Alors que le Royaume-Uni cherche encore ses marques hors de l’Union européenne, l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche fait peser une nouvelle épée de Damoclès sur ses relations commerciales des deux côtés de l’Atlantique. Entre son « allié spécial » américain qui le presse de choisir son camp et l’UE qui reste malgré tout son principal partenaire, Londres entend pourtant ménager la chèvre et le chou. Mais ce grand écart diplomatico-commercial s’annonce plus que périlleux.
« L’intérêt national exige que nous travaillions avec les deux »
C’est le message martelé par le Premier ministre Keir Starmer dans un discours prononcé lundi soir. Pour lui, hors de question de choisir entre les États-Unis et l’Europe, quitte à devoir slalomer entre les pressions de part et d’autre :
L’idée selon laquelle nous devons choisir entre nos alliés, être soit avec l’Amérique, soit avec l’Europe, est tout simplement fausse.
– Keir Starmer, Premier ministre britannique
Depuis son arrivée au pouvoir il y a cinq mois, le chef du gouvernement travailliste s’efforce de recoller les morceaux avec Bruxelles après des années de tensions liées au Brexit, tout en cultivant de bonnes relations avec l’équipe Trump. Un exercice d’équilibriste qui s’annonce de plus en plus compliqué.
Washington met la pression
Du côté américain, on agite déjà le chiffon rouge. Stephen Moore, conseiller économique de Donald Trump, a ainsi mis les pieds dans le plat dans une interview à la BBC :
Il serait préférable que la Grande-Bretagne s’oriente davantage vers le modèle américain (…) cela encouragerait l’administration Trump à conclure un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni.
– Stephen Moore, conseiller de Donald Trump
Comprendre : pour espérer décrocher l’accord commercial tant convoité avec les États-Unis depuis le Brexit, Londres devra se rapprocher du « modèle économique américain davantage basé sur un système de libre entreprise », dixit Moore, et s’éloigner du « modèle européen plus socialiste ». Rien de moins. Et tant pis si cet accord reste pour l’instant très hypothétique, butant notamment sur la réticence britannique à ouvrir son marché à certains produits agricoles made in USA.
La menace des droits de douane
Autre moyen de pression brandi par Trump: la menace de droits de douane dans le cadre de la guerre commerciale qui couve entre les deux rives de l’Atlantique. Même si le Royaume-Uni et l’UE n’ont pas encore été directement visés, le spectre plane. Et met les milieux d’affaires britanniques en alerte :
Le Royaume-Uni va se retrouver dans une situation où il va devoir prendre des décisions assez difficiles.
– Marco Forgione, directeur de l’Institut de l’export et du commerce international
Pris en étau entre « la dérégulation » promise côté américain et « la réglementation (…) en particulier sur les questions environnementales » dans l’Union européenne, Londres pourrait peiner à évoluer sur cette ligne de crête, entre deux visions opposées, prévient-il. « C’est incroyablement difficile« .
L’Europe, partenaire privilégié ?
Face à ces pressions, une majorité de Britanniques semble pencher pour une priorité donnée à l’Europe. Selon un sondage récent de BMG Research, 49% privilégient leur grand voisin européen, contre seulement 28% favorables à un accord de libre-échange avec les États-Unis.
L’Amérique sera toujours importante pour le Royaume-Uni. Mais notre plus grand partenaire commercial est l’UE. Si je dois choisir, je place l’Europe avant les États-Unis.
– Fiorentino Izzo, responsable chez Cargo Partner
Le secteur des services, locomotive des exportations britanniques, pourrait toutefois échapper plus facilement aux droits de douane que les biens physiques en cas de conflit commercial. Donnant à Londres plus de marge de manœuvre dans ses arbitrages.
Un grand écart à hauts risques
Quoiqu’il arrive, le gouvernement britannique ne pourra probablement pas échapper à des choix délicats à plus ou moins brève échéance. La question des droits de douane américains finira par se poser, obligeant Londres à se positionner, selon David Henig, expert au Centre européen pour la politique économique internationale :
Au moment où cela se produira, le gouvernement devra être prêt avec différentes approches.
– David Henig, expert en commerce international
En attendant, Londres mise aussi sur une diversification tous azimuts de ses partenariats. Selon des informations de presse, la ministre des Finances Rachel Reeves pourrait ainsi se rendre en Chine en janvier, quelques jours seulement avant la prestation de serment de Donald Trump. Signe que le Royaume-Uni post-Brexit entend profiter de sa liberté retrouvée pour jouer sur tous les tableaux, des États-Unis à l’UE en passant par l’Asie, au risque de se retrouver assis entre deux, voire plusieurs chaises. Un grand écart qui pourrait vite virer au grand n’importe quoi.