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Cisjordanie : Les Bédouins Chassés par la Violence des Colons

Ahmed avait juré de ne jamais quitter ses terres. Pourtant, quand les colons se sont installés à 100 mètres de sa maison, il a dû partir avec femme et enfants. Aujourd’hui son village bédouin est désert. Que se passe-t-il vraiment en Cisjordanie depuis octobre 2023 ? La réponse est terrifiante…

Imaginez devoir abandonner la maison où vous êtes né, où vos enfants ont grandi, où vos parents sont enterrés. Partir en laissant derrière vous les jouets, les chaussures, les souvenirs. Simplement parce que rester signifiait vivre sous la menace permanente. C’est ce que vivent, en ce moment même, des milliers de Bédouins en Cisjordanie.

Une communauté entière contrainte à l’exode

Dans le centre de la Cisjordanie, le petit village bédouin d’al-Hathrura n’existe presque plus. Quelques semaines ont suffi pour que les maisons en bois et en tôle se vident complètement. Les familles ont plié bagage sous la pression quotidienne. Aujourd’hui, il ne reste que le vent qui soulève la poussière et un vieux chat errant parmi les objets abandonnés.

Ahmed Kaabneh, la quarantaine, est l’un des derniers à être parti. Il avait pourtant juré de résister. « J’ai vécu ici quarante-cinq ans, presque toute ma vie », confie-t-il, la voix brisée, depuis sa nouvelle habitation de fortune près de Jéricho. Treize kilomètres plus loin, mais toujours sous surveillance.

Ils sont forts et nous sommes faibles. Nous n’avons aucun pouvoir.

Ahmed Kaabneh, habitant expulsé d’al-Hathrura

Un avant-poste à cent mètres de la maison

Tout a basculé quand un groupe de jeunes colons a installé un avant-poste à peine à cent mètres des premières habitations bédouines. Caravanes, drapeau, surveillance permanente depuis la colline. Le message était clair : vous n’êtes plus chez vous.

Le harcèlement est devenu quotidien. Cris toute la nuit, jets de pierres, interdiction de circuler librement le jour. Les enfants ne pouvaient plus jouer dehors. Les femmes ne sortaient plus seules. Le sommeil était impossible.

« C’était terrifiant », se souvient Ahmed. Il décrit une stratégie bien rodée : rendre la vie insupportable jusqu’à ce que les habitants craquent et partent d’eux-mêmes. Pas besoin de bulldozers quand la peur fait le travail.

Plus de 3 200 Palestiniens déplacés depuis octobre 2023

Al-Hathrura n’est pas un cas isolé. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), plus de 3 200 Palestiniens, majoritairement des Bédouins, ont été contraints de quitter leur domicile depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza.

Octobre 2025 a même été le mois le plus violent depuis que l’ONU recense ces incidents, soit près de vingt ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • Record absolu d’attaques de colons enregistré
  • Majorité des communautés touchées sont des hameaux bédouins isolés
  • Pratiquement aucune poursuite judiciaire contre les auteurs
  • Multiplication des avant-postes illégaux même selon la loi israélienne

Ces avant-postes, souvent créés par de très jeunes colons radicaux, bénéficient d’une impunité quasi totale. Les ONG sur place parlent d’une « terre sans lois » où l’uniforme militaire ferme parfois les yeux, quand il n’encourage pas.

Un village désert et déjà pillé

Quelques jours après le départ des dernières familles d’al-Hathrura, le spectacle est saisissant. Vélos d’enfants renversés, chaussures oubliées dans la précipitation, portes battant au vent. Les activistes qui passent régulièrement pour surveiller les lieux craignent le pillage, fréquent dans ces zones abandonnées.

Pendant ce temps, sur la colline, les colons installent tranquillement un canapé et une table de salon à côté de leurs caravanes. Le contraste est violent : d’un côté l’abandon forcé, de l’autre l’installation paisible.

Ils profitent du chaos.

Sahar Kan-Tor, militant de Standing Together

Ce militant israélo-palestinien de coexistence résume parfaitement la situation : tant que durent les combats à Gaza et l’attention internationale ailleurs, certains profitent de l’aubaine pour faire avancer leur projet de colonisation accélérée.

Un soutien politique assumé

Plusieurs organisations israéliennes de défense des droits humains accusent directement des membres du gouvernement. Des ministres ouvertement favorables à l’annexion totale de la Cisjordanie occupent des postes clés. Leur discours légitime, aux yeux de certains colons, le recours à la violence privée.

La colonisation s’est poursuivie sous tous les gouvernements depuis 1967, mais le rythme actuel est sans précédent. Les chiffres de construction de nouveaux logements et d’avant-postes illégaux explosent depuis deux ans.

Dans ce contexte, les Bédouins, souvent perçus comme les plus vulnérables car vivant dans des zones reculées sans titre de propriété officiel reconnu par Israël, font figure de cibles idéales.

Même exil, même menace

À treize kilomètres de là, dans leur nouveau campement près de Jéricho, Ahmed Kaabneh et ses frères ont reconstruit tant bien que mal. Mais la peur les a suivis. Déjà, des silhouettes apparaissent sur les collines environnantes. Déjà, on surveille.

« Ils nous poursuivent partout », lâche-t-il, amer. La nouvelle habitation n’est qu’un sursis. Combien de temps avant que l’histoire ne se répète ? Combien de déplacements avant qu’il ne reste plus aucun endroit où aller ?

Dans ces collines rocailleuses, sous le soleil brûlant de Cisjordanie, une communauté entière disparaît peu à peu. Pas sous les bombes, pas sous les titres des journaux, mais maison après maison, famille après famille. Dans le silence assourdissant d’une impunité qui ne semble déranger presque personne.

Et demain, quand il ne restera plus aucun Bédouin entre Jérusalem et le Jourdain, qui se souviendra qu’ils étaient là bien avant les caravanes blanches plantées sur les crêtes ?

Depuis 1967, plus de 500 000 Israéliens vivent dans des colonies en Cisjordanie (hors Jérusalem-Est annexée), considérées comme illégales au regard du droit international. Environ trois millions de Palestiniens y résident également, souvent dans des conditions de forte tension.

Le cas d’al-Hathrura et des autres communautés bédouines n’est pas seulement une histoire de terres perdues. C’est l’histoire d’un mode de vie ancestral qui s’éteint sous nos yeux. C’est l’histoire d’enfants qui grandiront sans jamais connaître le village de leurs grands-parents. C’est, surtout, l’histoire d’une violence qui ne fait plus même la une des journaux.

Parce qu’elle est quotidienne. Parce qu’elle est lente. Parce qu’elle ne fait pas de grands morts spectaculaires, mais des milliers de vies brisées en silence.

Et pendant ce temps, sur les collines, les avant-postes poussent comme des champignons après la pluie.

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