Imaginez une île où le silence est une arme aussi redoutable que les balles. En Corse, ce week-end, plus de 1 500 personnes ont décidé de briser cette omerta oppressante lors d’une manifestation vibrante à Ajaccio. Derrière des banderoles clamant des messages forts, les « vivants » ont crié leur refus de voir leur terre gangrénée par une mafia omniprésente. Un événement rare, soutenu par des élus et marqué par une intervention historique : celle d’un représentant de l’État montant sur un camion pour haranguer la foule.
Une Île Face à Ses Démons
Ce rassemblement n’est pas né de nulle part. Il fait suite à des décennies de violences et de crimes qui ont laissé des cicatrices profondes sur cette île méditerranéenne. Deux collectifs, l’un portant le nom d’un militant nationaliste tué en 2019, l’autre prônant la vie face à la mort imposée par les mafieux, ont appelé à cette mobilisation. Leur but ? Dire stop à une criminalité qui tue, racket et incendie sans relâche.
Un Déclic Après un Drame
Mi-février, une jeune étudiante de 18 ans est tombée sous les balles, probablement victime d’une erreur tragique. Cet assassinat a secoué les consciences et ravivé la colère. Dix jours plus tard, une session spéciale à l’assemblée locale a mis en lumière les dérives mafieuses qui rongent l’île. Pour beaucoup, c’était la goutte d’eau. Les pancartes brandies dans le cortège – « Mafieux, fossoyeurs de notre peuple » ou encore « le silence tue » – traduisent une exaspération palpable.
Nous sommes tous victimes de la mafia. Merci d’être venus troubler ce silence assourdissant qui a duré trop longtemps.
– Une porte-parole d’un collectif antimafia
Une Mobilisation Historique
Le cortège, impressionnant, a réuni entre 1 500 personnes selon les autorités et plus de 3 000 d’après les organisateurs. Des drapeaux corses flottaient dans l’air, accompagnés de slogans percutants. Élus, citoyens, et même un préfet – fait exceptionnel – se sont joints à cette vague de révolte. La présence de responsables politiques, de la droite aux autonomistes, montre l’ampleur du ras-le-bol face à une situation qui échappe à tout contrôle.
La présidente de l’assemblée locale, une figure autonomiste, était là, non seulement en tant que dirigeante, mais aussi comme citoyenne, professeure et mère. Trois des quatre députés de l’île, un sénateur et des militants de divers horizons ont marché côte à côte, unis par un même cri : « A maffia fora ! » – dehors la mafia !
Le Poids du Silence
En Corse, le silence a longtemps été un allié des criminels. Une banderole le résumait parfaitement : « La mafia tue, le silence aussi. » Ce mutisme collectif, imposé par la peur ou la résignation, a permis à la criminalité organisée de prospérer. Mais ce samedi, les voix se sont élevées, portées par une détermination nouvelle. Les organisateurs ont appelé à libérer la parole, à soutenir les victimes et à accompagner celles qui osent porter plainte.
- Des pancartes dénonçant les maffiosi comme des traîtres.
- Un appel à briser l’omerta qui paralyse l’île.
- Une foule unie, des citoyens aux élus, contre un ennemi commun.
Un Bilan Accablant
Les chiffres avancés lors de la manifestation donnent le vertige. En vingt ans, 192 assassinats ou tentatives ont été recensés. En une décennie, 15 chefs d’entreprise et 10 élus ont été tués, tandis que 80 restaurants ont été victimes d’incendies criminels. Ces statistiques, égrenées par un membre d’un collectif, dressent le portrait d’une île où le vrai pouvoir ne serait pas entre les mains des institutions, mais dans celles d’une mafia tentaculaire.
| Type de crime | Période | Nombre |
| Assassinats/tentatives | 20 ans | 192 |
| Élus tués | 20 ans | 10 |
| Chefs d’entreprise tués | 10 ans | 15 |
| Incendies criminels (restaurants) | 10 ans | 80 |
Un Préfet dans la Foule
Fait rarissime, le préfet de région a pris la parole, juché sur un camion au cœur de la manifestation. Dans une île où un préfet a été assassiné en 1998, cette intervention marque un tournant. Sous les applaudissements, il a assuré que ce mouvement populaire avait le soutien de l’État. « Ce rassemblement peut nous donner confiance », a-t-il déclaré, promettant une lutte renforcée contre cette criminalité endémique.
Je suis venu vous dire que vous avez notre soutien. Ce que vous faites aujourd’hui nous donne de l’espoir.
– Le préfet de région
Vers un Changement Législatif ?
Les collectifs ne se contentent pas de manifester. Ils appellent à un renforcement des lois pour contrer cette emprise mafieuse. Parmi les pistes évoquées, le statut de repenti, déjà éprouvé en Sicile avec des résultats probants, est mis en avant. Là-bas, le nombre d’assassinats a chuté de manière significative grâce à cette mesure validée par la justice européenne. En Corse, où la violence reste plus élevée qu’en Sicile aujourd’hui, une telle réforme pourrait-elle changer la donne ?
Des procès importants sont également à venir. Les organisateurs insistent sur la nécessité de soutenir ceux qui osent témoigner, brisant ainsi le mur de silence qui protège les criminels. Une révolution culturelle autant que judiciaire semble en marche.
Et Après ?
Cette manifestation n’est qu’un début. Elle a montré que la société corse, longtemps tétanisée, est prête à se lever. Mais le chemin sera long. Entre la peur des représailles et la puissance des réseaux criminels, la bataille ne fait que commencer. Reste à savoir si ce sursaut citoyen, appuyé par l’État, pourra déraciner un mal qui prospère depuis trop longtemps.
En résumé : Une île se révolte, des voix s’élèvent, et l’espoir renaît. Mais la mafia lâchera-t-elle prise si facilement ?
Ce samedi à Ajaccio, la Corse a envoyé un message clair : les vivants ne se tairont plus. Entre cris de colère et promesses d’action, cette journée pourrait bien marquer le début d’un tournant. À suivre de près.
