Imaginez vivre dans une région isolée de Colombie, où soudain, pour trois jours, tout mouvement est interdit. Pas de sortie, pas de travail aux champs, pas même une promenade. Cette réalité vient de s’imposer à des milliers de personnes sous contrôle de la guérilla de l’ELN, en réponse directe à des déclarations tonitruantes venues de Washington. Les menaces d’intervention militaire proférées par Donald Trump ont allumé une mèche dans un pays déjà marqué par des décennies de conflit armé.
Une Mesure Drastique au Nom de la Défense Nationale
À partir du dimanche, l’Armée de libération nationale, plus connue sous l’acronyme ELN, a imposé un confinement strict dans les zones qu’elle domine. Cette décision, annoncée un vendredi soir, durera jusqu’au mercredi suivant, limitant sévèrement les déplacements des civils entre 11 heures GMT le dimanche et la même heure trois jours plus tard.
Officiellement, cette restriction vise à éviter tout accident entre les populations locales et les combattants lors de manœuvres militaires que l’ELN qualifie de « défense ». La guérilla affirme préparer le terrain face à ce qu’elle décrit comme une menace imminente d’intervention extérieure.
Derrière cette justification se cache une dénonciation virulente du président américain. L’ELN accuse Donald Trump de relancer un plan néocolonial visant à piller les ressources naturelles du pays sous prétexte de lutte antidrogue.
Les Déclarations Incendiaires de Donald Trump
Le locataire de la Maison Blanche n’a pas mâché ses mots. Il a publiquement averti que certains pays d’Amérique latine producteurs de cocaïne pourraient faire l’objet d’attaques militaires. La Colombie, premier producteur mondial, se trouve clairement dans le viseur, accusée de fabriquer la drogue et de l’exporter massivement vers les États-Unis.
Pour appuyer ses propos, d’importants moyens militaires ont été déployés en mer des Caraïbes, au large des côtes vénézuéliennes. Ce voisin de la Colombie, dirigé par Nicolas Maduro, est régulièrement pointé du doigt pour son implication présumée dans des réseaux de trafic.
Ces mouvements navals ne passent pas inaperçus. Ils renforcent le sentiment d’encerclement perçu par les groupes armés colombiens, qui y voient une provocation directe contre leur souveraineté.
Nous, les forces populaires de Colombie, nous opposons aux menaces d’intervention impérialistes dans notre pays, une nouvelle phase du plan néocolonial de Trump qui entend durcir le pillage des biens naturels.
Cette citation extraite du communiqué de l’ELN illustre parfaitement le ton employé : un discours révolutionnaire héritée de ses origines, inspirées par la figure d’Ernesto Che Guevara dès sa création en 1964.
Un Contrôle Territorial Étendu et Stratégique
L’ELN n’est pas un acteur marginal. Avec environ 5 800 membres, elle exerce son influence sur plus d’un cinquième des municipalités colombiennes. Ses bastions se concentrent souvent dans des zones riches en ressources naturelles, mais aussi en cultures illicites.
La région du Catatumbo représente un exemple emblématique. Frontalière avec le Venezuela, elle abrite l’une des plus vastes concentrations mondiales de plantations de coca. C’est ici que l’ELN régule la production et, par extension, une partie significative du trafic de cocaïne.
Des rapports indépendants mentionnent également des activités transfrontalières. La guérilla entretiendrait des liens avec des éléments des forces vénézuéliennes, facilitant ainsi ses opérations de l’autre côté de la frontière. Caracas a toujours nié ces allégations avec véhémence.
Cette implantation stratégique permet à l’ELN de financer ses activités par divers moyens : taxation du trafic de drogue, exploitation minière illégale, détournement de pétrole, ou encore enlèvements contre rançon. Une économie parallèle qui assure sa pérennité malgré les pressions.
La Réponse Virulente du Gouvernement Colombien
À Bogota, la mesure de confinement n’a pas été accueillie avec bienveillance. Le président Gustavo Petro, premier chef d’État de gauche dans l’histoire récente du pays, a réagi avec ironie et fermeté sur les réseaux sociaux.
Il a souligné l’absurdité de la situation : protester contre une menace extérieure en restreignant les libertés des citoyens colombiens eux-mêmes. Pour lui, cette « grève armée » ne cible pas les bonnes personnes et profite finalement à ceux qui tirent les ficelles du narcotrafic.
On ne proteste contre personne en tuant des paysans et en leur ôtant la liberté. Vous décrétez une grève armée non pas contre Trump, mais en faveur des narcotrafiquants qui vous contrôlent.
Ces mots cinglants reflètent une fracture profonde entre le gouvernement et la dernière guérilla active du pays. Le ministre de la Défense, Pedro Sanchez, a quant à lui qualifié la mesure de « coercition criminelle ». Il a promis une présence renforcée des forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire national.
Des patrouilles accrues sont attendues dans les montagnes, les forêts et le long des rivières. L’objectif : garantir la liberté de mouvement des citoyens et contrer toute tentative d’intimidation.
Un Contexte Historique Chargé
Pour comprendre l’ampleur de la situation, un retour en arrière s’impose. L’ELN est née en 1964 dans un contexte de révolte paysanne et d’inspiration révolutionnaire cubaine. Contrairement aux FARC, qui ont signé un accord de paix historique en 2016 et se sont transformées en parti politique, l’ELN a choisi de poursuivre la lutte armée.
Des dissidences issues des anciennes FARC continuent également d’opérer, compliquant le paysage sécuritaire. Le gouvernement de Gustavo Petro avait pourtant tenté une approche dialoguiste. Pendant deux ans, des négociations ont eu lieu, dans l’espoir de répéter le succès obtenu avec les FARC.
Mais ces pourparlers ont achoppé en janvier dernier. Une offensive sanglante contre une faction rivale, causant plus d’une centaine de morts, a provoqué la rupture. Bogota a réactivé les mandats d’arrêt contre les principaux commandants de l’ELN.
Aujourd’hui, les relations sont au point mort. Chaque incident ravive les tensions et rappelle que la paix reste fragile dans de nombreuses régions du pays.
Les Enjeux Géopolitiques Régionaux
Au-delà du conflit interne, cette affaire touche à des dynamiques plus larges en Amérique latine. Les déclarations de Donald Trump ne visent pas seulement la Colombie. Le Venezuela, voisin et allié idéologique potentiel pour certains groupes armés, se retrouve indirectement concerné.
Les déploiements militaires en mer des Caraïbes envoient un message clair. Washington entend durcir sa politique antidrogue, quitte à recourir à la menace de la force. Cela ravive les souvenirs d’interventions passées dans la région et alimente les discours anti-impérialistes.
Le président Petro avait déjà interpellé directement son homologue américain début décembre. Il lui avait demandé de respecter la souveraineté colombienne, avertissant qu’une attaque équivaudrait à une déclaration de guerre. Un appel au respect de deux siècles de relations diplomatiques.
Cette prise de position ferme illustre la délicate équilibre que doit maintenir Bogota : coopérer avec Washington sur la lutte antidrogue tout en préservant son indépendance face aux pressions extérieures.
Les Conséquences pour les Populations Locales
Au cœur de ce bras de fer politique, ce sont les civils qui trinquent. Dans les zones sous influence de l’ELN, la vie quotidienne est rythmée par les règles imposées par les guérilleros. Un confinement, même temporaire, perturbe l’économie locale, déjà précaire.
Les paysans ne peuvent plus accéder à leurs champs. Les commerces restent fermés. Les enfants manquent l’école. Toute cette disruption au nom d’une cause qui, pour beaucoup, semble éloignée de leurs préoccupations immédiates.
Et pourtant, ces populations n’ont souvent guère le choix. Refuser d’obtempérer expose à des représailles. Obéir signifie accepter une perte de liberté temporaire, mais aussi perpétuer un système où les groupes armés dictent les règles.
Cette situation met en lumière le drame humain derrière les grands discours idéologiques. Des familles entières se retrouvent prises en étau entre les menaces extérieures et les contraintes imposées localement.
Perspectives d’Avenir Incertaines
Que réserve l’avenir à cette région tourmentée ? La mesure de confinement n’est que le symptôme d’une crise plus profonde. Tant que les racines du conflit – pauvreté, inégalités, trafic de drogue – ne seront pas abordées de front, les cycles de violence risquent de se répéter.
Le gouvernement Petro mise sur une approche de « paix totale », combinant dialogue et présence étatique renforcée dans les territoires oubliés. Mais les obstacles sont nombreux, et chaque incident comme celui-ci fragilise un peu plus la confiance.
Du côté américain, la rhétorique musclée pourrait compliquer les efforts de coopération internationale. Une escalade verbale, voire militaire, aurait des répercussions imprévisibles sur toute la région andine.
En attendant, les habitants des zones concernées vivent dans l’angoisse de ces trois jours particuliers. Un épisode qui, espérons-le, restera sans incident majeur, mais qui rappelle cruellement que la paix reste un objectif lointain en Colombie.
À retenir :
- Confinement imposé par l’ELN du dimanche au mercredi
- Réponse aux menaces d’intervention de Donald Trump
- Critiques sévères du président Petro et du gouvernement
- Tensions accrues dans une région déjà fragile
- Enjeux de souveraineté et de lutte antidrogue au cœur du débat
Cette affaire illustre parfaitement la complexité des relations entre sécurité nationale, trafic illicite et ingérences étrangères. Elle nous invite à réfléchir sur les limites de la coercition, qu’elle vienne de groupes armés ou de puissances extérieures. Dans ce jeu d’équilibre précaire, ce sont toujours les plus vulnérables qui paient le prix fort.
La Colombie continue son chemin vers une paix durable, mais les embûches sont nombreuses. Chaque déclaration, chaque mesure, peut soit rapprocher cet objectif, soit l’éloigner un peu plus. L’espoir réside dans le dialogue et dans une approche qui place l’humain au centre des priorités.
En suivant l’évolution de cette situation, on mesure à quel point les conflits locaux sont intimement liés aux dynamiques globales. La lutte contre le narcotrafic ne peut se réduire à des menaces militaires ; elle exige une coopération internationale respectueuse des souverainetés et des réalités terrain.
Pour l’instant, le confinement touche à sa fin. Mais les questions qu’il soulève, elles, restent pleinement d’actualité. La Colombie saura-t-elle transformer cette crise en opportunité pour avancer vers une résolution définitive de ses conflits internes ? L’avenir seul le dira.









