Un sentiment d’immense frustration et de déception. Voilà ce qu’ont exprimé les représentants des pays les plus vulnérables au changement climatique lors des audiences historiques qui viennent de s’achever à la Cour internationale de justice (CIJ). Pendant deux semaines, un nombre record d’États et d’organisations se sont adressés aux juges pour démêler les responsabilités face à la crise climatique mondiale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fossé n’a jamais semblé aussi grand entre petits pays menacés et grandes puissances émettrices.
Les traités climat ne suffisent plus, place au droit international
« Nous ne pouvons pas nous contenter des traités sur le climat pour résoudre cette crise mondiale », a martelé Cristelle Pratt, représentante de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, un groupe de 79 nations particulièrement exposées. Pour ces pays, il est temps de se référer à l’ensemble du droit international et de demander des comptes aux États qui ont le plus contribué historiquement au réchauffement. Une question de « justice et d’équité » pour permettre à chaque être humain de « vivre une vie digne » sur une planète de plus en plus inhospitalière.
Appel aux juges pour dépasser le statu quo
Mais cette demande de justice s’est heurtée à une fin de non-recevoir des principaux pollueurs. États-Unis, Chine, Inde… Les grandes puissances ont appelé la CIJ à ne pas aller au-delà du cadre juridique existant, à savoir la Convention climat de l’ONU (CCNUCC). Un cadre jugé largement insuffisant par les petits États insulaires et autres nations en première ligne du dérèglement climatique.
Il s’agit d’une question de vie ou de mort pour de nombreuses personnes.
Nikki Reisch, directrice du Centre de droit international de l’environnement
Des enjeux cruciaux pour l’avenir de la planète
L’avis consultatif demandé à la CIJ porte en effet sur deux questions fondamentales :
- Quelles sont les obligations juridiques des États pour prévenir le changement climatique ?
- Quelles sont les conséquences juridiques pour les pays dont les émissions ont porté atteinte à l’environnement ?
C’est sur ce second point que se cristallisent les attentes. De nombreux pays vulnérables espèrent que la Cour clarifiera l’obligation légale pour les émetteurs historiques de payer pour les dommages causés. Il en va de leur survie et de leur capacité à s’adapter à des impacts climatiques de plus en plus dévastateurs.
Le poids d’un avis consultatif très attendu
Même s’il ne sera pas contraignant, l’avis de la CIJ est très attendu. Selon les experts, il aura « du poids » et des « répercussions dans le monde entier ». Une occasion unique de mettre fin à « l’impunité » des pollueurs et d’ouvrir la voie à de nouvelles actions en justice climatique partout sur la planète.
Il ne s’agit pas seulement de verser des compensations pour le coût croissant du changement climatique. Il s’agit de réformes structurelles, d’annulation de dettes, de restauration d’écosystèmes.
Nikki Reisch, directrice du Centre de droit international de l’environnement
Derniers espoirs des petites nations menacées
Les audiences ont été marquées par les vibrants témoignages des représentants des petits États insulaires, souvent en costumes nationaux colorés, venus raconter la dévastation subie par leurs peuples. Pour ces nations qui ne pèsent que 3% des émissions mondiales mais abritent 1,3 milliard d’habitants, la procédure devant la CIJ est un ultime recours pour obtenir justice face à la menace existentielle du changement climatique.
Même l’accord obtenu à grand peine lors de la COP29 en Azerbaïdjan pour que les pays développés fournissent 300 milliards de dollars par an d’ici 2035 est jugé « insignifiant » par Cristelle Pratt au regard des besoins. « Il s’agit d’une question de vie ou de mort », rappelle Nikki Reisch. Les yeux sont désormais rivés sur la CIJ, qui devrait rendre son avis d’ici plusieurs mois, pour savoir si elle osera bousculer le statu quo et ouvrir un nouveau chapitre de la justice climatique internationale.