Le monde agricole est en ébullition. Excédés par une succession de crises qui mettent en péril leur survie, des agriculteurs membres de la Coordination rurale (CR), deuxième syndicat agricole français, ont entamé une marche déterminée vers Paris pour faire entendre leur colère et leurs revendications. Partis de différentes régions, ces hommes et ces femmes de la terre espèrent obtenir des garanties concrètes du gouvernement pour défendre un modèle d’agriculture protégeant les petits exploitants, qu’ils estiment actuellement broyés par les rouages implacables du libre-échange mondialisé.
Une mobilisation qui prend de l’ampleur
Si le mouvement s’organise dans la discrétion pour le moment, il gagne progressivement en puissance. Reconnaissables à leurs bonnets jaunes, symboles de leur combat, les manifestants se regroupent en différents points stratégiques de la région parisienne, à l’ouest, au nord, à l’est et au sud de la capitale. Selon une source proche du mouvement, les actions d’envergure ne sont pas prévues dans l’immédiat mais devraient monter en puissance dans les prochains jours.
En attendant, les forces de l’ordre sont sur le qui-vive et ont déployé d’importants dispositifs en amont de Paris pour contenir l’avancée des agriculteurs, dont certains se déplacent en tracteur. Malgré l’interdiction de pénétrer dans Paris ce dimanche soir, les manifestants comptent bien s’installer progressivement en vue d’actions coup de poing lundi dans la journée, selon des sources policières.
Le cri d’alarme d’une profession en souffrance
Derrière cette mobilisation, c’est le malaise profond et grandissant du monde agricole qui s’exprime. Depuis la crise du Covid-19, les difficultés n’ont cessé de s’accumuler pour les agriculteurs français, confrontés à un véritable effet domino de crises sanitaires, économiques, géopolitiques et climatiques. Face à l’envolée de leurs coûts de production, beaucoup ne parviennent plus à dégager des revenus décents de leur activité, les prix payés aux producteurs ne suivant pas la même courbe ascendante.
Depuis le Covid, on cumule, on enchaîne les différentes crises sanitaires, économiques, géopolitiques et climatiques, nous faisons face à une inflation de nos coûts de production et les prix payés à nos producteurs ne suivent pas, et nous avons de nombreux agriculteurs dans la détresse.
Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale
Les chiffres sont édifiants. Selon la présidente de la CR, plus de 150 000 exploitations seraient actuellement en situation de détresse financière d’après les estimations du ministère de l’Agriculture. Pourtant, seules 30 000 fermes ont pu bénéficier d’aides d’urgence à hauteur de 9000 euros depuis un an. Une réponse jugée très insuffisante par le syndicat au vu de l’ampleur de la crise traversée par la profession.
Un combat pour défendre une certaine vision de l’agriculture
À travers ces actions d’éclat, la Coordination rurale entend bien faire pression sur l’exécutif pour obtenir de vraies mesures de soutien, à commencer par des prix rémunérateurs pour les producteurs. Mais au-delà des revendications immédiates, c’est tout un modèle agricole qui est défendu, axé sur la protection des petites exploitations familiales face aux dérives d’une libéralisation à outrance des marchés agricoles mondiaux.
Pour le syndicat, il est urgent de changer de cap pour éviter la disparition programmée des paysans, maillons essentiels des territoires ruraux et garants d’une certaine souveraineté alimentaire. D’où ces actions d’envergure pour faire bouger les lignes et pousser le gouvernement à des arbitrages forts en faveur d’une agriculture plus durable et plus humaine.
Des actions qui interviennent à un moment clé
Le timing de ces manifestations n’est pas anodin. Elles interviennent en effet à la veille du lancement de la campagne pour les élections aux chambres d’agriculture, un scrutin crucial qui déterminera les nouveaux rapports de force dans le paysage syndical agricole. Actuellement, la FNSEA, perçue comme plus modérée et conciliante avec le pouvoir en place, reste ultra-dominante comme l’ont montré les résultats des élections de 2019.
En se mobilisant massivement maintenant, la Coordination rurale, habituée des coups d’éclat, espère créer une dynamique et marquer les esprits pour peser davantage dans les urnes et ainsi renforcer son influence dans les instances agricoles. L’objectif : porter encore plus haut et fort les revendications des agriculteurs en souffrance et imposer d’autres orientations pour l’avenir de l’agriculture française.
Quelle réponse du gouvernement ?
Face à cette fronde qui s’organise, les regards se tournent désormais vers l’exécutif. Jusqu’à présent, le gouvernement est resté plutôt en retrait, se contentant de renvoyer les discussions sur les sujets de fond au Varenne agricole, cette vaste concertation censée dessiner les contours d’une nouvelle politique agricole commune.
Mais avec la montée en puissance des actions coup de poing, l’heure n’est plus à l’attentisme. Les agriculteurs mobilisés attendent des actes forts et des engagements clairs de la part du Premier ministre François Bayrou pour répondre à l’urgence de la situation. Faute de quoi, le mouvement pourrait rapidement s’envenimer et ouvrir une nouvelle séquence de tensions entre le monde agricole et le pouvoir en place.
Cette mobilisation inédite des agriculteurs en colère est assurément un test pour le gouvernement, sommé d’apporter des réponses concrètes à une profession en grande souffrance. Au-delà de l’urgence immédiate, c’est tout un modèle agricole qui est questionné, avec en filigrane la place que notre société entend donner aux agriculteurs, sentinelles de nos terroirs et de notre alimentation. Les prochains jours s’annoncent décisifs et pourraient marquer un tournant dans les relations tumultueuses entre l’État et le monde agricole.