Imaginez un instant : vous êtes l’un des hommes les plus puissants d’Espagne, ancien ministre, bras droit du président du gouvernement. Et du jour au lendemain, vous franchissez la porte d’une prison sous les flashs des photographes. C’est exactement ce qui vient d’arriver à José Luis Ábalos.
Un coup de tonnerre dans le ciel déjà orageux du PSOE
Jeudi, le juge Leopoldo Puente a pris une décision qui résonne comme un séisme politique : la mise en détention provisoire de l’ancien ministre des Transports et de son ex-conseiller Koldo García. Le motif ? Un risque de fuite jugé « extrême » dans une enquête tentaculaire sur des contrats de masques attribués de façon irrégulière en pleine pandémie.
Ce n’est plus une simple affaire judiciaire. C’est une bombe à fragmentation qui explose au cœur même du Parti socialiste ouvrier espagnol et menace directement la stabilité du gouvernement de Pedro Sánchez.
De quoi Ábalos et ses proches sont-ils exactement accusés ?
Le parquet ne fait pas dans la dentelle. Dans ses réquisitions provisoires, il demande :
- 24 ans de prison contre José Luis Ábalos
- 19 ans et demi contre Koldo García
- 7 ans contre l’entrepreneur Victor de Aldama
Les chefs d’accusation sont lourds : corruption, trafic d’influence, appartenance à une organisation criminelle et blanchiment de capitaux. Selon le ministère public, les trois hommes auraient conclu un véritable pacte criminel pour s’enrichir personnellement en profitant de la panique sanitaire de 2020.
« Une volonté d’enrichissement personnel sans limite »
Extrait des conclusions du parquet
Le mécanisme était rodé : Ábalos, alors tout-puissant ministre, aurait orienté des marchés publics de plusieurs millions d’euros vers des entreprises liées à Victor de Aldama. En échange ? Des commissions occultes, des cadeaux, des avantages en nature. Le tout pendant que les hôpitaux espagnols manquaient cruellement de matériel de protection.
L’affaire Koldo : une enquête à multiples tiroirs
Ce scandale porte le nom de Koldo García, l’ancien conseiller d’Ábalos devenu le personnage central de l’instruction. Arrêté une première fois en 2024, il avait été remis en liberté avant d’être de nouveau incarcéré jeudi aux côtés de son ancien patron.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Un autre poids lourd du PSOE est touché : Santos Cerdán, actuel secrétaire à l’organisation du parti et numéro 3, a passé cinq mois en détention provisoire dans un volet connexe. Il est soupçonné d’avoir bénéficié du même système de favoritisme dans l’attribution de contrats publics.
En clair, ce n’est pas un, ni deux, mais toute une partie de l’appareil socialiste qui se retrouve éclaboussée par des soupçons de corruption systémique.
Pedro Sánchez au cœur de la tempête
Le président du gouvernement répète inlassablement qu’il n’était au courant de rien. Il s’est excusé plusieurs fois auprès des Espagnols, jurant que le PSOE n’a jamais bénéficié d’aucun financement illégal.
Mais les opposants ne lâchent pas l’affaire. Alberto Núñez Feijóo, leader du Parti populaire, a été particulièrement virulent jeudi soir :
« Monsieur Sánchez n’est pas un homme entouré de pommes pourries. Je crains que ce soit le contraire. La pomme pourrie, c’est lui. »
Alberto Núñez Feijóo, chef de l’opposition
Feijóo a appelé à une grande manifestation dimanche à Madrid « contre les corrompus ». L’opposition sent que le vent tourne et veut transformer cette affaire judiciaire en crise politique majeure.
Et elle a des arguments : outre Ábalos et Cerdán, la femme de Pedro Sánchez (Begoña Gómez) fait l’objet d’une enquête pour trafic d’influence, tout comme son frère David Sánchez pour malversation. Jamais un chef de gouvernement espagnol n’avait été aussi personnellement encerclé par la justice.
Retour sur la chronologie d’un scandale qui dure
Tout commence en février 2024 avec l’arrestation de Koldo García. Très vite, les enquêteurs découvrent des conversations enregistrées, des virements suspects, des cadeaux de luxe. L’enquête révèle que plusieurs administrations (gouvernement central, Baléares, Canaries) ont payé des masques à des prix astronomiques à des sociétés sans expérience dans le domaine médical.
Juillet 2024 : Ábalos est expulsé du groupe socialiste au Congrès mais conserve son siège comme député non-inscrit.
Septembre 2024 : perquisitions au ministère des Transports et au siège du PSOE.
Novembre 2025 : le juge ordonne la détention provisoire des principaux mis en cause et demande leur renvoi devant un tribunal correctionnel.
Pourquoi cette détention provisoire change tout
Jusqu’à présent, Ábalos bénéficiait d’une relative liberté malgré la gravité des charges. Le juge vient de justifier son incarcération par un risque de fuite et de destruction de preuves « extrême ». Traduction : les enquêteurs craignent que des éléments encore plus compromettants soient sur le point de disparaître.
Cette décision intervient aussi quelques jours seulement après la condamnation du procureur général de l’État nommé par Sánchez pour violation du secret professionnel. Un timing qui renforce l’impression d’un pouvoir en pleine déliquescence judiciaire.
Les conséquences politiques à venir
Le gouvernement minoritaire de Pedro Sánchez repose sur des alliances fragiles avec les indépendantistes catalans et basques. Chaque scandale affaiblit un peu plus sa capacité à négocier.
Dans les couloirs du Congrès, on murmure déjà que certains partenaires pourraient exiger des gages d’ici le prochain vote de confiance. Et si l’affaire Koldo remontait encore plus haut ?
Car c’est bien là la question que tout le monde se pose à Madrid : jusqu’où ira l’enquête ? Y aura-t-il d’autres noms prestigieux sur la liste des mis en examen dans les prochains mois ?
Une chose est sûre : l’Espagne entre dans une zone de turbulences politiques inédites depuis la fin du franquisme. Et au centre de la tempête, Pedro Sánchez joue sa survie politique.
L’histoire n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer.









