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Contrefaçon au Vietnam : une lutte sous tension mondiale

Le Vietnam traque les contrefaçons sous la menace des États-Unis. Quels impacts sur les commerçants et consommateurs locaux ? La tension monte...

Dans les ruelles animées de Hanoï, les étals regorgent de sacs à main, de chaussures et de vêtements portant des logos célèbres. Mais derrière l’éclat de ces produits se cache une réalité bien moins glamour : la contrefaçon. Au Vietnam, ce commerce florissant est aujourd’hui dans le viseur des autorités, sous la pression croissante des États-Unis. Comment ce pays, devenu un géant de la production textile, jongle-t-il entre son rôle d’atelier mondial et la lutte contre les faux produits ? Plongeons dans les coulisses d’une répression qui bouleverse marchés, commerçants et consommateurs.

Un géant textile face à la contrefaçon

Le Vietnam s’est imposé comme l’un des principaux ateliers de confection du monde. Des marques comme Nike, Adidas ou Zara y délocalisent leur production, attirées par une main-d’œuvre qualifiée et peu coûteuse. Ce dynamisme économique a propulsé le pays sur la scène internationale, mais il a aussi un revers : le Vietnam est devenu un hub majeur de la contrefaçon. De faux sacs Chanel aux montres Rolex imitées, les produits falsifiés inondent les marchés locaux et s’exportent, notamment vers les États-Unis, premier client commercial du pays.

Cette situation n’a pas échappé à Washington, qui voit dans ces faux produits une menace pour son économie. Les discussions entre les deux nations se tendent, avec la menace d’une surtaxe douanière de 46 % sur les importations vietnamiennes. Cette pression s’inscrit dans une stratégie protectionniste visant à rééquilibrer la balance commerciale américaine. Pour le Vietnam, l’enjeu est colossal : préserver ses relations commerciales tout en répondant aux exigences internationales.

La vie quotidienne bouleversée par la répression

Pour de nombreux Vietnamiens, les contrefaçons font partie intégrante du quotidien. À Hanoï, Tran Le Chi, une vendeuse de tickets de loterie, ne cache pas son goût pour les vêtements imités. À 53 ans, elle assume porter des faux Gucci ou Louis Vuitton, achetés pour moins de 30 euros. « Les vrais produits ? Ce n’est pas pour nous », confie-t-elle avec franchise. Pour elle, ces articles abordables sont un moyen d’adopter un style moderne, sans se ruiner.

« Qu’est-ce que ça change que ce soit faux ? Ça me donne un look branché. »

Tran Le Chi, consommatrice vietnamienne

Mais cette tolérance culturelle envers la contrefaçon est mise à rude épreuve. Depuis plusieurs mois, le gouvernement vietnamien a lancé une vaste campagne de répression, prévue pour durer jusqu’à mi-août. À Hanoï et Ho Chi Minh-Ville, les autorités multiplient les descentes dans les marchés et les boutiques. Des centres commerciaux comme Saigon Square, connu pour ses étals de faux produits, sont particulièrement ciblés. Ce lieu, situé au cœur touristique de Ho Chi Minh-Ville, figure même dans un rapport américain comme l’un des principaux marchés de contrefaçon au monde.

Des saisies massives et des sanctions timides

Les chiffres des saisies donnent le vertige. Entre janvier et mai, les autorités vietnamiennes ont confisqué plus de 7 000 produits contrefaits, pour une valeur estimée à 8 millions de dollars. Parmi les prises : environ 1 000 fausses montres Rolex, 25 000 enceintes Marshall imitées, ou encore des aspirateurs prétendument japonais. Dans un cas médiatisé, un homme a été arrêté pour avoir vendu 200 000 paires de chaussettes ornées de logos Adidas, Nike et Uniqlo, à moins de 20 centimes d’euro la paire.

Exemple marquant : À Hanoï, la police a découvert un stock de six tonnes de confiseries importées de Chine, reconditionnées pour passer pour des produits japonais ou sud-coréens, avec des dates de péremption falsifiées.

Ces opérations visent à envoyer un message fort, mais leur efficacité reste limitée. Selon un rapport américain de 2024, les sanctions appliquées au Vietnam manquent de sévérité et n’ont qu’un effet dissuasif limité. Les amendes sont souvent symboliques, et les poursuites judiciaires rares. Sur les 7 000 produits saisis, seuls 53 cas ont été transmis à la police pour enquête. Cette clémence relative alimente les critiques des États-Unis, qui accusent Hanoï de fermer les yeux sur certaines pratiques, notamment le transbordement, une technique permettant à des produits chinois d’être étiquetés comme vietnamiens pour contourner les restrictions douanières.

Les commerçants dans la tourmente

Pour les commerçants, la répression est synonyme de précarité. Hoa, une vendeuse du vieux quartier de Hanoï, a dû fermer sa boutique par crainte des contrôles. Pendant une décennie, elle a vendu des faux Nike, importés de Chine mais étiquetés « made in Vietnam » pour plus d’authenticité. « Je n’ai jamais trompé personne », se défend-elle. Ses clients, conscients d’acheter des contrefaçons, venaient chercher des prix abordable. Aujourd’hui, elle se demande comment poursuivre son activité.

« J’ai vendu ces vêtements pendant des années sans problème. Maintenant, ils nous ciblent, et je ne sais pas comment continuer. »

Hoa, commerçante à Hanoï

La situation de Hoa n’est pas isolée. Dans les marchés comme Saigon Square, les vendeurs vivent dans l’angoisse d’une descente. Certains tentent d’écouler leurs stocks discrètement, tandis que d’autres envisagent de se reconvertir. Cette pression touche un secteur informel qui emploie des milliers de personnes, souvent dans des conditions économiques difficiles. Pour ces commerçants, la contrefaçon n’est pas une fraude, mais un moyen de survie.

Un défi géopolitique et économique

La lutte contre la contrefaçon au Vietnam dépasse le cadre économique. Elle s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, où le pays cherche à consolider ses relations avec les États-Unis tout en préservant ses liens avec la Chine, son voisin et principal fournisseur. Washington accuse Hanoï de laxisme sur les fraudes liées au transbordement, qui permet à des produits chinois d’entrer sur le marché américain sous une fausse origine vietnamienne. En réponse, le Vietnam a promis de renforcer les contrôles sur l’origine des marchandises exportées.

Pour Nguyen Khac Giang, un chercheur basé à Singapour, cette répression est une stratégie calculée. « Le Vietnam cherche à apaiser les tensions avec les États-Unis tout en montrant sa bonne volonté », explique-t-il. Mais cette stratégie a un coût. En durcissant les contrôles, le gouvernement risque de fragiliser une partie de sa population, pour qui la contrefaçon est une source de revenus ou un accès à des biens autrement inabordables.

  • Enjeux pour le Vietnam : Préserver ses exportations tout en répondant aux exigences américaines.
  • Impact local : Fermeture de boutiques et perte de revenus pour les vendeurs.
  • Défi global : Lutter contre le transbordement sans froisser la Chine.

Vers un équilibre précaire ?

La chasse aux contrefaçons au Vietnam illustre les tensions entre économie locale et pressions internationales. Pour les consommateurs comme Tran Le Chi, les faux produits restent un moyen d’accéder à un semblant de luxe. Pour les commerçants comme Hoa, ils sont une source de survie. Mais face à la menace de sanctions américaines, le gouvernement n’a d’autre choix que de sévir, au risque de bouleverser un écosystème économique bien ancré.

Le Vietnam parviendra-t-il à trouver un équilibre ? La réponse dépendra de sa capacité à renforcer les contrôles tout en protégeant ses citoyens. En attendant, dans les ruelles de Hanoï et les marchés de Ho Chi Minh-Ville, la tension est palpable. Les étals se vident, et l’avenir des commerçants reste suspendu à des négociations menées à des milliers de kilomètres.

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