En 2014, un scandale éclabousse le Mali : l’achat d’un avion présidentiel pour près de 40 millions de dollars, sans appel d’offres, déclenche une tempête politique et financière. Aujourd’hui, la justice malienne rend son verdict, condamnant une ancienne ministre à une lourde peine. Ce procès, emblématique de la lutte contre la corruption, soulève des questions brûlantes sur la gestion des fonds publics dans un pays marqué par l’instabilité. Que révèle cette affaire sur les rouages du pouvoir au Mali ?
Un Scandale qui Ébranle le Mali
L’affaire de l’avion présidentiel malien, survenue sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, reste un symbole de la corruption reprochée à l’ancienne classe dirigeante. En 2014, le gouvernement achète un avion présidentiel pour un montant estimé à 34 millions d’euros, une transaction réalisée sans respecter les procédures d’appel d’offres. À cela s’ajoute l’acquisition d’équipements militaires auprès d’une société malienne, dans des conditions tout aussi opaques. Ces irrégularités ont provoqué un tollé, entraînant des sanctions internationales, notamment un gel des fonds du Fonds monétaire international pendant six mois.
Ce scandale n’est pas qu’une question d’argent. Il touche au cœur de la confiance des Maliens envers leurs institutions, dans un contexte de crises politiques et sécuritaires. La junte militaire, au pouvoir depuis, brandit ce dossier comme une preuve des dérives de l’ancien régime, renforçant son discours anti-corruption.
Une Condamnation Sévère pour l’Ex-Ministre
Le verdict est tombé le mardi 8 juillet 2025 à la Cour d’assises de Bamako. L’ancienne ministre des Finances et de l’Économie, Fily Sissoko, a été condamnée à dix ans de prison ferme pour atteinte aux biens publics. Cette peine, lourde, reflète la gravité des accusations portées contre elle. Selon les documents officiels, elle est reconnue coupable dans le cadre de l’achat controversé de l’avion présidentiel et des contrats d’équipements militaires.
C’est une peine disproportionnée. Ma cliente paye pour les autres, notamment les morts.
Me Tounkara Dianguina, avocat de Fily Sissoko
L’avocat de l’ex-ministre, Me Tounkara Dianguina, dénonce une décision injuste, arguant que sa cliente est devenue un bouc émissaire. Il a annoncé son intention de faire appel rapidement, via un pourvoi en cassation. Ce verdict, selon lui, ne reflète pas la réalité des responsabilités dans cette affaire complexe.
D’autres Condamnations Marquantes
Fily Sissoko n’est pas la seule à avoir été jugée. Plusieurs figures de l’ancien régime ont également été visées par la justice. Parmi elles, Moustapha Ben Barka, ancien ministre et ex-vice-président de la Banque ouest-africaine de développement, a écopé d’une peine de réclusion à perpétuité par contumace, en son absence au procès. Cette condamnation illustre la fermeté de la justice malienne dans ce dossier.
Des officiers militaires ont aussi été sanctionnés. Le colonel-major Nouhoun Dabitao, par exemple, a été condamné à sept ans de prison pour faux et usage de faux dans les contrats d’équipements militaires. Ces marchés, réalisés sans transparence, ont alimenté les soupçons de détournement de fonds publics.
- Condamnation de Fily Sissoko : 10 ans de prison pour atteinte aux biens publics.
- Moustapha Ben Barka : Réclusion à perpétuité par contumace.
- Colonel-major Dabitao : 7 ans pour faux et usage de faux.
Un Contexte de Crise et de Sanctions
L’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires n’a pas seulement suscité des controverses internes. En 2014, les institutions financières internationales, dont le Fonds monétaire international, ont réagi en suspendant leurs aides financières au Mali. Ce gel, d’une durée de six mois, a aggravé la situation économique du pays, déjà fragilisé par des conflits internes et des défis sécuritaires.
Les montants en jeu, bien que variables selon les sources, témoignent de l’ampleur des irrégularités. L’avion, estimé à près de 40 millions de dollars, représente une somme colossale pour un pays où une grande partie de la population vit dans la précarité. Les Maliens, confrontés à des difficultés quotidiennes, ont vu dans cette dépense un symbole d’arrogance et de mauvaise gestion.
La Mort Controversée d’un Ancien Premier Ministre
Un autre acteur clé de cette affaire, Soumeylou Boubèye Maïga, ancien Premier ministre et ministre de la Défense à l’époque des faits, a marqué l’histoire de ce scandale. Placé en détention en 2021 pour des accusations de corruption, favoritisme et trafic d’influence, il est décédé en prison en mars 2023. Jusqu’à sa mort, il a clamé son innocence, dénonçant une instrumentalisation politique.
Je suis innocent. Ce procès est une chasse aux sorcières orchestrée par la junte.
Soumeylou Boubèye Maïga, avant sa mort
Ses partisans ont accusé la junte militaire, au pouvoir depuis un coup d’État, d’avoir négligé sa santé en détention, laissant planer un doute sur les circonstances de son décès. Cette tragédie a renforcé les tensions autour de ce procès, perçu par certains comme un règlement de comptespolitik.
La Lutte Contre la Corruption : Une Priorité de la Junte ?
Depuis son arrivée au pouvoir, la junte militaire malienne a fait de la lutte contre la corruption un cheval de bataille. Ce procès, très médiatisé, s’inscrit dans une volonté affichée de nettoyer les institutions et de restaurer la confiance des citoyens. Cependant, des voix critiques s’élèvent, dénonçant une justice sélective visant à éliminer les opposants politiques.
Le scandale de l’avion présidentiel, par son ampleur, est devenu un symbole de cette croisade. Mais au-delà des condamnations, il met en lumière des failles systémiques dans la gestion des ressources publiques. Comment un tel achat a-t-il pu être validé sans contrôle ? Pourquoi les mécanismes de transparence ont-ils échoué ?
Accusé | Peine | Chefs d’accusation |
---|---|---|
Fily Sissoko | 10 ans de prison | Atteinte aux biens publics |
Moustapha Ben Barka | Réclusion à perpétuité | Atteinte aux biens publics |
Colonel-major Dabitao | 7 ans de prison | Faux et usage de faux |
Un Procès aux Enjeux Multiples
Ce procès ne se limite pas à punir des individus. Il s’agit d’un message adressé à la classe politique et à la population. Pour la junte, il s’agit de prouver sa détermination à réformer un système gangrené par la corruption. Pour les Maliens, c’est une occasion de demander des comptes à ceux qui ont géré les ressources du pays.
Cependant, les critiques persistent. Certains estiment que la justice est instrumentalisée pour des motifs politiques, visant à discréditer l’ancien régime tout en consolidant le pouvoir de la junte. D’autres s’interrogent sur l’équité des peines, notamment celle de Fily Sissoko, perçue comme un symbole des dérives d’un système plus large.
Vers un Avenir Plus Transparent ?
L’affaire de l’avion présidentiel restera dans les annales maliennes comme un exemple des défis auxquels le pays est confronté. La condamnation de figures de haut rang montre une volonté de changement, mais elle ne résout pas les problèmes structurels. La transparence dans les marchés publics, le renforcement des institutions et la lutte contre l’impunité restent des chantiers majeurs.
Pour les Maliens, ce verdict est à la fois une victoire et un rappel amer des années de mauvaise gouvernance. La question demeure : ce procès marquera-t-il un tournant décisif, ou ne sera-t-il qu’un épisode dans une longue série de scandales ? L’avenir du Mali dépendra de la capacité de ses dirigeants à tirer les leçons de cette affaire.
- Enjeu principal : Restaurer la confiance dans les institutions.
- Prochain défi : Garantir la transparence des marchés publics.
- Impact : Renforcer la crédibilité de la justice malienne.
Ce scandale, bien que douloureux, pourrait devenir un catalyseur pour des réformes profondes. Mais pour cela, il faudra plus que des condamnations : une volonté politique réelle et des actions concrètes pour bâtir un Mali plus juste et équitable.