Moins d’un an après un ample mouvement de colère dans les campagnes françaises, la contestation agricole s’apprête à reprendre du service. Estimant ne pas avoir récolté les fruits espérés suite aux blocages de l’hiver dernier, plusieurs syndicats d’agriculteurs appellent leurs troupes à se remobiliser sur le terrain. Au cœur de leurs préoccupations : le manque d’avancées sur des revendications de longue date comme l’amélioration des revenus ou l’allègement des contraintes environnementales.
Un parfum de déjà-vu dans les campagnes
Le coup d’envoi de ce nouveau cycle de contestation sera donné ce lundi par l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs, les deux principaux syndicats agricoles. Selon une source proche du dossier, pas moins de 82 actions symboliques sont prévues à travers le pays, notamment devant des préfectures et sur des ronds-points rebaptisés “de l’Europe”. L’objectif : faire passer le message que l’agriculture française traverse “une situation d’urgence, dramatique dans certains endroits”, selon les mots du président de la FNSEA Arnaud Rousseau.
Concrètement, les agriculteurs entendent dénoncer l’enlisement des 70 mesures promises par l’exécutif au plus fort de la crise du début d’année. Un plan d’action qui devait notamment permettre de sécuriser leurs revenus, d’alléger les démarches administratives ou encore de lutter contre les distorsions de concurrence avec leurs homologues européens. Mais depuis, “la dissolution de l’Assemblée nationale a ralenti le processus”, regrette un responsable syndical. Résultat : sur le terrain, beaucoup ont le sentiment que rien ou presque n’a changé.
La tension monte autour de l’accord UE-Mercosur
Cette remobilisation intervient aussi sur fond de vives inquiétudes liées à la possible ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Un dossier qui cristallise la colère du monde agricole français, malgré l’opposition quasi-unanime de la classe politique hexagonale. En cause : la crainte d’un afflux massif de produits sud-américains comme le bœuf, le poulet ou le sucre, avec à la clé une concurrence jugée déloyale.
En volaille, c’est plus de 180 000 tonnes qui viendront inonder le segment de marché du blanc de poulet. En maïs, 70 molécules interdites en France sont autorisées au Brésil !
Des adhérents FNSEA du Bas-Rhin
Face à ces menaces, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs réclament à cor et à cri que la voix de la France porte davantage à Bruxelles, alors que la Commission européenne semble déterminée à boucler le dossier d’ici la fin de l’année. Un enjeu d’autant plus crucial que plusieurs grands pays producteurs, comme l’Allemagne ou l’Espagne, sont eux favorables à l’accord.
Des actions coup de poing en perspective
Pour marquer les esprits et maintenir la pression, les agriculteurs entendent multiplier les actions symboliques cette semaine. Parmi les temps forts annoncés :
- L’occupation de lieux emblématiques comme le “pont de l’Europe” entre Strasbourg et l’Allemagne
- Des déversements de déchets agricoles devant des bâtiments publics
- Des convois funéraires de tracteurs dans plusieurs départements
- Des “feux de la colère” simultanés lundi soir
Autant d’initiatives qui devraient permettre de donner un écho national et européen à la détresse du monde paysan. Même si, selon les mots d’Arnaud Rousseau, “le but n’est pas d’emmerder les Français” avec des blocages durs.
Un front syndical divisé à l’approche des élections
Au-delà de ces actions communes, la mobilisation agricole se déploiera en ordre dispersé cette semaine. Car en coulisses, la bataille fait aussi rage entre syndicats, à l’approche des élections des chambres d’agriculture prévues en janvier. Un scrutin crucial qui déterminera le rapport de force et les équilibres dans les campagnes pour les 6 prochaines années.
Ainsi, la Coordination rurale (2e syndicat) a choisi d’attendre son congrès en milieu de semaine pour lancer “une révolte agricole”. Le syndicat promet carrément un “blocage du fret alimentaire” dans le sud-ouest dès mercredi si aucune avancée n’est constatée sur le dossier du Mercosur. Quant à la Confédération paysanne (3e force), historiquement opposée aux traités de libre-échange, elle mise sur des actions pacifiques pour défendre une autre vision de l’agriculture, plus écologique et paysanne.
Malgré leurs différences d’approches, tous les syndicats se rejoignent sur un point : l’agriculture française est à la croisée des chemins. Entre dérèglement climatique, maladies émergentes, flambée des coûts et concurrence exacerbée, l’avenir du modèle agricole hexagonal n’a jamais semblé aussi incertain. Réponse du gouvernement attendue dans les prochains jours.