Imaginez une ministre puissante, bras droit du Premier ministre, suspendue brutalement pour corruption… puis remise en selle trois semaines plus tard par la plus haute juridiction du pays. C’est exactement ce qui vient de se produire en Albanie avec Belinda Balluku. Un rebondissement judiciaire qui fait trembler les couloirs du pouvoir à Tirana et soulève des questions brûlantes sur l’indépendance de la justice.
Un retour surprise au gouvernement
Ce vendredi, la Cour constitutionnelle albanaise a pris tout le monde de court. Elle a autorisé Belinda Balluku, vice-Première ministre et ministre des Infrastructures et de l’Énergie, à reprendre immédiatement ses fonctions. Une décision temporaire, certes, mais qui marque un coup d’arrêt spectaculaire à la procédure lancée contre elle.
Suspendue le 20 novembre dernier par une cour spéciale anti-corruption, la ministre de 52 ans se retrouve donc de nouveau à son bureau. Seule restriction conservée : l’interdiction de quitter le territoire albanais. Un détail qui rappelle que l’affaire est loin d’être close.
Que s’est-il passé exactement ces dernières semaines ?
Retour en arrière. Le parquet spécial anti-corruption et crime organisé (SPAK) met en examen Belinda Balluku pour des faits graves : favoritisme dans deux appels d’offres majeurs. Le premier concerne la construction d’un tunnel de 5,9 kilomètres dans le sud du pays. Le second porte sur un tronçon du périphérique de Tirana. Des projets à plusieurs dizaines de millions d’euros.
Conséquence immédiate : la cour spéciale prononce sa suspension et lui interdit de quitter l’Albanie. Une mesure choc qui prive le gouvernement de l’une de ses figures clés. Edi Rama, le Premier ministre socialiste au pouvoir depuis 2013, parle alors d’une « ingérence brutale » dans le pouvoir exécutif.
« Un acte brutal d’ingérence dans l’indépendance du pouvoir exécutif »
Edi Rama, Premier ministre albanais
La Cour constitutionnelle au cœur de la tempête
C’est le chef du gouvernement lui-même qui saisit la Cour constitutionnelle. Objectif : faire annuler la suspension. Et le pari est gagnant… pour l’instant. Les neuf juges estiment que la question mérite un examen approfondi et décident de réintégrer temporairement la ministre.
Le véritable débat de fond est posé : un tribunal peut-il suspendre un membre du gouvernement avant même un éventuel jugement définitif ? La réponse définitive tombera le 22 janvier prochain, date de l’audience décisive. D’ici là, Belinda Balluku est bel et bien de retour aux affaires.
Des accusations lourdes sur la table
Derrière les manœuvres judiciaires, les faits reprochés sont sérieux. Le SPAK soupçonne un système de favoritisme organisé dans l’attribution de marchés publics stratégiques. Deux autres hauts fonctionnaires du ministère des Infrastructures sont déjà assignés à résidence dans la même affaire.
Belinda Balluku, elle, clame son innocence. « Je coopérerai pleinement avec la justice », a-t-elle déclaré dès le début de la procédure. Une posture classique dans ce genre d’affaires, mais qui ne convainc pas tout le monde dans un pays où la corruption reste un fléau endémique.
Un gouvernement sous pression permanente
Ce n’est pas la première fois que l’exécutif d’Edi Rama est éclaboussé par des scandales. Plusieurs anciens ministres ont déjà été rattrapés par la justice ces dernières années. L’ancien vice-Premier ministre Arben Ahmetaj a même fui le pays en juillet 2023 après avoir été mis en cause.
Jeudi dernier, un ancien ministre de l’Environnement sortait de prison après quatre années derrière les barreaux. Un autre, ex-ministre de la Santé, reste quant à lui en détention pour détournement de fonds et abus de pouvoir. La liste est longue et alimente les critiques de l’opposition qui accuse le pouvoir socialiste de protéger les siens.
L’enjeu européen qui change tout
Au-delà du cas Balluku, c’est tout le processus d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne qui se joue. Bruxelles a fait de la lutte contre la corruption et le crime organisé une condition sine qua non. Chaque affaire de ce type est scrutée à la loupe par les capitales européennes.
Le SPAK, créé en 2019 sous forte pression internationale, a déjà montré les dents. Mais les contre-attaques du pouvoir exécutif, comme celle que nous venons de vivre, soulèvent des doutes sur la réelle indépendance de la justice albanaise. Un équilibre fragile que l’Europe observe avec la plus grande attention.
Que faut-il retenir de ce feuilleton ?
Plusieurs leçons se dégagent déjà de cette séquence mouvementée :
- Le pouvoir exécutif albanais refuse de céder du terrain face à la justice spéciale
- La Cour constitutionnelle se retrouve arbitre d’un conflit institutionnel majeur
- Les accusations de corruption touchent les plus hauts échelons du gouvernement
- L’image internationale de l’Albanie en prend un coup à chaque nouveau scandale
- Le 22 janvier sera une date clé pour l’avenir politique du pays
Belinda Balluku est de retour au gouvernement, mais son fauteuil reste brûlant. Le moindre faux pas d’ici janvier pourrait sceller son sort… et peut-être celui de tout l’exécutif socialiste. Dans les Balkans, la politique ne dort jamais. Et à Tirana, elle vient de se réveiller en sursaut.
(Article mis à jour le 12 décembre 2025 – Suivez l’évolution de l’affaire sur notre site)









