Imaginez des centaines de milliers d’adolescents, le cœur battant, penchés sur une copie pendant 70 minutes. Un silence absolu dans tout le pays, avions cloués au sol, entreprises qui décalent leurs horaires. Et soudain, une question sur la philosophie de Kant et Hobbes qui fait vaciller des rêves d’université prestigieuse. C’est exactement ce qui vient de se produire en Corée du Sud.
Le Suneung 2025 et l’épreuve d’anglais qui a tout fait basculer
Le 13 novembre dernier, 500 000 candidats environ passaient le fameux Suneung, cet examen unique qui décide très largement de l’avenir académique et professionnel des jeunes Sud-Coréens. Parmi les épreuves, celle d’anglais a créé une tempête rarement vue.
Les résultats sont tombés : seulement 3 % des élèves ont obtenu le niveau maximal. C’est le pire score enregistré depuis 2018, année où la notation absolue a remplacé le classement relatif. Autrement dit, l’examen ne mesure plus qui est le meilleur parmi les candidats, mais qui atteint réellement un seuil de compétence exigé.
Des textes philosophiques en anglais : le choc des candidats
Sur les 45 questions, plusieurs consistaient à compléter des textes à trous. Rien d’anormal jusque-là. Sauf que les passages proposés plongeaient directement dans des concepts ardus : la vision de la loi chez Emmanuel Kant et Thomas Hobbes, la nature du temps, ou encore l’existence ontologique appliquée aux avatars dans les jeux vidéo.
Pour des lycéens de 18-19 ans, même brillants, lire et comprendre en 70 minutes des extraits aussi denses en langue étrangère représente un défi colossal. Beaucoup ont confié avoir reconnu les noms des philosophes sans pour autant saisir le sens profond des phrases proposées.
« J’ai étudié l’anglais tous les jours pendant trois ans, et là je me retrouve à choisir entre des propositions sur la categorical imperative de Kant… J’étais perdu. »
Témoignage anonyme d’un candidat recueilli sur les réseaux
Une difficulté jugée hors normes
Dans un pays où le Suneung est érigé au rang de rite national, chaque point compte. Une différence de quelques points peut faire basculer un candidat de la prestigieuse université nationale de Séoul (SKY) vers une fac de province.
La polémique a rapidement enflé sur les forums, les réseaux sociaux et même dans les médias traditionnels. Parents, professeurs et élèves ont unanimement dénoncé un niveau « injuste » et « déconnecté » des programmes scolaires habituels.
Le chiffre choc des 3 % a agi comme un électrochoc. Pour comparaison, les années précédentes, ce taux oscillait généralement entre 6 et 10 %.
La démission du responsable : un geste rarissime
Face à la colère grandissante, M. Oh Seung-keol, président de l’Institut coréen pour les programmes scolaires et l’évaluation (KICE), a présenté sa démission mercredi. Il a reconnu publiquement que la section anglais n’avait pas respecté les principes d’évaluation attendus.
Dans son communiqué, il a exprimé ses regrets d’avoir « provoqué l’inquiétude des candidats et de leurs familles » et d’avoir « semé la confusion ».
L’institut a ensuite publié un second texte admettant que les critiques sur le niveau de difficulté étaient fondées et promettant de tirer les leçons pour les années futures.
Le Suneung, bien plus qu’un simple examen
Pour comprendre l’ampleur du scandale, il faut saisir ce que représente le Suneung dans la société sud-coréenne. Chaque année, le jour J :
- Les vols sont suspendus pendant 35 minutes lors de l’épreuve de compréhension orale
- Les klaxons sont interdits près des centres d’examen
- Les entreprises commencent plus tard
- La bourse ouvre avec retard
- Les parents prient dans les temples et églises
Cet examen est perçu comme le grand égalisateur social : une note excellente peut propulser un enfant de milieu modeste vers les meilleures carrières. À l’inverse, un échec relatif condamne souvent à des parcours moins prestigieux.
Les questions qui fâchent : exemples concrets
Bien que les copies officielles ne soient pas encore publiques, les fuites et témoignages permettent de reconstituer certains passages :
- Un texte comparant la conception du contrat social chez Hobbes (état de nature comme guerre de tous contre tous) et Kant (impératif catégorique)
- Un autre sur la perception du temps linéaire versus cyclique dans différentes cultures
- Une réflexion sur l’ontologie des personnages virtuels : un avatar dans un jeu possède-t-il une existence réelle ?
Ces sujets, passionnants en cours de philosophie ou de littérature avancée, paraissent totalement déconnectés du niveau attendu en anglais au lycée.
Les conséquences immédiates pour les candidats
Des milliers d’élèves voient leurs projets d’université compromises. Certains envisagent de repasser l’examen l’année prochaine – une pratique courante appelée jaesu – mais cela signifie une année supplémentaire de préparation intensive.
Les académies privées, les célèbres hagwon, ont déjà commencé à adapter leurs programmes en intégrant davantage de philosophie en anglais… au cas où.
Un débat plus large sur l’éducation sud-coréenne
Cette affaire relance la question récurrente : le système éducatif sud-coréen, admiré pour ses performances PISA, ne sacrifie-t-il pas trop la santé mentale des jeunes au nom de l’excellence ?
Le taux de suicide chez les adolescents reste l’un des plus élevés de l’OCDE. Le stress du Suneung est souvent pointé du doigt.
Des voix s’élèvent pour demander une réforme profonde : moins de pression, plus de créativité, un examen moins déterminant pour l’avenir.
Et maintenant ?
La démission de M. Oh Seung-keol ne résout pas tout. L’institut KICE promet une réflexion approfondie sur les critères de difficulté. Des commissions indépendantes pourraient être créées pour valider les épreuves à l’avenir.
En attendant, des centaines de milliers de jeunes Sud-Coréens retiennent leur souffle en remplissant leurs vœux d’orientation, conscients que cette année, plus que jamais, chaque point va compter.
Le Suneung 2025 restera sans doute dans les mémoires comme l’année où Kant et Hobbes ont fait trembler tout un pays.
À retenir : Une épreuve d’anglais trop complexe a provoqué la pire performance depuis sept ans, déclenché une polémique nationale et conduit à la démission du plus haut responsable de l’examen. Un épisode qui révèle une fois de plus la pression extrême qui pèse sur la jeunesse sud-coréenne.









