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Conflit Thaïlande-Cambodge : La Lassitude Infinie des Civils

Sous un pont ou dans des tentes de fortune, des centaines de milliers de Thaïlandais et Cambodgiens fuient une nouvelle fois les combats. « Oh non, pas encore »… Ces mots résument des décennies de peur et d’épuisement. Jusqu’à quand cette frontière maudite va-t-elle encore déchirer des familles entières ?

Imaginez que votre maison se trouve à quelques kilomètres seulement d’une frontière. Un matin, des explosions déchirent le silence. Votre première pensée n’est même plus la peur… c’est la lassitude. « Oh non, pas encore. » C’est exactement ce qu’a ressenti Boonkerd Yoodeerum, 64 ans, quand les combats ont repris entre la Thaïlande et le Cambodge.

Une frontière qui refuse la paix

Depuis dimanche soir, les armes parlent à nouveau le long de cette ligne disputée depuis plus d’un siècle. Des tirs d’artillerie, des drones, des chars… et surtout des civils qui, une fois de plus, doivent tout abandonner. Plus d’un demi-million de personnes ont été évacuées des deux côtés en quelques jours seulement.

Ce n’est pas la première fois. Ni la deuxième. Pour beaucoup, c’est la troisième, la quatrième, parfois la dixième fois qu’ils fuient. Le même chemin, les mêmes abris improvisés, la même attente interminable.

Boonkerd, 64 ans, sous le pont qui l’a déjà sauvé plusieurs fois

Quand les premières détonations ont retenti, Boonkerd saignait les hévéas dans sa plantation de la province de Surin. Il a lâché son couteau, a regardé sa femme et ses enfants, et a prononcé ces mots qui en disent long : « Oh non, pas encore ».

Ils ont couru jusqu’au pont sous lequel ils s’étaient déjà réfugiés cinq mois plus tôt. Le même endroit qu’il y a dix ans, qu’il y a quinze ans… Les matelas pliants, les couvertures militaires, les bouteilles d’eau : tout est resté là, comme si le temps s’était arrêté entre deux crises.

« Ils ont dit que des négociations apporteraient la paix. Mais vous voyez combien de temps ça a duré. Je n’y crois plus du tout. »

Boonkerd Yoodeerum, planteur de caoutchouc thaïlandais

Ses yeux fatigués regardent le ciel à travers les piliers de béton. Il n’a plus la force de se mettre en colère. Il est juste épuisé.

Yin Bei et son bébé de deux mois

À 70 kilomètres de là, côté cambodgien, Yin Bei berce sa fille de deux mois dans une tente en plastique au bord d’une route poussiéreuse. Les explosions étaient si proches qu’elle a senti le sol trembler sous ses pieds.

Elle n’a emporté que l’essentiel : quelques couches, un biberon, une couverture. Son mari est resté un peu plus longtemps pour fermer la maison. Quand il l’a rejointe, il n’a rien dit. Il s’est simplement assis à côté d’elle, le visage fermé.

« J’ai un bébé, alors je souffre doublement. Je veux juste que cette guerre se termine rapidement. »

Yin Bei, 30 ans, mère cambodgienne

Autour d’elle, des centaines de familles vivent la même scène. Des enfants qui pleurent, des anciens qui fixent l’horizon, des mères qui tentent de faire comme si tout était normal.

Chea Chong, 73 ans : « Nous sommes voisins… Parlez-vous ! »

Chea Chong, lui, a déjà vécu ça trois fois. À chaque fois, il pense que ce sera la dernière. À chaque fois, il se trompe.

Assis sur un sac de riz, il observe les soldats qui passent en camion. Ses mains tremblent légèrement. Pas de peur, non. De rage contenue.

« Les combats sont si intenses… S’il vous plaît, parlez-vous. Nous sommes voisins. Mettez-y fin, nous souffrons trop. »

Chea Chong, agriculteur cambodgien de 73 ans

Il répète ces mots comme une prière. Mais personne ne semble l’entendre.

Ratana et ses quatre chats : fuir avec ceux qu’on aime

Côté thaïlandais, Ratana Chantrai a une priorité très claire : ses quatre chats. Quand les premières explosions ont retenti en juillet, elle n’a pensé qu’à une chose : les mettre en sécurité.

Elle avait préparé un sac spécial : litière, croquettes, jouets. Cette fois-ci, elle n’a même pas eu besoin de réfléchir. Le réflexe était déjà là.

Dans le centre d’évacuation de Surin, elle caresse doucement son plus jeune chat, un boule de poils d’un an qui se blottit contre elle.

« Ce n’est pas possible que les affrontements reprennent sans cesse. Je ne veux pas que la prochaine génération vive avec ça. Je veux juste que les combats s’arrêtent. Vraiment. »

Ratana Chantrai

Elle regarde autour d’elle. Des familles entières dorment par terre. Des enfants jouent malgré tout. La vie continue, même dans l’urgence.

Un cessez-le-feu signé… puis oublié

Le 26 octobre dernier, un cessez-le-feu avait pourtant été signé sous médiation internationale. Quarante-trois morts en juillet, des villages détruits, des familles séparées… tout ça devait appartenir au passé.

Mais quelques semaines plus tard, l’accord était suspendu. Et aujourd’hui, on compte déjà au moins quatorze morts, dont des civils cambodgiens et des soldats thaïlandais.

Les armes lourdes sont de retour. Les drones survolent la zone. Les chars roulent dans la poussière. Et les civils, eux, recommencent à compter les jours loin de chez eux.

Nittaya, retraitée : « Le Cambodge, c’est la famille »

Nittaya Sirithongkoon a travaillé toute sa vie dans un hôpital. Elle connaît la souffrance. Mais celle-ci est différente. Elle est inutile.

Dans son village, beaucoup parlent khmer. Les marchés se font des deux côtés de la frontière. Les mariages mixtes sont nombreux. Et pourtant, les armes parlent plus fort que les liens.

« Le Cambodge est avant tout notre voisin, c’est comme la famille. Les politiciens n’arrêtent pas de se battre entre eux. Je veux que le gouvernement pense d’abord au pays. »

Nittaya Sirithongkoon, retraitée thaïlandaise

Elle secoue la tête. Elle n’en peut plus de voir ses voisins souffrir pour un bout de terre que personne ne cultivera tant que les obus tomberont.

Que reste-t-il quand la guerre devient routine ?

Le plus terrifiant dans cette nouvelle flambée de violence, ce n’est pas l’intensité des combats. C’est l’habitude.

Les gens ne paniquent presque plus. Ils préparent leurs sacs à l’avance. Ils connaissent les abris. Ils savent combien de temps ça peut durer. Ils ont intégré la guerre dans leur quotidien, comme la saison des pluies ou la récolte du riz.

Mais cette résignation n’est pas de l’acceptation. C’est une fatigue immense. Une lassitude qui ronge tout : l’espoir, la confiance, l’envie de reconstruire.

Combien de fois encore devront-ils entendre « Oh non, pas encore » avant que quelqu’un, quelque part, décide enfin que la paix vaut plus que quelques kilomètres carrés de jungle et de ruines ?

Pour Boonkerd, Yin Bei, Chea Chong, Ratana et des centaines de milliers d’autres, la réponse tarde beaucoup trop.

Ils ne demandent pas la victoire. Ils demandent seulement de pouvoir rentrer chez eux.

Et de ne plus jamais avoir à fuir.

Dans l’attente d’un vrai cessez-le-feu. D’un accord qui tiendra. D’une frontière qui redeviendra simplement une ligne sur une carte, et non une blessure ouverte au cœur de deux peuples frères.

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