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Condamnations pour messages haineux après le drame de Crépol

Le drame de Crépol n'en finit pas de faire parler. Neuf internautes viennent d'être condamnés pour avoir diffusé des messages haineux et divulgué des données personnelles suite à la mort du jeune Thomas. Les peines vont de 500€ d'amende à 4 mois de prison avec sursis. Le parquet avait requis de la prison ferme. Cette affaire soulève la question des dérives sur les réseaux sociaux et de la difficulté à les réguler.

L’affaire Thomas, ce jeune homme tué lors d’une rixe à Crépol dans la Drôme en novembre dernier, continue de secouer la toile. Neuf internautes ont été condamnés ce jeudi 31 octobre par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffusé des messages haineux et divulgué les noms et adresses de suspects après le drame. Des peines allant de 500 euros d’amende à quatre mois de prison avec sursis ont été prononcées.

Les prévenus, jugés lors de deux audiences distinctes en septembre, ont été reconnus coupables de provocation non suivie d’effet à commettre un crime, injure publique en raison de l’origine, divulgation de données personnelles ou encore menaces de mort. Le parquet avait requis des peines de prison ferme à leur encontre, estimant que leurs agissements avaient contribué à “attiser la haine et la violence” dans un contexte déjà tendu.

Un déchaînement de haine en ligne

La mort tragique de Thomas, 19 ans, avait suscité une vague d’émotion et de colère sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes s’en étaient pris aux suspects, d’origine maghrébine, les accusant en des termes souvent racistes et appelant à des représailles. Leurs noms, photos et adresses avaient été massivement relayés.

Parmi les messages épinglés par les enquêteurs, on pouvait lire des propos comme “il faut les pendre”, “une balle dans la tête” ou encore “brûlons leurs maisons avec leurs familles à l’intérieur”. Une enquête avait été ouverte par le parquet de Paris, compétent en matière de cyberhaine, aboutissant à l’identification et l’interpellation des neuf prévenus, âgés de 20 à 58 ans.

Les limites de la liberté d’expression en question

À la barre, la plupart se sont défendus en invoquant un “dérapage”, la “colère” ou l'”émotion” face à un fait divers choquant. “Je regrette, je n’aurais pas dû écrire ça”, a déclaré un prévenu de 28 ans, condamné à 3 mois de prison avec sursis. “J’ai voulu dénoncer un acte odieux, pas provoquer à la haine raciale”, s’est justifié un autre quinquagénaire.

Pour le tribunal, si la liberté d’expression est un droit fondamental, elle ne peut justifier la tenue de propos haineux, discriminatoires ou attentatoires à la vie privée. Le jugement rappelle que “les réseaux sociaux ne sont pas une zone de non-droit” et que “chacun doit mesurer la portée de ses mots”. Une mise en garde qui intervient alors que la haine en ligne ne cesse de prendre de l’ampleur.

Cette affaire est emblématique du déferlement de haine et de désinformation qui peut survenir sur internet à la faveur d’un fait divers. Il est important de rappeler que même derrière un écran, les mots ont un impact et peuvent blesser, voire pousser à la violence dans la vie réelle.

– Maître Rachel Lindon, avocate spécialisée en droit du numérique

Un signal fort de la justice face à la cyberhaine

Si les peines prononcées peuvent paraître légères au regard de la gravité des propos tenus, elles ont valeur de sanction et d’avertissement. Le tribunal a voulu marquer un coup d’arrêt face aux dérives constatées sur les réseaux sociaux.

  • La divulgation de données personnelles dans le but de nuire est punie de 5 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende
  • L’injure publique à caractère raciste est punie d’un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende
  • La provocation à commettre un crime est punie de 5 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende

Les condamnations de ce type restent encore rares, en raison de la difficulté à identifier les auteurs derrière des profils souvent anonymes et de la nouveauté de l’arsenal législatif. Mais avec ces jugements, la justice entend montrer qu’elle se donne les moyens de traquer et punir les comportements haineux en ligne.

Vers une meilleure régulation des réseaux sociaux ?

Cette affaire remet en lumière les carences dans la modération des contenus par les plateformes. Face à l’ampleur du phénomène et sous la pression des autorités, celles-ci ont certes renforcé leurs efforts ces dernières années.

Mais pour beaucoup d’experts, il faudrait aller plus loin. De nouvelles pistes sont à l’étude, comme le renforcement de l’arsenal législatif, la coopération accrue des plateformes avec la justice ou encore la mise en place d’un régulateur européen des réseaux sociaux. L’objectif : mieux responsabiliser les acteurs du web et mieux protéger les internautes des contenus toxiques.

Au delà de la réponse judiciaire, c’est toute la société qui est appelée à se mobiliser contre le fléau de la haine en ligne. Par la prévention, l’éducation et la sensibilisation des jeunes générations aux enjeux du numérique notamment. Car derrière chaque pseudo se cache un être humain, avec sa sensibilité et sa dignité.

Le drame de Crépol aura au moins eu le mérite de mettre en lumière l’ampleur de ce phénomène inquiétant. Des mesures concrètes et une prise de conscience collective sont désormais attendues pour tenter d’assainir des espaces virtuels qui ne cessent de gangrener le débat public et de fragiliser notre cohésion.

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