Avez-vous déjà regardé une carte du monde et vous êtes-vous demandé pourquoi l’Afrique semble si petite comparée à l’Europe ou à l’Amérique du Nord ? Cette question, apparemment anodine, cache une distorsion historique qui a façonné notre vision du monde pendant des siècles. Lors d’une intervention remarquée à l’ONU, un ministre togolais a relancé un débat brûlant : celui de la justesse des cartes géographiques. Avec la campagne Correct The Map, il appelle à une révolution cartographique pour rétablir la vérité sur la taille des continents, en particulier celle de l’Afrique. Ce combat, à la croisée de la géographie, de la politique et de la justice, mérite qu’on s’y attarde.
Une carte qui déforme la réalité
La carte du monde telle que nous la connaissons repose majoritairement sur la projection Mercator, une méthode cartographique élaborée au XVIᵉ siècle par le géographe flamand Gerardus Mercator. Conçue pour faciliter la navigation maritime, elle a révolutionné son époque en permettant aux navigateurs de tracer des routes en lignes droites. Cependant, cette projection a un défaut majeur : elle déforme considérablement les tailles des continents, surtout à mesure qu’on s’éloigne de l’équateur.
En pratique, cela signifie que l’Afrique, un continent de plus de 30 millions de kilomètres carrés, apparaît souvent plus petite que le Groenland, qui ne couvre pourtant que 2,1 millions de kilomètres carrés. L’Europe et l’Amérique du Nord, quant à elles, semblent démesurément grandes. Cette distorsion n’est pas seulement une question technique : elle a des implications culturelles, politiques et même psychologiques, en minimisant l’importance de l’Afrique sur la scène mondiale.
Correct The Map : un appel à l’équité
Face à cette injustice cartographique, la campagne Correct The Map, portée par le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, a pris une ampleur internationale. Lors de son discours à l’ONU, il a pointé du doigt les biais de la projection Mercator et plaidé pour une représentation plus fidèle des proportions réelles des continents. Son intervention, loin d’être un simple exercice rhétorique, s’inscrit dans un mouvement plus large visant à redonner à l’Afrique sa juste place dans l’imaginaire collectif.
« La carte actuelle réduit l’Afrique à une fraction de sa taille réelle, tout en amplifiant celle des continents du Nord. Cette distorsion n’est pas neutre : elle reflète une vision du monde biaisée. »
Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères
La campagne propose d’adopter des projections alternatives, comme la projection de Peters ou la projection de Mollweide, qui cherchent à minimiser les distorsions de taille. Ces alternatives, bien que moins populaires, offrent une vision plus équilibrée du monde, où l’Afrique retrouve ses proportions réelles. Mais au-delà des aspects techniques, c’est un message fort qui est porté : celui d’une géographie plus juste, qui ne hiérarchise pas les continents.
Pourquoi cette distorsion pose problème
La projection Mercator, bien qu’utile pour la navigation, a façonné une vision du monde eurocentrée. En réduisant visuellement la taille de l’Afrique, elle a contribué à minimiser son importance dans les esprits. Voici quelques impacts concrets de cette déformation :
- Perception biaisée : Les cartes influencent la manière dont nous percevons les rapports de force mondiaux. Une Afrique « rapetissée » peut sembler moins influente.
- Impact éducatif : Dans les écoles, les cartes Mercator sont omniprésentes, façonnant dès le plus jeune âge une vision biaisée de la géographie.
- Symbolisme politique : Les cartes ne sont pas neutres. Elles reflètent des choix historiques et des rapports de pouvoir.
Ces biais ne sont pas anodins. Ils influencent les politiques internationales, les perceptions culturelles et même les décisions économiques. En plaidant pour une correction des cartes, la campagne Correct The Map cherche à rétablir une forme d’équité symbolique et pratique.
Un combat à l’ONU : une tribune mondiale
L’intervention de Robert Dussey à l’ONU n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une série d’initiatives africaines visant à réaffirmer la place du continent sur la scène internationale. En choisissant une tribune aussi prestigieuse, le ministre togolais a donné à la campagne une visibilité sans précédent. Son discours a résonné auprès de nombreux représentants de pays africains, qui y voient une opportunité de remettre en question des récits hérités de l’époque coloniale.
Mais ce combat ne se limite pas à une question de taille sur une carte. Il s’agit de repenser la manière dont le monde est représenté, et par extension, comment les rapports de pouvoir sont perçus. En dénonçant une projection héritée du XVIᵉ siècle, Dussey invite à une réflexion plus large sur les héritages coloniaux dans les outils que nous utilisons au quotidien.
Les alternatives à la projection Mercator
Si la projection Mercator est si critiquée, quelles sont les alternatives ? Plusieurs projections cartographiques existent, chacune avec ses forces et ses faiblesses. Voici un aperçu des plus connues :
Projection | Avantages | Inconvénients |
---|---|---|
Peters | Respecte les tailles des continents | Distorsion des formes, peu esthétique |
Mollweide | Équilibre entre taille et forme | Moins adaptée à la navigation |
Robinson | Compromis visuel, agréable à l’œil | Distorsions mineures aux pôles |
Ces projections, bien que moins répandues, pourraient changer la manière dont nous percevons le monde. La campagne Correct The Map milite pour leur adoption dans les institutions éducatives, les médias et même les instances internationales comme l’ONU.
Un enjeu culturel et politique
La distorsion des cartes n’est pas qu’une question technique : elle touche à des enjeux culturels profonds. En réduisant la taille de l’Afrique, la projection Mercator a contribué à marginaliser le continent dans les récits mondiaux. Cette marginalisation s’est traduite dans les politiques coloniales, les déséquilibres économiques et même les stéréotypes véhiculés sur l’Afrique.
En plaidant pour une correction des cartes, Robert Dussey et ses soutiens ne demandent pas seulement un changement de représentation géographique. Ils appellent à une révision des récits mondiaux, à une reconnaissance de la richesse et de la diversité de l’Afrique. Ce combat, bien que symbolique, pourrait avoir des répercussions concrètes sur la manière dont le continent est perçu et traité sur la scène internationale.
Vers une adoption mondiale ?
Changer les cartes du monde ne se fera pas du jour au lendemain. La projection Mercator est profondément ancrée dans nos systèmes éducatifs, nos atlas et même nos outils numériques comme les applications de cartographie. Pourtant, des progrès sont possibles. Certaines écoles, notamment en Afrique et dans d’autres régions du monde, commencent à enseigner des projections alternatives. Des médias et des organisations internationales s’intéressent également à la question.
Pour que la campagne Correct The Map aboutisse, il faudra cependant surmonter plusieurs obstacles :
- Résistance au changement : Les habitudes sont tenaces, et la projection Mercator reste la norme dans de nombreux contextes.
- Manque de sensibilisation : Beaucoup ignorent les biais des cartes actuelles.
- Coût logistique : Mettre à jour les atlas, les manuels scolaires et les outils numériques représente un défi financier.
Malgré ces défis, l’élan créé par la campagne et le discours à l’ONU pourrait catalyser un changement progressif. En sensibilisant le public et les décideurs, Correct The Map pose les bases d’une révolution cartographique mondiale.
L’Afrique au cœur du débat
L’Afrique, avec ses 54 pays et sa population de plus de 1,4 milliard d’habitants, est un acteur incontournable du XXIᵉ siècle. Pourtant, sa représentation sur les cartes mondiales ne reflète pas cette réalité. En corrigeant cette distorsion, la campagne Correct The Map ne se contente pas de redessiner des frontières : elle redonne au continent sa place légitime dans l’imaginaire global.
Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique plus large de réappropriation de l’histoire et de l’identité africaines. De la décolonisation des récits historiques à la promotion des langues et cultures africaines, les initiatives se multiplient pour réaffirmer la centralité du continent. La carte, en tant que symbole, devient un outil puissant dans ce combat.
Et après ?
La campagne Correct The Map n’est qu’un début. Elle soulève des questions fondamentales sur la manière dont nous représentons le monde et sur les récits que nous choisissons de transmettre. En remettant en question une projection vieille de cinq siècles, elle nous invite à repenser notre rapport à la géographie, à la justice et à l’équité.
Pour les générations futures, adopter des cartes plus justes pourrait changer la manière dont elles perçoivent le monde. Une Afrique représentée à sa juste taille, c’est une Afrique reconnue pour sa grandeur, sa diversité et son potentiel. Le combat de Robert Dussey et de ses soutiens est loin d’être terminé, mais il a déjà marqué les esprits à l’ONU et au-delà.
Alors, la prochaine fois que vous regarderez une carte, prenez un instant pour réfléchir : et si la vérité était ailleurs ?