Imaginez une foule immense, près d’un demi-million de personnes, réunie dans une capitale européenne pour un concert. L’énergie est palpable, les chansons résonnent, mais soudain, des slogans controversés émergent, ravivant des blessures historiques. C’est ce qui s’est produit ce week-end à Zagreb, en Croatie, lors d’un événement qui a secoué le pays et attiré l’attention internationale. Un chanteur, figure emblématique pour certains et symbole de division pour d’autres, a enflammé les débats en raison de ses références à un passé sombre. Que s’est-il passé, et pourquoi cet événement soulève-t-il autant de passions ? Plongeons dans cette affaire complexe.
Un Concert aux Résonances Controversées
Ce samedi, l’hippodrome de Zagreb s’est transformé en une mer humaine. Environ 450 000 personnes, dont 350 000 Croates dans un pays de 3,8 millions d’habitants, se sont rassemblées pour acclamer un chanteur connu sous le nom de Thompson. Cet artiste, de son vrai nom Marko Perkovic, est une figure incontournable de la scène folk-rock croate depuis les années 1990. Mais son concert n’a pas seulement attiré les foules : il a également ravivé des tensions liées à l’histoire et à l’identité nationale croate.
Le spectacle a paralysé la capitale croate, les rues envahies par des fans brandissant des drapeaux et des t-shirts noirs ornés du slogan Za Dom – Spremni (« Pour la patrie – Prêts ! »). Ce cri, repris en chœur par la foule, n’est pas anodin. Il est historiquement associé au régime fasciste oustachi, qui a marqué la Croatie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette référence a immédiatement suscité des critiques acerbes, tant dans le pays qu’à l’étranger.
Qui Est Marko Perkovic, Alias Thompson ?
Marko Perkovic, plus connu sous son nom de scène Thompson, s’est imposé dans les années 1990 comme une voix du nationalisme croate. Ses chansons, souvent patriotiques, exaltent l’identité croate et font écho à la guerre d’indépendance contre la Serbie (1991-1995). Mais ce qui fait de lui une figure clivante, ce sont ses références explicites au régime oustachi, un mouvement fasciste qui a collaboré avec l’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini pendant la Seconde Guerre mondiale.
Thompson a toujours nié glorifier ce régime, affirmant que ses chansons, comme celle débutant par Za Dom – Spremni, rendent hommage aux combattants de la guerre des années 1990, notamment l’unité paramilitaire HOS. Pourtant, ce salut reste profondément associé à l’histoire oustachi, et son utilisation publique est perçue comme une provocation par beaucoup. En conséquence, l’artiste a été interdit de se produire dans plusieurs pays européens, où ses concerts sont jugés incompatibles avec les valeurs démocratiques.
« Nous avons assisté à une honte mondiale, où des messages extrémistes ont bénéficié d’un soutien direct du gouvernement. »
Parti social-démocrate croate
Une Polémique aux Dimensions Politiques
Ce qui a amplifié la controverse, c’est la présence de figures politiques de premier plan à l’événement. Le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic, membre d’un parti conservateur, a assisté à la répétition générale et a même posé pour une photo aux côtés de Thompson, en compagnie du président du Parlement, Gordan Jandrokovic. Cette image a choqué l’opposition et les défenseurs des droits humains, qui y voient une forme de légitimation des discours extrémistes.
Les sociaux-démocrates, principal parti d’opposition, ont dénoncé un « scandale mondial » orchestré avec le soutien logistique de l’État. Ils accusent le gouvernement de fermer les yeux sur l’utilisation de symboles fascistes, une critique partagée par des organisations non gouvernementales. L’Initiative des jeunes pour les droits de l’homme a qualifié l’événement de « plus grand rassemblement pro-fasciste en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale », une accusation grave dans un pays membre de l’Union européenne.
L’Union européenne prône des valeurs de tolérance et de démocratie. Comment un État membre peut-il tolérer des symboles associés à un passé fasciste ?
Un Passé Historique Sensible
Pour comprendre la portée de cette polémique, il faut remonter à l’histoire de la Croatie pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1941 et 1945, l’État indépendant de Croatie, dirigé par le régime oustachi, a été créé sous l’égide de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Ce régime, qui visait à établir une Croatie ethniquement homogène, a orchestré des persécutions systématiques contre les Serbes, les Juifs, les Roms et les Croates antifascistes. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées, notamment dans des camps de concentration comme celui de Jasenovac.
Le slogan Za Dom – Spremni était l’un des cris de ralliement des oustachis, ce qui explique pourquoi son utilisation aujourd’hui est si controversée. Si certains fans de Thompson le perçoivent comme un symbole de patriotisme, pour d’autres, il évoque un passé de violence et d’intolérance. Cette dualité reflète les divisions profondes au sein de la société croate, où le nationalisme reste un sujet sensible.
Les Réactions : Entre Défense et Indignation
Face à la polémique, le ministre de l’Intérieur, Davor Bozinovic, a tenté de calmer le jeu. Il a déclaré qu’il était injuste de qualifier un demi-million de personnes d’extrémistes. Selon lui, le concert était avant tout une célébration de la culture croate, et non un rassemblement politique. Cette position a cependant été critiquée comme une tentative de minimiser la gravité des symboles utilisés.
Du côté des défenseurs de Thompson, l’artiste est vu comme un patriote défendant les valeurs traditionnelles et religieuses. Ses fans, nombreux à porter des vêtements arborant le slogan controversé, estiment qu’il incarne une fierté nationale face à une histoire marquée par les conflits. Cette vision est toutefois loin d’être unanime, et les critiques continuent de pleuvoir.
Aspect | Arguments des défenseurs | Arguments des critiques |
---|---|---|
Symboles | Expression de patriotisme et d’histoire récente | Glorification d’un régime fasciste |
Rôle de Thompson | Artiste célébrant l’identité croate | Figure de l’extrême droite |
Soutien politique | Signe d’unité nationale | Légitimation de l’extrémisme |
Une Tolérance Croissante pour le Passé Fasciste ?
La polémique autour du concert de Thompson n’est pas un incident isolé. Ces dernières années, la Croatie a été critiquée pour sa tolérance croissante envers les symboles et les récits liés à son passé pro-nazi. Les emblèmes oustachis, bien que controversés, apparaissent parfois dans l’espace public sans être systématiquement interdits. Cette permissivité est vue par certains comme un échec des autorités à confronter pleinement l’héritage historique du pays.
Pour les organisations de défense des droits humains, cette situation est inquiétante. Elles estiment que l’absence de mesures fermes contre les symboles fascistes risque de normaliser des idéologies extrémistes. Dans un contexte où l’Union européenne promeut l’unité et la tolérance, cet événement soulève des questions sur la cohérence des valeurs européennes au sein de ses États membres.
« Cet événement est une attaque directe contre les valeurs fondamentales de l’Union européenne. »
Initiative des jeunes pour les droits de l’homme
Quelles Conséquences pour la Croatie ?
Le concert de Zagreb a placé la Croatie sous les projecteurs internationaux, et pas pour les meilleures raisons. Alors que le pays cherche à consolider sa place au sein de l’Union européenne, cet épisode pourrait ternir son image. Les critiques, tant internes qu’externes, appellent à une réflexion profonde sur la manière dont la Croatie gère son passé et ses symboles.
Voici quelques enjeux majeurs soulevés par cet événement :
- Réconciliation nationale : Comment concilier la fierté patriotique avec le rejet des idéologies extrémistes ?
- Réputation internationale : Quel impact sur l’image de la Croatie en Europe ?
- Rôle des autorités : Le gouvernement doit-il prendre des mesures plus strictes contre les symboles fascistes ?
- Liberté d’expression : Où tracer la ligne entre la célébration culturelle et la glorification de l’extrémisme ?
Pour l’instant, le débat reste vif. Les Croates eux-mêmes sont divisés, entre ceux qui voient en Thompson un symbole de résistance nationale et ceux qui le considèrent comme une menace pour les valeurs démocratiques. Ce qui est certain, c’est que cet événement ne sera pas oublié de sitôt.
Un Débat qui Dépasse les Frontières
Le concert de Thompson n’est pas seulement une affaire croate. Il soulève des questions universelles sur la manière dont les sociétés modernes affrontent leur passé. Dans un monde où les idéologies extrémistes gagnent du terrain, comment gérer les symboles et les récits qui divisent ? La Croatie, avec son histoire complexe, est un miroir de ces dilemmes.
En attendant, Zagreb retrouve peu à peu son calme, mais les échos de ce week-end résonnent encore. L’événement a mis en lumière les fractures d’une nation et les défis auxquels elle doit faire face pour avancer. Reste à savoir si cet épisode marquera un tournant ou s’il ne sera qu’un soubresaut dans un débat qui, visiblement, est loin d’être clos.