À quelques jours d’un scrutin présidentiel qui s’annonce décisif, la Côte d’Ivoire retient son souffle. Les tensions politiques s’intensifient, portées par des accusations graves et des manifestations dans plusieurs régions du pays. L’ancien président, aujourd’hui figure de l’opposition, dénonce une élection qu’il qualifie de véritable hold-up démocratique. Mais que se passe-t-il réellement dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, où le passé politique tumultueux semble resurgir à chaque échéance électorale ?
Une Élection sous Haute Tension
La présidentielle ivoirienne, prévue pour samedi, est au cœur de toutes les discussions. Le président sortant, en poste depuis 2011, se présente pour un quatrième mandat, une décision qui cristallise les frustrations de l’opposition. À 83 ans, Alassane Ouattara est perçu comme le favori incontesté, mais son choix de briguer un nouveau mandat est loin de faire l’unanimité. L’opposition, menée par des figures historiques, accuse le pouvoir de manipuler le processus électoral pour garantir sa victoire.
Dans ce contexte, les exclusions de deux leaders majeurs de l’opposition ont mis le feu aux poudres. Laurent Gbagbo, ancien président, et Tidjane Thiam, ancien dirigeant d’entreprise de renommée internationale, ont vu leurs candidatures rejetées par le Conseil constitutionnel. Ces décisions, basées sur des motifs juridiques, sont perçues par leurs partisans comme une tentative délibérée d’écarter les adversaires les plus sérieux du président sortant.
Laurent Gbagbo : Une Voix Contre le « Coup d’État Civil »
À 80 ans, Laurent Gbagbo reste une figure incontournable de la politique ivoirienne. Dans une récente interview accordée à un média panafricain, il n’a pas mâché ses mots. Il qualifie le scrutin de “coup d’État civil” et dénonce un “braquage électoral”. Ces termes, lourds de sens, reflètent la profondeur de sa colère face à ce qu’il considère comme une injustice. Exclu du scrutin pour une condamnation liée à la crise post-électorale de 2010-2011, Gbagbo affirme que les candidatures les plus compétitives ont été délibérément écartées.
“On a écarté ma candidature, de même qu’on a écarté celle de Tidjane Thiam. Ceux qui peuvent gagner ces élections ont été écartés. Je n’accepte pas ça.”
Laurent Gbagbo
Gbagbo soutient les manifestations de l’opposition, bien qu’il précise ne pas appeler directement ses partisans à descendre dans la rue. Cette nuance montre sa volonté de rester dans une posture de critique sans pour autant inciter à la violence. Cependant, ses propos résonnent dans un pays où les souvenirs de la crise de 2010-2011, qui avait fait plus de 3 000 morts, restent vivaces.
Tidjane Thiam : Une Exclusion Controversée
De son côté, Tidjane Thiam, ancien patron du Crédit Suisse, est également absent de la course électorale. Sa radiation des listes électorales, liée à des questions de nationalité, a suscité de vives critiques. Considéré comme un outsider capable de fédérer une large partie de la population grâce à son profil international, Thiam représentait une menace sérieuse pour le pouvoir en place. Son exclusion, tout comme celle de Gbagbo, alimente le sentiment d’une élection truquée.
Le Conseil constitutionnel, chargé de valider les candidatures, est pointé du doigt pour son manque d’indépendance. Ses décisions, perçues comme favorables au président sortant, ont renforcé la méfiance envers les institutions. Cette situation rappelle à bien des égards les tensions des élections passées, où les accusations de partialité ont souvent dégénéré en violences.
Manifestations et Répression
Depuis plusieurs semaines, des mouvements de protestation éclatent sporadiquement à travers le pays, notamment dans le sud, l’ouest et le centre, des bastions historiques de l’opposition. Ces manifestations, bien que limitées en ampleur, ont déjà causé des pertes humaines. Quatre personnes, dont un gendarme, ont trouvé la mort dans des heurts liés à ces protestations. Une des victimes, un homme de 46 ans, a été tuée par une pierre à la tête alors qu’il aidait à démanteler des barricades près de Yamoussoukro.
- 700 arrestations : Les autorités ont procédé à des interpellations massives, certaines pour des actes qualifiés de “terrorisme”.
- 60 condamnations : Une soixantaine de manifestants ont écopé de trois ans de prison ferme pour troubles à l’ordre public.
- Régions touchées : Sud, ouest et centre, notamment autour de Yamoussoukro.
Le pouvoir a interdit les manifestations, arguant qu’elles risquent de perturber l’ordre public. Cette répression, bien que prévisible, attise la colère des opposants, qui dénoncent une atteinte à leur liberté d’expression. Dans un pays marqué par des décennies de crises politiques, ces événements ravivent les craintes d’une escalade.
Les Candidats en Lice
Face à Alassane Ouattara, quatre candidats se présentent au premier tour. Parmi eux, Jean-Louis Billon, ancien ministre du Commerce et dissident du PDCI, tente de se positionner comme une alternative crédible. Simone Ehivet Gbagbo, ex-épouse de Laurent Gbagbo, et Ahoua Don Mello, ancien proche de ce dernier, représentent des factions issues de l’ancien camp présidentiel. Enfin, Henriette Lagou, déjà candidate en 2015, complète la liste. Cependant, aucun de ces candidats ne semble en mesure de rivaliser avec l’appareil politique bien rodé du président sortant.
Candidat | Profil |
---|---|
Jean-Louis Billon | Ancien ministre, dissident du PDCI |
Simone Ehivet Gbagbo | Ex-épouse de Laurent Gbagbo |
Ahoua Don Mello | Ancien proche de Gbagbo |
Henriette Lagou | Candidate en 2015 |
Laurent Gbagbo, fidèle à sa ligne, a déclaré qu’il ne soutiendrait aucun de ces candidats. “On ne soutient personne. Et on ne soutient même pas la dynamique électorale”, a-t-il affirmé. Cette prise de position traduit un rejet total du processus électoral actuel, qu’il juge illégitime.
Un Avenir Politique Incertain
Dans la même interview, Laurent Gbagbo a surpris en annonçant son intention de se retirer progressivement de la vie politique active. Après les législatives de décembre, il ne briguera plus la direction de son parti, le PPA-CI. “Je vais prendre mon temps pour moi-même et pour ma petite famille. Enfin, je vais vivre un peu, écrire”, a-t-il confié. Cette déclaration marque peut-être la fin d’une ère pour celui qui a dominé la scène politique ivoirienne pendant des décennies.
“Je n’irai pas à la retraite, mais je m’interdirai d’occuper des fonctions politiques, aussi bien à l’intérieur de mon parti qu’à l’extérieur.”
Laurent Gbagbo
Cette annonce, si elle se concrétise, pourrait redessiner le paysage politique ivoirien. Gbagbo, même affaibli par son exclusion du scrutin, reste une figure fédératrice pour une large partie de la population. Son départ pourrait laisser un vide dans l’opposition, à moins qu’une nouvelle génération ne prenne le relais.
Un Pays au Bord de l’Embrasement ?
La Côte d’Ivoire, riche de son cacao et de son dynamisme économique, n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise. Les tensions actuelles rappellent les douloureux souvenirs de 2010-2011, lorsque le refus de Gbagbo de céder le pouvoir à Ouattara avait plongé le pays dans le chaos. Si le climat semble moins explosif aujourd’hui, les ingrédients d’une crise sont bien présents : méfiance envers les institutions, répression des manifestations et sentiment d’injustice parmi les opposants.
Le scrutin de samedi sera un test crucial pour la démocratie ivoirienne. Une victoire écrasante d’Alassane Ouattara, dans un contexte aussi tendu, pourrait exacerber les frustrations. À l’inverse, une gestion transparente et apaisée du processus électoral pourrait apaiser les esprits. Mais pour l’heure, la Côte d’Ivoire navigue en eaux troubles, et l’issue reste incertaine.
En attendant, les regards se tournent vers les leaders de l’opposition et leurs prochaines actions. Laurent Gbagbo, bien que marginalisé par le système électoral, continue de peser dans le débat public. Ses mots, chargés de colère et de défi, résonnent comme un avertissement : le peuple ivoirien, lassé des exclusions et des injustices, pourrait ne pas rester silencieux bien longtemps.