Imaginez-vous immobilisé sur un lit d’hôpital, des sangles retenant vos poignets et votre torse, incapable de bouger, dans un moment de profonde détresse. Cette réalité, vécue par des milliers de personnes en France chaque année, est au cœur d’un débat brûlant : la contention mécanique en psychiatrie. Considérée par beaucoup comme une pratique d’un autre temps, elle soulève des questions éthiques et humaines qui interpellent patients, familles et professionnels de santé. Pourquoi cette méthode, censée être un dernier recours, est-elle encore si répandue ? Et surtout, quelles alternatives pourraient transformer la prise en charge psychiatrique ?
Une Pratique Controversée au Cœur du Système
En 2022, environ 8 000 personnes ont été soumises à une contention mécanique dans les services psychiatriques français, selon les données d’un institut spécialisé basé à Paris. Ces chiffres, bien que précis, ne racontent qu’une partie de l’histoire. La contention, qui consiste à attacher un patient à un lit à l’aide de sangles, est encadrée par la loi depuis 2016 : elle ne doit être utilisée qu’en dernier recours, pour des patients hospitalisés sans leur consentement et uniquement pour prévenir un danger immédiat. Pourtant, la réalité semble bien différente.
Dans la majorité des 220 établissements psychiatriques pratiquant des soins sans consentement, cette méthode reste courante. Seuls 32 d’entre eux ont déclaré ne pas y avoir recours en 2022. Pourquoi une telle persistance ? Les protocoles hospitaliers, souvent rigides, invoquent la nécessité de protéger le patient ou le personnel. Mais pour beaucoup, cette justification ne tient pas face à l’impact psychologique dévastateur de la pratique.
Des Témoignages Qui Glacent
Les récits des patients et de leurs proches dressent un tableau poignant. Une mère, que nous appellerons Claire pour préserver son anonymat, partage son désarroi face à l’expérience de son fils, atteint d’un trouble schizo-affectif. Lors de son admission dans un hôpital de la région parisienne, il a été immédiatement sanglé, simplement pour avoir serré les poings. « Ils m’ont dit que c’était le protocole, qu’il n’y avait pas d’autre choix », confie-t-elle, la voix tremblante. Son fils, lui, décrit une humiliation profonde : attaché, il s’est retrouvé incapable d’aller aux toilettes, un souvenir qui continue de le hanter.
« C’est déshumanisant. Mon fils m’a dit qu’il se sentait comme un animal, sans dignité. »
Claire, mère d’un patient
Ce sentiment d’humiliation est partagé par de nombreux patients. La contention, loin d’apaiser, peut réactiver des traumatismes anciens, notamment chez ceux ayant subi des violences. Les soignants eux-mêmes ne sont pas épargnés : beaucoup rapportent un malaise profond, oscillant entre honte et culpabilité lorsqu’ils doivent appliquer cette mesure.
Un Impact Psychologique Dévastateur
Mathieu Bellahsen, psychiatre et auteur du livre Abolir la contention, ne mâche pas ses mots : la contention est une expérience traumatisante, tant pour les patients que pour les soignants. « Imaginez plusieurs personnes prenant le contrôle de votre corps, vous allongeant de force, vous immobilisant. Vous ne pouvez plus bouger », explique-t-il. Cette situation, loin d’être anodine, peut raviver des blessures psychologiques profondes, en particulier chez les personnes ayant vécu des abus.
Pour les soignants, l’acte de contention est souvent perçu comme une entorse à leur vocation. Ils se retrouvent pris entre des impératifs protocolaires et leur volonté de soigner avec humanité. Cette tension éthique alimente un mouvement croissant en faveur de l’abolition de la contention, portée par des voix de plus en plus nombreuses.
Un Mouvement pour l’Abolition
Les critiques contre la contention ne datent pas d’aujourd’hui, mais elles gagnent en ampleur. En mai dernier, Philippa Motte, atteinte d’un trouble bipolaire, a publié un témoignage poignant, Et c’est moi qu’on enferme, où elle raconte son expérience de la contention. Peu après, une tribune signée par des jeunes psychiatres et addictologues a appelé à l’abolition des pratiques de contention et d’isolement, jugées indignes d’une psychiatrie moderne.
L’Union nationale des familles et amis de personnes malades psychiques a également pris position, réclamant une « psychiatrie sans violence ». Sa présidente, Emmanuelle Rémond, insiste : « Cette souffrance systémique doit cesser. Il faut privilégier des approches basées sur l’écoute et le respect des droits. » Ces appels convergent vers une même idée : il est temps de repenser les soins psychiatriques.
« La contention est une violation des droits humains. »
Organisation mondiale de la santé
Des Alternatives Concrètes
Face à ce tollé, des alternatives émergent. Une étude récente, menée dans quatre établissements ayant réduit leur recours à la contention, met en lumière des pratiques prometteuses. Parmi elles :
- Culture de la disponibilité : Les soignants se rendent accessibles, accueillant les patients dans leurs bureaux pour des échanges apaisés.
- Qualité de l’accueil : Un environnement chaleureux dès l’admission peut désamorcer les tensions.
- Connaissance du patient : Une relation de confiance permet d’anticiper et de calmer les crises sans recourir à la force.
- Horizontalité : Une relation égalitaire entre soignants et patients favorise la coopération.
Le sociologue Sébastien Saetta, coordinateur de l’étude, souligne que ces approches reposent sur une transformation culturelle. « Il ne s’agit pas de diviser les soignants entre ceux qui attachent et ceux qui n’attachent pas, mais de repenser nos pratiques », renchérit Mathieu Bellahsen. Ces alternatives, bien que prometteuses, demandent du temps, des ressources et une formation adaptée.
Un Défi pour les Pouvoirs Publics
Le gouvernement, dans son dernier plan pour la psychiatrie, maintient que la contention reste parfois nécessaire, tout en la cantonnant au rôle de mesure exceptionnelle. Cette position, jugée timide par les défenseurs de l’abolition, contraste avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui qualifie la contention de violation des droits humains. Comment concilier sécurité et respect de la dignité des patients ?
Pour les familles, comme celle de Claire, l’urgence est palpable. « Mon fils ne devrait pas avoir à subir ça pour être soigné », insiste-t-elle. Ce cri du cœur résonne avec celui de milliers de patients, qui aspirent à une psychiatrie plus humaine, centrée sur l’écoute et l’empathie.
Vers une Psychiatrie Plus Humaine ?
Le débat sur la contention en psychiatrie dépasse les murs des hôpitaux. Il interroge notre vision de la santé mentale et du soin. Faut-il continuer à tolérer des pratiques qui, bien qu’encadrées, laissent des cicatrices psychologiques durables ? Ou faut-il oser un changement radical, en investissant dans des alternatives respectueuses des droits humains ?
Les exemples d’établissements ayant réduit la contention montrent que c’est possible. Mais ce virage exige une volonté politique forte, des moyens financiers et une refonte des formations des soignants. En attendant, les témoignages comme celui de Claire rappellent l’urgence d’agir. La psychiatrie de demain se construira-t-elle sur l’écoute et la dignité, ou restera-t-elle prisonnière de pratiques d’un autre temps ?
En résumé : La contention mécanique, bien que légale, est de plus en plus critiquée pour son caractère inhumain. Les alternatives existent, mais leur adoption demande un changement profond dans les pratiques et les mentalités.