Au cœur du bassin d’Arcachon, la commune de Lège-Cap-Ferret est le théâtre d’un litige opposant un propriétaire de villa de luxe à ses voisins et à la municipalité. En cause : des travaux d’aménagement jugés non conformes au Plan Local d’Urbanisme (PLU) et empiétant sur l’intimité du voisinage. L’affaire, emblématique des enjeux d’un urbanisme sous haute surveillance, vient de connaître un premier dénouement avec la condamnation du propriétaire à une remise en conformité sous peine d’amendes et d’astreintes.
Un chantier litigieux dans un site naturel d’exception
Lège-Cap-Ferret, réputée pour ses villages ostréicoles traditionnels et ses villas de caractère nichées sous les pins, attire une clientèle aisée séduite par son environnement préservé. C’est dans ce contexte qu’en 2018, un entrepreneur achète une maison pour la transformer en chambres d’hôtes haut de gamme, « Les Cabanes du Ferret ». D’importants travaux sont entrepris, suscitant rapidement les inquiétudes des voisins, la famille Poulet, qui s’estiment soudain exposés aux regards :
« Le nouveau bâtiment est créé au-dessus de chez nous, avec une vue panoramique sur notre jardin et nos fenêtres. Depuis la construction, nous avons l’impression d’être épiés. »
Édouard Poulet, voisin de la villa en chantier.
Selon leurs constatations, étayées par un rapport d’expert, le nouvel aménagement ne respecterait pas les distances légales de construction, la terrasse incriminée s’élevant à moins de 3 mètres de la limite de propriété au lieu des 4 mètres réglementaires.
La mairie se constitue partie civile
Face à cette situation, la commune de Lège-Cap-Ferret a décidé de s’engager aux côtés des requérants en se portant partie civile. Un acte fort qui témoigne de sa volonté de faire respecter scrupuleusement les règles d’urbanisme sur un territoire où la pression foncière et immobilière est intense :
« Ce dossier est symbolique. Il y a des enjeux financiers considérables qui nous obligent à une vigilance particulière. Si nous laissons faire n’importe quoi, le territoire que nous voulons protéger risque de ne plus l’être. »
Philippe de Gonneville, maire de Lège-Cap-Ferret.
Une position ferme saluée par les défenseurs de l’environnement et du patrimoine local, qui estiment que la pression immobilière menace l’identité d’un site exceptionnel, entre pins, dunes et cabanes tchanquées.
Le propriétaire condamné à détruire la terrasse litigieuse
Le 21 octobre dernier, le tribunal correctionnel a rendu son jugement. Le propriétaire de la villa transformée est condamné à une remise en conformité de son bien sous 6 mois, en détruisant la terrasse qui pose problème. Il devra également s’acquitter d’une amende de 5000 euros et risque des astreintes quotidiennes s’il ne s’exécute pas. La mairie, en partie civile, obtient 3000 euros au titre du préjudice subi.
Un jugement immédiatement frappé d’appel par le prévenu. Son avocat conteste les frontières des terrains et invoque une nullité de procédure. Il estime notamment que le procès-verbal à l’origine des poursuites n’a pu être dressé qu’en pénétrant illégalement sur sa propriété. La bataille juridique promet donc de se poursuivre devant la cour d’appel.
Faire respecter un PLU « plus conservateur »
Au delà du cas d’espèce, cette affaire illustre la détermination des autorités locales à faire appliquer la règlementation dans une commune qui attire de plus en plus d’investisseurs immobiliers. Le Plan Local d’Urbanisme est en cours de révision pour devenir « plus conservateur », dixit le maire. Objectif : juguler la tendance aux constructions disproportionnées qui dénaturent le site.
Un durcissement des règles qui ne va pas sans heurts, puisque les permis de construire litigieux se multiplient, plaçant la mairie en première ligne. Elle estime le nombre de dossiers d’urbanisme contentieux en cours à une cinquantaine. Autant de sources potentielles de tensions avec les intérêts privés, sur fond de flambée des prix immobiliers. Avec des villas prestigieuses s’arrachant parfois à 15 000 euros le mètre carré, la pression spéculative pèse lourd face à la volonté politique de préservation du patrimoine naturel et bâti.
Concilier développement et préservation du cadre de vie
Car si l’économie touristique et résidentielle tire la croissance locale, élus et habitants sont conscients de la nécessité de ne pas tuer la poule aux œufs d’or. L’attractivité de la presqu’île repose largement sur la sensation de bout du monde et d’authenticité qu’on y cultive, entre villages ostréicoles, forêt de pins et architecture traditionnelle des villas « Arcachonnaises ».
« Notre différence, c’est ce cadre naturel d’exception. Nous devons tout faire pour le protéger. C’est vital pour notre identité et notre économie. »
Un habitant de Lège-Cap-Ferret.
Pas question donc de laisser le champ libre aux promoteurs adeptes du « toujours plus grand, toujours plus cher ». La mairie l’a bien compris, elle qui peine à trouver des terrains pour loger ses propres habitants, notamment les plus jeunes actifs. C’est tout l’enjeu d’une politique d’urbanisme qui doit concilier développement économique, justice sociale et préservation des équilibres environnementaux pour les générations futures.
Le feuilleton judiciaire des « Cabanes du Ferret » apparaît à cet égard comme un cas d’école. Au-delà de son épilogue, il pose la question de la régulation publique face aux appétits privés sur un territoire convoité. Une problématique commune aux zones touristiques, et plus largement aux secteurs attractifs. À Lège-Cap-Ferret comme ailleurs, c’est bien la capacité de la puissance publique à imposer l’intérêt général qui est en jeu. Quitte à devoir froisser certains intérêts particuliers.