Imaginez deux présidents qui s’insultent publiquement, des sanctions qui tombent, des menaces de rupture totale… et, dans l’ombre, les mêmes appareils d’État qui continuent de travailler ensemble comme si de rien n’était. C’est exactement ce qui se passe en ce moment entre la Colombie et les États-Unis.
Un responsable de très haut niveau vient de le confirmer : malgré le bruit assourdissant de la crise diplomatique, la coopération entre les services de renseignement reste intacte, fluide, et même particulièrement active.
Une coopération qui survit au fracas des mots
Le directeur de la Direction nationale du renseignement colombien a accordé une interview rare. Son message est clair : oui, les présidents peuvent se disputer, mais les professionnels, eux, continuent le travail sur le terrain.
Et ce travail est colossal. Cette année seulement, plus de dix mille laboratoires clandestins de transformation de cocaïne ont été démantelés. Beaucoup de ces opérations ont été menées conjointement avec les agences américaines. « Main dans la main », dit-il sans détour.
Des décennies de lien indissoluble
Il faut se rappeler l’histoire. Depuis le Plan Colombie lancé au début des années 2000, Washington a investi des milliards de dollars pour aider Bogotá à combattre les cartels et les groupes armés. Des milliers d’hectares de coca ont été éradiqués, des tonnes de drogue saisies.
Cette coopération n’est pas seulement financière. Elle repose sur un échange permanent d’informations ultra-sensibles : écoutes, images satellite, infiltrations, suivi des flux financiers. Couper ce robinet serait suicidaire pour les deux parties.
Des anciens chefs militaires colombiens l’ont d’ailleurs répété récemment : menacer de rompre le partage de renseignement n’a « aucun sens ». Les experts abondent dans le même sens. Une rupture profiterait uniquement aux cartels.
Le mois où tout a failli basculer
Retour en arrière. Il y a quelques semaines, Washington annonce des sanctions personnelles contre le président colombien Gustavo Petro. Motif : l’administration américaine estime qu’il ferme les yeux sur certaines activités de narcotrafic.
La réponse ne se fait pas attendre. Petro dénonce publiquement des « exécutions extrajudiciaires » ordonnées par Donald Trump : des bateaux suspectés de transporter de la drogue auraient été bombardés en haute mer, dans les eaux du Pacifique et des Caraïbes.
Le ton monte très vite. Le président colombien déclare alors qu’il ne partagera plus aucune information avec les États-Unis. Les médias titrent sur une rupture historique.
Mais très rapidement, les conseillers présidentiels tempèrent. Et surtout, les professionnels du renseignement, eux, ne changent rien à leurs habitudes.
« Nous continuons exactement comme avant »
« La coopération reste complètement fluide, non seulement avec la CIA mais avec toutes les agences américaines. Nous continuons exactement comme avant. »
Jorge Lemus, directeur national du renseignement colombien
Ces mots sont lourds de sens. Car Jorge Lemus n’est pas n’importe qui. Ancien guérillero lui-même, il a été nommé personnellement par Gustavo Petro au début de l’année. S’il dit que tout continue normalement, c’est que c’est vrai.
Il ajoute même une précision importante : les opérations conjointes se poursuivent parce que, finalement, tout le monde lutte contre le même ennemi : le narcotrafic qui inonde les rues américaines et finance la violence en Colombie.
Pourquoi une telle résilience ?
Plusieurs raisons expliquent cette solidité apparente.
- Les intérêts communs sont trop importants pour être sacrifiés sur l’autel de l’ego présidentiel.
- Les appareils de renseignement sont des mondes à part, avec leurs propres règles et priorités.
- Les informations colombiennes sur le terrain sont souvent irremplaçables pour les Américains.
- Les Américains, eux, apportent des moyens technologiques que Bogotá ne possède pas encore totalement.
Un ancien responsable américain le confirme : les agents colombiens sur place voient et entendent des choses que les satellites ne peuvent pas capter. Cette complémentarité est vitale.
L’ombre d’un scandale interne
Mais tout n’est pas rose à Bogotá. L’agence de Jorge Lemus traverse actuellement une tempête. Un de ses proches collaborateurs est accusé d’avoir aidé une guérilla à acheter des armes et à contourner des contrôles.
Le président Petro a immédiatement pointé du doigt la CIA, accusant l’agence américaine d’avoir orchestré une fuite dans la presse pour déstabiliser son gouvernement.
Jorge Lemus, lui, refuse cette version. Il parle d’informations « peut-être fabriquées » et assure que l’enquête suit son cours. Son subordonné a été suspendu, mais il continue de le défendre publiquement.
Cette affaire montre à quel point le climat est électrique. Chacun cherche des coupables extérieurs. Pourtant, sur le terrain, la coopération, elle, ne faiblit pas.
Ce que cela nous dit du monde actuel
Cette situation est fascinante à plus d’un titre. Elle révèle la dualité permanente entre diplomatie publique et action secrète. Les discours tonitruants servent souvent à satisfaire des opinions publiques. Les vrais dossiers, eux, se règlent ailleurs.
On pense souvent que les services de renseignement obéissent aveuglément aux ordres politiques. Cette affaire prouve le contraire. Ils ont leurs propres logiques, leurs propres impératifs opérationnels.
Et surtout, elle montre que certains combats – comme celui contre le narcotrafic – transcendent les alternances politiques et les ego des dirigeants.
Vers une normalisation discrète ?
Les prochaines semaines seront déterminantes. Les sanctions américaines sont toujours en place. Les déclarations incendiaires n’ont pas totalement disparu.
Mais tant que dix mille laboratoires continueront d’être détruits chaque année, souvent grâce à une coordination parfaite entre Colombiens et Américains, la coopération survivra.
Car au fond, personne n’a intérêt à ce qu’elle s’arrête. Ni Bogotá, qui a besoin du soutien technologique et financier. Ni Washington, premier consommateur mondial de cocaïne.
La guerre contre la drogue est loin d’être gagnée. Mais tant que les professionnels continuent de travailler ensemble dans l’ombre, il reste de l’espoir.
Et pendant que les caméras filment les présidents qui se déchirent, les vrais acteurs de cette lutte, eux, poursuivent leur mission. Discrètement. Efficacement. Main dans la main.









