Imaginez des routes bloquées par des tracteurs, des agriculteurs déterminés qui campent sur l’asphalte depuis plus de dix jours, et une tension palpable dans les campagnes françaises. C’est le tableau actuel d’une profession en colère, qui refuse de baisser les bras face à des menaces existentielles. Au cœur de cette mobilisation, deux dossiers brûlants : un accord commercial international controversé et une crise sanitaire qui frappe durement l’élevage.
Une rencontre à l’Élysée pour tenter d’apaiser les tensions
Le président de la République a ouvert les portes de l’Élysée aux représentants des syndicats agricoles en cette journée de mardi. L’objectif affiché était clair : essayer de calmer une colère qui s’étend comme une traînée de poudre à travers le monde rural. Mais les échanges ont-ils suffi à éteindre l’incendie ?
À la sortie de cette réunion, les porte-parole syndicaux n’ont pas mâché leurs mots. Ils ont décrit un monde agricole sous une extrême tension, où la patience arrive à ses limites. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de mesures cosmétiques, mais de décisions structurelles profondes capables de restaurer la confiance.
Cette rencontre marquait un moment important : la première entre le chef de l’État et les organisations agricoles depuis le début du mois de décembre, quand la crise liée à la dermatose nodulaire contagieuse a véritablement explosé.
L’accord UE-Mercosur, symbole de toutes les craintes
L’un des points centraux des discussions a porté sur l’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Cet accord, dont la signature était initialement prévue mais reportée au 12 janvier, cristallise les inquiétudes des éleveurs et producteurs français.
Pourquoi une telle opposition ? Les agriculteurs craignent une concurrence déloyale. L’arrivée facilitée sur le marché européen de viandes, sucre, riz, miel et soja provenant d’Amérique du Sud mettrait en péril des filières entières. Ces produits, selon les syndicats, ne respectent pas les mêmes normes strictes imposées aux producteurs européens en matière environnementale, sanitaire et sociale.
En échange, les Européens pourraient exporter plus facilement véhicules, machines, vins et spiritueux vers l’Amérique du Sud. Mais pour les agriculteurs français, cet équilibre apparaît déséquilibré, favorisant l’industrie au détriment de l’agriculture.
Les syndicats ont insisté auprès du président : des réponses claires et fermes sont attendues dès les premiers jours de janvier sur ce dossier. Ils veulent des garanties que la France ne sacrifiera pas son modèle agricole sur l’autel du libre-échange.
L’objet du rendez-vous, c’était d’essayer d’éteindre un peu le feu qui est partout dans les campagnes.
Stéphane Galais, porte-parole national de la Confédération paysanne
Cette citation illustre parfaitement l’urgence perçue par les représentants syndicaux. Pour eux, des mesures structurelles fortes sont indispensables pour apaiser durablement la profession.
La dermatose bovine, une crise sanitaire qui exacerbe la colère
Parallèlement à la question commerciale, la gestion de l’épizootie de dermatose nodulaire contagieuse domine les préoccupations. Cette maladie, qui touche les bovins, a provoqué une vague de contestations particulièrement vive dans le Sud-Ouest de la France.
Le protocole sanitaire en vigueur prévoit l’abattage total des troupeaux où un cas est détecté. Une mesure que de nombreux éleveurs jugent disproportionnée et destructrice pour leur outil de travail. Certains d’entre eux sont mobilisés depuis plus de dix jours pour dénoncer cette politique.
Mardi, un nouveau foyer a été confirmé en Haute-Garonne, portant le total à 115 cas depuis le mois de juin. Le troupeau concerné a été immédiatement abattu, suivant la procédure habituelle.
Outre la dermatose bovine, les syndicats ont également évoqué la grippe aviaire lors de la rencontre présidentielle. Ces crises sanitaires successives fragilisent un secteur déjà sous pression économique et réglementaire.
Les principales revendications portées à l’Élysée :
- Opposition ferme à l’accord UE-Mercosur dans sa forme actuelle
- Révision du protocole d’abattage pour la dermatose nodulaire contagieuse
- Mesures de soutien face aux crises sanitaires récurrentes
- Responses concrètes attendues début janvier
Sur le terrain, une mobilisation qui ne faiblit pas complètement
Malgré une légère baisse par rapport au pic de la semaine précédente, la mobilisation reste significative. Mardi, 53 actions ont été recensées, mobilisant environ 1.600 personnes, contre 35 actions la veille.
Ces chiffres, bien qu’en deçà des 110 actions comptabilisées jeudi dernier, témoignent d’une détermination persistante. Les agriculteurs refusent de rentrer chez eux sans signaux forts des autorités.
Dans le Sud-Ouest, plusieurs axes routiers majeurs restaient bloqués. L’autoroute A63 près de Bordeaux, l’A64 au sud de Toulouse et près de Bayonne étaient particulièrement touchés par ces barrages.
Certains collectifs prévoient même de marquer les fêtes de fin d’année sur leurs points de blocage. Des agriculteurs ont annoncé l’organisation d’un réveillon et d’une messe de Noël directement sur leurs barrages, signe d’une mobilisation prête à s’inscrire dans la durée.
Cette présence prolongée sur les routes illustre le désespoir mais aussi la solidarité au sein de la profession. Des branches locales de syndicats, qu’ils soient classés à gauche ou à droite, convergent dans une même colère.
Un monde agricole à bout de souffle
Derrière ces actions spectaculaires se cache une réalité plus profonde : un sentiment d’abandon et d’incompréhension. Les agriculteurs français se sentent pris en tenaille entre des normes toujours plus exigeantes et une concurrence internationale jugée déloyale.
La rencontre avec le président a permis de rappeler cette colère profonde qui anime les campagnes. Les syndicats ont insisté sur la nécessité de réponses rapides et adaptées, sous peine de voir la mobilisation s’amplifier encore.
Le report de la signature de l’accord UE-Mercosur au 12 janvier offre une fenêtre de négociation. Mais pour les agriculteurs, ce délai ne doit pas servir à gagner du temps : il doit permettre des avancées concrètes.
Sur la question sanitaire, la politique d’abattage total reste un point de friction majeur. Les éleveurs demandent une approche plus nuancée, tenant compte de la réalité économique de leurs exploitations.
| Jour | Nombre d’actions | Personnes mobilisées |
|---|---|---|
| Jeudi précédent | 110 | Non précisé |
| Lundi | 35 | 1.200 |
| Mardi | 53 | 1.600 |
Ce tableau montre une mobilisation en légère reprise mardi, même si elle reste inférieure au pic observé en fin de semaine dernière. Une dynamique qui pourrait évoluer rapidement selon les annonces gouvernementales à venir.
Vers quelles solutions en janvier ?
Tous les regards sont désormais tournés vers le début de l’année nouvelle. Les syndicats ont clairement indiqué que des réponses étaient attendues dès les premiers jours de janvier, tant sur l’accord commercial que sur les crises sanitaires.
Le monde agricole français traverse une période critique. Entre menaces extérieures et contraintes internes, il cherche à préserver un modèle qu’il estime menacé de toutes parts.
La rencontre à l’Élysée constitue un premier pas. Reste à savoir si elle sera suivie d’actes concrets capables de restaurer la confiance et d’apaiser durablement les campagnes.
En attendant, les tracteurs restent sur les routes, les barrages tiennent bon, et la colère agricole continue de couver. Une situation qui illustre les défis immenses auxquels fait face le secteur agricole français en cette fin d’année.
Le rendez-vous du 12 janvier pour l’accord UE-Mercosur sera particulièrement scruté. Tout comme les décisions à venir sur la gestion des épizooties. L’avenir de nombreuses exploitations pourrait en dépendre.
Dans les campagnes, on attend des signes forts. Pas seulement des paroles, mais des mesures capables de redonner espoir à une profession qui se sent au bord du gouffre.
Cette crise révèle aussi les fractures profondes entre les exigences européennes, les réalités du terrain et les attentes des agriculteurs. Un équilibre délicat à trouver pour éviter une explosion sociale dans le monde rural.
Les prochaines semaines seront décisives. Elles diront si le dialogue entamé à l’Élysée portera ses fruits, ou si la mobilisation devra s’intensifier pour se faire entendre.
Pour l’instant, la détermination reste intacte. Les agriculteurs français montrent qu’ils sont prêts à tenir bon, même pendant les fêtes, pour défendre ce qu’ils considèrent comme leur survie professionnelle.
Une page se tourne peut-être avec cette rencontre présidentielle. Mais le chapitre de la colère agricole est loin d’être clos. Il continue de s’écrire jour après jour sur les routes de France.









