Au cœur de la Cisjordanie occupée, les malades se battent chaque jour pour accéder aux soins vitaux dont ils ont besoin. Entre des routes éventrées par les incursions militaires israéliennes et des hôpitaux encerclés, le chemin vers la guérison est semé d’embûches.
Jénine : Des routes impraticables, un danger pour les patients
Devant l’hôpital public de Jénine, le spectacle est désolant. La route d’accès, déjà en piteux état, a été complètement éventrée par les bulldozers de l’armée israélienne lors d’une récente opération qualifiée “d’antiterroriste”. Monticules de gravats, amas de déchets et boue omniprésente rendent le passage quasi-impossible, aussi bien pour les ambulances que pour les patients venus chercher des soins.
Le directeur de l’hôpital, Wissam Baker, s’alarme de cette situation intenable :
C’est extrêmement difficile, et même dangereux, pour les patients d’arriver à l’hôpital pendant les affrontements. Surtout ceux qui ont besoin d’un suivi régulier comme les dialysés, les femmes enceintes, ceux qui suivent une chimiothérapie…
Wissam Baker, directeur de l’hôpital de Jénine
Pour ces malades, le moindre retard de traitement peut s’avérer fatal. Mais dans le contexte des incursions répétées de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés voisin, bastion de groupes armés palestiniens, l’accès aux soins relève de plus en plus du parcours du combattant.
L’hôpital pris pour cible
D’après le personnel soignant et les habitants, les abords de l’hôpital public auraient été bouclés à plusieurs reprises. Pire, des ambulances auraient même été touchées par des tirs de l’armée et systématiquement fouillées. Un environnement de travail on ne peut plus compliqué pour Hazem Masarwa, ambulancier chevronné dans le camp :
Avant le 7 octobre 2023, on rencontrait peu d’obstacles. Désormais ils [l’armée israélienne] ferment l’entrée des hôpitaux, c’est devenu systématique.
Hazem Masarwa, ambulancier dans le camp de Jénine
En un an, il affirme avoir vu deux personnes mourir par manque de soins dans ce territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. Un bilan alarmant, malheureusement loin d’être exhaustif.
804 violations des missions médicales en un an
Depuis un an, le Croissant-Rouge palestinien a recensé pas moins de 804 violations de ses missions médicales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, également occupée. Quatorze personnes auraient perdu la vie faute d’avoir pu recevoir les services médicaux d’urgence dont elles avaient besoin.
L’armée israélienne, sollicitée sur ces allégations, les a rejetées en bloc, parlant de récits “faux”. Elle argue que des ambulances auraient été “abusivement” utilisées par des “terroristes”, et assure tenter de “réduire le délai” de prise en charge des patients. Des explications qui peinent à convaincre sur le terrain.
Accoucher au péril de sa vie
Oumayma Awadin en sait quelque chose. Enceinte et sur le point d’accoucher en pleine nuit alors que l’armée opérait dans le camp depuis 10 jours, elle a dû attendre 4 longues heures avant qu’une ambulance ne parvienne enfin à venir la chercher. Un véritable chemin de croix rythmé par les contractions de plus en plus rapprochées et le ballet absurde des ordres et contre-ordres des soldats israéliens :
C’était vraiment une situation où on se sent entre la vie et la mort. Je n’arrêtais pas de me demander “qui va s’occuper de mes enfants”…
Oumayma Awadin, jeune maman
Finalement parvenue dans un hôpital privé, elle donne naissance à son fils. Mais les complications qui s’en suivent, pour la mère comme pour le nouveau-né, illustrent les dangers d’un suivi médical entravé par le conflit.
Le lourd tribut des patients chroniques
Pour les malades chroniques, la situation est tout aussi critique. Najet, femme d’un patient dialysé, ne décolère pas après des mois de suivi médical tronqué pour son mari :
Israël continue à attaquer la Cisjordanie, pas seulement avec des armes mais aussi en empêchant les gens d’avoir leur traitement. Mon mari peut mourir s’il n’a pas de dialyse.
Najet, femme d’un patient dialysé
Entre la recherche d’une ambulance privée hors de prix et le recours à des proches pour pousser le fauteuil roulant sur des routes défoncées, tous les moyens sont bons pour tenter d’accéder à l’hôpital. Mais à quel prix ?
Fuir pour se soigner
Face à ces difficultés, certains n’ont d’autre choix que de quitter leur foyer. C’est le cas d’Oum Akram, contrainte de fuir le camp avec sa fille souffrant d’hypertension pour trouver refuge ailleurs le temps de l’opération militaire. À son retour, c’est une maison “sens dessus dessous” et un jardin parti en fumée qui l’attendaient, probablement après l’installation de soldats. Mais pour elle, c’était un sacrifice nécessaire pour préserver la santé de sa fille.
Des solutions d’urgence précaires
Si l’hôpital tente tant bien que mal de s’adapter, organisant des transferts de patients vers d’autres structures et s’appuyant sur des ONG pour former les habitants aux premiers soins, ces rustines demeurent bien précaires face à l’ampleur des entraves.
Ainsi, en Cisjordanie occupée, la santé des Palestiniens les plus vulnérables reste plus que jamais otage d’un conflit qui gangrène le quotidien et met en péril l’accès aux soins les plus vitaux. Une situation intenable qui ne semble pas près de s’améliorer, au détriment de vies innocentes prises entre deux feux.