Imaginez un homme de 76 ans, costume bleu impeccable, cravate parfaitement nouée, qui écoute sans ciller une juge lui énumérer les pires atrocités possibles. Des viols collectifs, des exécutions sommaires, des corps piétinés, du sang coulant dans les rues au lever du soleil. Cet homme, c’est Ali Mohamed Ali Abd-Al-Rahman, plus connu sous son nom de guerre : Ali Kosheib.
Vingt ans après le massacre, la justice finit par frapper
Mardi, la Cour pénale internationale a tranché : vingt ans de prison ferme. Ni plus, ni moins. Une peine qui peut sembler dérisoire face à l’ampleur des crimes commis entre 2003 et 2004 au Darfour. Pourtant, ce verdict marque un tournant historique pour des milliers de victimes qui n’osaient plus y croire.
Ali Kosheib n’était pas un simple exécutant. Il dirigeait des milliers d’hommes au sein des redoutables milices Janjawid, ces cavaliers arabes armés par le régime d’Omar el-Béchir pour écraser la rébellion des populations noires du Darfour. Son surnom ? “Le tueur à la hache”.
Des crimes d’une violence inouïe
Les juges n’ont pas mâché leurs mots. La magistrate Joanna Korner a décrit avec précision les exactions personnelles de l’accusé. Il a frappait lui-même les prisonniers avec une hache, ordonnait des exécutions publiques, marchait sur la tête des blessés – hommes, femmes, enfants confondus.
« Les journées de torture commençaient au lever du soleil… le sang coulait à flots dans les rues. Il n’y avait ni aide médicale, ni traitement, ni pitié. »
Juge Joanna Korner, lisant les témoignages des victimes
Ces mots, lus à voix haute dans la salle d’audience, ont fait frissonner l’assistance. On parle ici d’une campagne d’extermination, d’humiliation et de déplacement forcé orchestrée méthodiquement.
Les victimes, elles, ont décrit des villages entiers rayés de la carte, des femmes violées devant leurs familles, des puits empoisonnés, des enfants égorgés. Des scènes d’une sauvagerie qui rappelle les pires pages de l’histoire contemporaine.
Un procès sous haute tension
Ali Kosheib s’est rendu de lui-même en 2020 à la CPI, depuis la République centrafricaine. Il affirmait craindre pour sa vie après la chute d’Omar el-Béchir. Les juges n’ont pas cru à cette version et ont balayé l’argument.
Pendant tout le procès, il a nié être un haut responsable des Janjawid. Il a prétendu n’être qu’un simple civil. Les preuves accumulées – témoignages, documents, vidéos – ont démontré le contraire.
Le procureur avait requis la perpétuité. “Un tueur à la hache se tient littéralement devant vous”, avait-il lancé aux juges. Finalement, l’âge avancé de l’accusé (76 ans) et sa reddition volontaire ont joué en sa faveur. Le temps passé en détention depuis juin 2020 sera déduit.
Le Darfour, vingt ans plus tard : toujours le chaos
Le plus glaçant dans cette affaire ? Le conflit n’est pas terminé. Bien au contraire.
Depuis avril 2023, le Soudan est à nouveau à feu et à sang. Cette fois, ce sont les héritiers directs des Janjawid – les Forces de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Daglo, dit “Hemedti” – qui affrontent l’armée régulière.
Les mêmes méthodes sont employées : bombardements de civils, viols de masse, villages brûlés. Début novembre, la CPI a d’ailleurs mis en garde contre de possibles nouveaux crimes contre l’humanité à El-Facher, dernière grande ville encore aux mains de l’armée au Darfour.
Le cycle de la violence semble sans fin. Ceux qui terrorisaient le Darfour il y a vingt ans dirigent aujourd’hui l’une des deux factions qui déchirent le pays.
Un verdict avant tout symbolique
Le procureur général de la CPI, Mame Mandiaye Niang, l’a dit sans détour : cette condamnation est “très symbolique”. Elle envoie un message clair aux auteurs de crimes au Soudan, actuels et futurs.
« La justice peut être lente, mais elle finit toujours par vous rattraper. »
Mame Mandiaye Niang
Les représentants des victimes, eux, voulaient une peine assez lourde pour qu’Ali Kosheib ne remette jamais les pieds au Soudan. Objectif à moitié atteint : à 76 ans, vingt ans de prison équivalent presque à une perpétuité effective.
La juge Korner a insisté sur la dimension dissuasive du verdict, “particulièrement appropriée compte tenu de la situation actuelle au Soudan”.
Et maintenant ?
Ce procès est une première. Jamais un haut responsable des Janjawid n’avait été jugé par une cour internationale. Omar el-Béchir, lui, reste introuvable malgré son mandat d’arrêt pour génocide.
Mais une question demeure : une condamnation, aussi symbolique soit-elle, peut-elle briser des décennies d’impunité dans un pays où les bourreaux d’hier sont les chefs de guerre d’aujourd’hui ?
Les victimes du Darfour, elles, retiennent leur souffle. Pour elles, ce verdict n’efface pas vingt ans de souffrances. Mais il redonne un peu de dignité. Et l’espoir, peut-être, que la roue de la justice tourne enfin.
Au milieu du chaos soudanais, ce petit pas judiciaire résonne comme un cri. Un cri qui dit que même les pires crimes ne restent pas éternellement impunis.









