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Conflit Thaïlande-Cambodge : Frappes Aériennes et Cessez-le-feu Brisé

Moins de deux mois après l’accord « historique » célébré par Donald Trump, la Thaïlande bombarde le Cambodge par avion. Un soldat tué, des milliers de civils en fuite… Le cessez-le-feu est déjà mort. Que s’est-il passé cette nuit ?

Imaginez : il y a à peine six semaines, on nous présentait un accord « historique » scellé sous l’égide de Donald Trump. Les caméras du monde entier filmaient les poignées de main entre Thaïlandais et Cambodgiens. Et pourtant, cette nuit, les avions de chasse thaïlandais ont de nouveau traversé la frontière. Un cessez-le-feu qui n’aura même pas tenu deux mois. Comment en est-on arrivé là ?

Un accord déjà fragilisé avant même d’exister vraiment

Le 26 octobre dernier, à Kuala Lumpur, les deux pays signaient un texte censé clore des années de crispations autour de la frontière longue de 800 kilomètres. Retrait des armes lourdes, déminage progressif, libération de prisonniers… Tout semblait sur la bonne voie. Mais dès le mois de novembre, Bangkok suspendait déjà l’accord après l’explosion d’une mine qui avait blessé quatre soldats thaïlandais.

La Thaïlande accuse régulièrement son voisin de poser de nouvelles mines. Phnom Penh répond qu’il s’agit de vestiges des guerres passées et exprime ses « regrets ». Derrière les communiqués policés, la méfiance n’a jamais disparu.

La nuit où tout a basculé

Dans la nuit du dimanche au lundi, les hostilités ont repris brutalement. L’armée thaïlandaise affirme avoir essuyé des tirs cambodgiens dans la province d’Ubon Ratchathani. Bilan immédiat : un soldat tué, quatre blessés. Presque simultanément, le ministère cambodgien de la Défense dénonce une offensive thaïlandaise dans les provinces de Preah Vihear et Oddar Meanchey.

Bangkok ne s’est pas contenté de riposter au sol. Des avions ont été engagés pour « frapper des cibles militaires » et faire cesser les tirs de soutien présumés. Environ 35 000 personnes ont été évacuées côté thaïlandais dans l’urgence. Côté cambodgien, on signale des coups de feu près des temples centenaires de Tamone Thom et Ta Krabei, et des villageois qui fuient vers l’intérieur des terres.

« Nous pensions que la menace pour la sécurité s’était atténuée, mais elle n’a en réalité pas diminué »

Le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul, novembre dernier

Un contentieux qui remonte à l’époque coloniale

Pour comprendre l’ampleur du ressentiment, il faut remonter au début du XXe siècle. À l’époque, la France coloniale trace la frontière entre le Siam (ancien nom de la Thaïlande) et son protectorat cambodgien. Des cartes sont dessinées, parfois de façon approximative, autour de zones riches en temples khmers millénaires.

Le plus célèbre d’entre eux, Preah Vihear, perché sur une falaise, devient le symbole de cette dispute. En 1962, la Cour internationale de justice attribue le temple au Cambodge. Bangkok conteste encore aujourd’hui la compétence du tribunal et refuse de reconnaître certaines parties du verdict, notamment sur les abords immédiats du site.

Depuis, chaque incident – un drapeau planté, une patrouille trop proche, une mine qui explose – ravive la flamme nationaliste des deux côtés.

Les chiffres qui donnent le vertige

Petit rappel des derniers épisodes violents pour mesurer l’ampleur du drame :

  • Juillet dernier : 5 jours de combats, au moins 43 morts
  • Près de 300 000 personnes évacuées à l’époque
  • Octobre : signature de l’accord sous médiation américaine
  • Novembre : suspension thaïlandaise après l’explosion d’une mine
  • Cette semaine : 35 000 nouveaux évacués en une seule nuit

Derrière ces chiffres, ce sont des familles entières qui dorment sur des nattes dans des gymnases, des enfants qui n’iront pas à l’école, des récoltes abandonnées.

Pourquoi l’accord Trump n’a pas tenu

On pouvait légitimement se poser la question : comment un texte présenté comme « historique » a-t-il pu s’effondrer si vite ? Plusieurs éléments expliquent cette fragilité.

D’abord, l’accord ne réglait rien sur le fond. Il prévoyait des mesures de confiance – retrait des armes lourdes, déminage, dialogue – mais aucune avancée sur le tracé même de la frontière. Ensuite, la médiation américaine, bien que spectaculaire, manquait peut-être de suivi concret sur le terrain. Enfin, les opinions publiques des deux pays restent extrêmement sensibles à tout incident frontalier.

Un simple accrochage suffit à rallumer la mèche.

Les temples, otages de l’Histoire

Ce qui rend ce conflit particulièrement douloureux, c’est qu’il se joue autour de lieux sacrés. Preah Vihear, Ta Krabei, Tamone Thom… Ces temples plusieurs fois centenaires ne sont pas seulement des pierres. Ils incarnent l’identité khmère pour les Cambodgiens, et pour beaucoup de Thaïlandais, ils font partie d’un héritage culturel commun que Bangkok estime mal géré par Phnom Penh.

Chaque obus qui tombe près de ces sites est ressenti comme une profanation. Et chaque profanation alimente la colère populaire.

Et maintenant ?

À l’heure où ces lignes sont écrites, les deux capitales continuent de s’accuser mutuellement d’avoir déclenché les hostilités. L’ASEAN, habituellement discrète sur les querelles internes, pourrait être saisie. Des appels à la retenue fusent de plusieurs chancelleries.

Mais sur le terrain, les populations paient le prix fort. Des milliers de personnes ont encore tout laissé derrière elles cette nuit. Et l’ombre d’une nouvelle escalade plane sur cette région déjà marquée par tant de cicatrices.

Le cessez-le-feu d’octobre, que l’on nous avait vendu comme une page tournée, ressemble déjà à un souvenir lointain. La frontière entre Thaïlande et Cambodge reste l’une des plus sensibles d’Asie du Sud-Est. Et tant que le fond du différend – ce fameux tracé hérité de l’époque coloniale – ne sera pas définitivement réglé, la paix ne sera jamais qu’un répit.

Entre deux salves d’artillerie, les temples millénaires continuent de contempler, impassibles, le spectacle tragique des hommes qui se disputent leur ombre.

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