Imaginez un pays où les richesses du sous-sol, comme le pétrole, attirent des multinationales prêtes à tout pour protéger leurs intérêts, même à s’associer avec des groupes armés. En Colombie, cette réalité semble avoir rattrapé le géant pétrolier franco-britannique Perenco, accusé d’avoir financé des paramilitaires entre 1997 et 2005. Une récente décision de justice a secoué l’opinion publique : deux bureaux de l’entreprise à Bogotá ont été saisis pour alimenter un fonds dédié aux victimes du conflit armé. Cette affaire, loin d’être isolée, soulève des questions brûlantes sur la responsabilité des grandes entreprises dans les conflits internes.
Une saisie historique pour réparer les victimes
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe : le parquet colombien a ordonné la saisie de deux propriétés appartenant à Perenco, évaluées à environ 10 millions de dollars. Cette mesure, décidée par un tribunal spécial de Bogotá, vise à alimenter un fonds de réparation pour les victimes du conflit armé dans le département de Casanare. Mais que reproche-t-on exactement à cette multinationale présente en Colombie depuis 1993 ? Selon des témoignages d’anciens paramilitaires, Perenco aurait soutenu financièrement les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), un groupe dissous en 2006, mais responsable de multiples exactions durant des décennies.
Ces accusations ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis 2010, des confessions d’anciens membres des AUC, obtenues dans le cadre de la justice transitionnelle, pointent du doigt l’entreprise pétrolière. En échange d’une protection pour ses puits de pétrole, Perenco aurait fourni argent, carburant, nourriture et moyens de transport. Une collaboration troublante qui, si elle est confirmée, illustre les liaisons dangereuses entre certaines multinationales et les groupes armés.
Le contexte du conflit armé colombien
Pour comprendre l’ampleur de cette affaire, il faut plonger dans l’histoire récente de la Colombie. Depuis six décennies, ce pays sud-américain est déchiré par un conflit armé impliquant guérillas, narcotrafiquants, forces de l’ordre et groupes paramilitaires. Ce conflit a laissé des traces indélébiles : environ 1,1 million de morts, 200 000 disparus et 9 millions de déplacés. Les paramilitaires, comme les AUC, ont joué un rôle central dans cette violence, souvent en s’attaquant aux civils pour contrôler des territoires stratégiques, notamment ceux riches en ressources naturelles.
« Les paramilitaires offraient une sécurité que l’État ne pouvait pas garantir, mais à quel prix ? »
Anonyme, ancien habitant de Casanare
Dans ce chaos, les entreprises pétrolières, comme Perenco, opéraient dans des zones à haut risque. Le département de Casanare, où les saisies ont été ordonnées, était un bastion des AUC. Les puits de pétrole, vitaux pour l’économie, étaient des cibles stratégiques, et leur protection passait parfois par des alliances controversées.
Perenco, un acteur majeur sous pression
Installée en Colombie depuis 1993, Perenco est l’une des principales entreprises pétrolières opérant dans le pays. Ses activités dans le Casanare ont généré des revenus considérables, mais aussi des critiques. Les accusations de financement des AUC ne sont pas nouvelles, mais la saisie de ses bureaux marque un tournant. Cette décision s’inscrit dans un processus plus large de justice transitionnelle, instauré après la démobilisation des AUC sous le gouvernement d’Álvaro Uribe (2002-2010).
En 2006, environ 30 000 paramilitaires ont bénéficié d’une amnistie partielle en échange de confessions et de leur désarmement. Ces témoignages ont permis de lever le voile sur les pratiques de certaines entreprises. Perenco, selon ces déclarations, aurait fourni un soutien logistique et financier aux AUC, en échange d’une protection armée pour ses installations. Une pratique qui, si elle était avérée, violerait les principes éthiques fondamentaux.
Un fonds pour réparer les blessures du passé
La saisie des biens de Perenco n’est pas une fin en soi. Les 10 millions de dollars estimés pour les deux bureaux seront versés à un fonds dédié à l’indemnisation des victimes du conflit. Ce fonds, créé après la démobilisation des AUC, vise à réparer les préjudices subis par les populations touchées par la violence paramilitaire. Dans le Casanare, où les exactions ont été nombreuses, cette initiative est perçue comme un pas vers la justice, bien que symbolique face à l’ampleur des dégâts.
Chiffres clés du conflit colombien :
- 1,1 million de morts depuis les années 1960
- 200 000 disparus
- 9 millions de déplacés internes
- 30 000 paramilitaires démobilisés en 2006
Ces chiffres, bien que glaçants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Derrière chaque statistique se cachent des familles brisées, des communautés déracinées et des vies détruites. La saisie des biens de Perenco, bien que limitée, envoie un message fort : les entreprises impliquées dans le conflit ne peuvent plus agir en toute impunité.
Perenco n’est pas un cas isolé
L’affaire Perenco n’est pas unique. D’autres multinationales ont été accusées de liens avec des groupes paramilitaires en Colombie. Par exemple, en juin 2024, un tribunal américain a reconnu la responsabilité d’une grande entreprise bananière dans le financement des AUC dans la région d’Uraba. De même, deux dirigeants d’une compagnie minière américaine font face à un procès en Colombie pour des faits similaires dans le département de César.
Ces cas mettent en lumière une réalité troublante : dans des contextes de conflit, certaines entreprises n’hésitent pas à collaborer avec des groupes armés pour sécuriser leurs opérations. Cette pratique, bien que motivée par des impératifs économiques, soulève des questions éthiques et juridiques majeures. Comment une entreprise peut-elle justifier de telles alliances alors que des civils en payent le prix ?
Quelles leçons pour l’avenir ?
La saisie des biens de Perenco marque un tournant dans la lutte contre l’impunité en Colombie. Elle montre que la justice, même des années après les faits, peut rattraper les responsables, qu’ils soient des combattants ou des entreprises. Cependant, cette affaire soulève aussi des questions sur la responsabilité des multinationales dans les zones de conflit. Comment s’assurer que les entreprises respectent les droits humains ? Quels mécanismes internationaux pourraient prévenir de telles dérives ?
« La justice est lente, mais elle finit par arriver. Cette saisie est un signal pour toutes les entreprises opérant en Colombie. »
Un magistrat colombien, anonyme
Pour l’avenir, la Colombie devra renforcer ses mécanismes de contrôle sur les entreprises étrangères. Les ONG et les organisations internationales jouent également un rôle clé en dénonçant ces pratiques. Mais au-delà des sanctions, c’est une prise de conscience collective qui est nécessaire pour éviter que l’histoire ne se répète.
Un chemin encore long vers la réconciliation
La saisie des biens de Perenco, bien qu’importante, n’est qu’une étape dans le long processus de réconciliation en Colombie. Les victimes du conflit, qu’il s’agisse des familles des disparus ou des communautés déplacées, attendent toujours des réponses et des réparations. Les fonds issus de cette saisie, bien que conséquents, ne suffiront pas à panser toutes les blessures. Cependant, ils offrent un espoir : celui d’une justice qui, même imparfaite, cherche à rendre des comptes.
En attendant, l’affaire Perenco continue de susciter des débats. Les accusations portées contre l’entreprise devront être prouvées, et la multinationale aura l’occasion de se défendre. Mais une chose est sûre : cette affaire marque un tournant dans la manière dont la Colombie aborde la responsabilité des entreprises dans son histoire douloureuse.
Et si la justice colombienne parvenait à changer les pratiques des multinationales ?
Le chemin vers la réconciliation est encore long, mais chaque pas compte. La saisie des bureaux de Perenco, bien que symbolique, pourrait ouvrir la voie à d’autres actions similaires, envoyant un message clair aux entreprises : la Colombie ne tolérera plus les abus, même de la part des géants économiques.