif
Face à ces tensions, le gouvernement ivoirien a mobilisé pas moins de 44 000 membres des forces de l’ordre à travers le pays pour sécuriser la période électorale. Cette présence massive vise, selon les autorités, à protéger le pays du désordre. Cependant, cette approche musclée est critiquée par plusieurs organisations non gouvernementales, qui dénoncent une restriction excessive de la liberté de manifester.
Le gouvernement justifie ces interdictions en pointant du doigt le caractère subversif des manifestations, marquées, selon lui, par une violence incompatible avec la loi. Pourtant, les organisateurs des marches affirment que leurs actions sont pacifiques et visent simplement à défendre des droits démocratiques fondamentaux.
Un Passé Électoral Douloureux
La Côte d’Ivoire n’en est pas à son premier épisode de violences électorales. En 2020, les affrontements avant et pendant l’élection présidentielle avaient fait 85 morts. Ce précédent tragique hante les esprits à l’approche du scrutin de 2025. Comme l’explique Gilles Yabi, analyste et fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi :
Du fait de l’absence de candidats importants de l’opposition et du fait à nouveau de l’absence de conditions consensuelles pour l’élection, on a beaucoup de crispations.
Gilles Yabi, analyste politique
Cette absence de consensus, combinée à l’exclusion de figures clés de l’opposition, alimente un climat de méfiance. Les quatre candidats encore en lice – Jean-Louis Billon, Simone Ehivet Gbagbo, Ahoua Don Mello et Henriette Lagou – peinent à fédérer une opposition unie face à Alassane Ouattara, favori du scrutin.
Les Enjeux du Scrutin
À quoi faut-il s’attendre samedi ? Le scrutin s’annonce tendu, avec des risques de nouveaux débordements. Voici les principaux enjeux :
- Participation électorale : La mobilisation des électeurs sera cruciale, mais les tensions pourraient décourager certains de se rendre aux urnes.
- Transparence du scrutin : Les accusations de fraude et de manipulation électorale, récurrentes en Côte d’Ivoire, pourraient refaire surface.
- Réaction de l’opposition : En cas de victoire d’Alassane Ouattara, les partis d’opposition accepteront-ils les résultats, ou appelleront-ils à de nouvelles manifestations ?
- Rôle des forces de l’ordre : Leur présence massive garantira-t-elle la sécurité, ou contribuera-t-elle à exacerber les tensions ?
Le récent incendie d’un bâtiment de la Commission électorale indépendante à Yamoussoukro illustre les défis auxquels le pays est confronté. Cet incident, survenu lundi, a ravivé les craintes d’une escalade des violences.
Vers un Dialogue ou une Confrontation ?
Face à ce climat tendu, la question d’un dialogue politique se pose avec acuité. Les appels de l’opposition à des discussions inclusives restent pour l’instant sans réponse. Pourtant, un tel dialogue pourrait permettre de désamorcer les tensions et de restaurer un climat de confiance avant le scrutin.
Les organisations internationales suivent la situation de près. Plusieurs ONG, tant locales qu’internationales, ont dénoncé les restrictions imposées aux manifestations, appelant à un respect des droits fondamentaux. De son côté, le gouvernement campe sur ses positions, affirmant que la sécurité du pays prime sur tout.
Chiffre clé : 44 000 membres des forces de l’ordre déployés pour sécuriser le scrutin, un signe de l’importance accordée à la stabilité par le gouvernement.
Quel Avenir pour la Côte d’Ivoire ?
À l’approche de l’élection, la Côte d’Ivoire se trouve à un carrefour. Le pays peut-il éviter une nouvelle vague de violences électorales ? La réponse dépendra de plusieurs facteurs : la capacité des autorités à garantir un scrutin transparent, la volonté de l’opposition de privilégier le dialogue, et l’engagement de toutes les parties à respecter les résultats.
Pour l’heure, les tensions restent vives, et les condamnations de manifestants ne font qu’attiser la colère d’une partie de la population. Alors que le scrutin approche, tous les regards sont tournés vers la Côte d’Ivoire, dans l’attente de savoir si le pays parviendra à organiser une élection apaisée ou s’il replongera dans l’instabilité.