Dimanche 28 décembre 2025, plus de six millions de Centrafricains sont appelés à voter pour choisir leur président, leurs députés, leurs conseillers municipaux et régionaux. Un quadruple scrutin qui se déroule dans un pays qui, depuis une décennie, oscille entre espoir de stabilisation et menaces persistantes. Mais au-delà des élections, qu’est-ce qui définit vraiment la Centrafrique aujourd’hui ?
Une histoire marquée par les conflits, un présent en quête de stabilité
Depuis son indépendance en 1960, la République centrafricaine a connu une succession presque ininterrompue de régimes autoritaires, de coups d’État et de guerres civiles. Les années 2013-2014 ont marqué un point culminant avec l’explosion d’une guerre civile particulièrement violente opposant des groupes armés majoritairement musulmans (Séléka) à des milices majoritairement chrétiennes (anti-balaka). Des milliers de morts, des centaines de milliers de déplacés, près d’un quart de la population contrainte à l’exil.
À partir de 2014, l’intervention de la force française Sangaris puis de la mission de l’ONU Minusca a permis de sécuriser les grandes villes. Mais c’est surtout l’arrivée, à partir de 2018, de mercenaires russes du groupe Wagner qui a changé la donne militaire en faveur du pouvoir en place. Parallèlement, des accords de paix signés à Khartoum en février 2019 ont permis de réduire sensiblement l’intensité des combats.
Une stabilisation réelle mais très fragile
Aujourd’hui, les grandes villes et les principaux axes routiers sont globalement sous contrôle des Forces armées centrafricaines (FACA) appuyées par les instructeurs russes et rwandais. Pourtant, l’insécurité reste très préoccupante dans plusieurs zones : l’est près des frontières avec le Soudan et le Soudan du Sud, le nord-ouest près du Cameroun et de la République démocratique du Congo.
En février 2025, plus de 31 000 réfugiés soudanais fuyant la guerre civile dans leur pays ont trouvé refuge en Centrafrique, principalement dans l’est. Par ailleurs, des violences liées à la transhumance entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires continuent de faire des dizaines de morts chaque année, notamment dans le sud-est.
Une population encore traumatisée
Le traumatisme des années de guerre reste très présent dans la société. Beaucoup de Centrafricains ont vécu des exactions, vu des proches tués, fui leurs villages. La reconstruction du lien social et la réconciliation nationale restent des défis majeurs.
Une économie sinistrée malgré des ressources abondantes
La Centrafrique dispose pourtant de ressources naturelles considérables : diamants, or, uranium, lithium, pétrole potentiel, bois précieux, 15 millions d’hectares de terres arables. Mais ces richesses profitent très peu à la population.
Le pays est classé 191e sur 193 à l’indice de développement humain des Nations unies. Environ deux tiers des 6,4 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté international. L’agriculture reste largement de subsistance et le pays importe une grande partie de sa nourriture malgré ses potentialités agricoles.
Insécurité alimentaire aiguë
Selon les dernières estimations, environ 2 millions de personnes, soit près d’un tiers de la population, souffrent d’insécurité alimentaire aiguë. Parmi elles, 307 000 se trouvent en situation d’urgence alimentaire.
Les raisons sont multiples : conflits qui empêchent les agriculteurs d’accéder à leurs champs, faible productivité agricole, absence de routes en bon état, coûts de transport très élevés, manque d’intrants agricoles et d’irrigation.
Obstacles structurels à l’investissement
L’enclavement géographique, l’état catastrophique des infrastructures routières, les coupures fréquentes d’électricité et d’eau potable, le prix très élevé des carburants, la faiblesse du réseau internet et le manque de main-d’œuvre qualifiée constituent autant de freins majeurs pour tout investisseur potentiel.
Les richesses minières au cœur des convoitises internationales
Malgré les difficultés, plusieurs compagnies étrangères exploitent activement les ressources du sous-sol centrafricain. On trouve des opérateurs américains, chinois, russes, rwandais, français ou encore sud-africains.
Le gouvernement a récemment modifié son code minier et le processus d’attribution des permis. Ces changements ont permis, dès 2024, la reprise des exportations officielles de diamants, interdites depuis plusieurs années par le Processus de Kimberley.
Le cas particulier de l’or
Les deux plus grandes mines d’or du pays sont exploitées par des entités liées au groupe Wagner. Cette situation pose la question de la répartition réelle des bénéfices entre l’État centrafricain et les opérateurs privés.
L’uranium français
La seule concession d’uranium appartient à une filiale du groupe français Orano. Le projet reste pour l’instant à l’état d’exploration avancée, sans extraction industrielle.
La présence russe : un partenariat controversé
Depuis 2017-2018, la Centrafrique constitue l’un des principaux théâtres d’opérations du groupe paramilitaire russe Wagner en Afrique. À la demande du président Faustin-Archange Touadéra, plusieurs centaines puis un millier de mercenaires russes ont été déployés pour former et accompagner les FACA dans leur lutte contre les groupes armés.
En échange de leur soutien militaire, les Russes ont obtenu des concessions minières et forestières particulièrement juteuses, notamment sur les deux plus importantes mines d’or du pays.
Après la mort de Prigojine
La mort d’Evgueni Prigojine en août 2023 dans un accident d’avion a marqué un tournant. Depuis, le Kremlin cherche à remplacer progressivement le groupe Wagner par une structure plus directement contrôlée par le ministère russe de la Défense, baptisée Africa Corps.
La transition reste toutefois progressive et la présence russe, sous quelque forme que ce soit, demeure un élément clé de la stratégie sécuritaire du pouvoir en place à Bangui.
Bitcoin : pari audacieux ou fuite en avant ?
En avril 2022, la Centrafrique est devenue le deuxième pays au monde, après le Salvador, à adopter le bitcoin comme monnaie légale aux côtés du franc CFA.
Les autorités ont présenté cette décision comme une volonté de moderniser l’économie, de contourner les difficultés d’accès au système bancaire classique et de financer des projets d’infrastructures.
Critiques et inquiétudes
De nombreux économistes et institutions financières internationales ont vivement critiqué cette initiative. Ils pointent notamment :
- La très faible bancarisation et le faible accès à internet dans le pays
- Les risques accrus de fraude et de blanchiment d’argent
- L’opacité des transactions en cryptomonnaies
- La volatilité extrême du bitcoin
- La possible mainmise de réseaux criminels transnationaux
Plusieurs années après son adoption, l’usage réel du bitcoin reste très limité dans la vie quotidienne des Centrafricains.
Perspectives pour 2025 et au-delà
Les élections du 28 décembre 2025 constituent un test majeur pour la consolidation de la stabilisation relative observée ces dernières années. La capacité du pouvoir en place à organiser un scrutin crédible, transparent et apaisé sera scrutée par la communauté internationale.
Parallèlement, les défis structurels restent immenses : reconstruction des infrastructures, développement agricole, amélioration de l’accès à l’éducation et à la santé, réforme de la justice et lutte contre la corruption.
La Centrafrique dispose de ressources naturelles considérables et d’une population jeune. Mais sans stabilité durable, sans investissements massifs dans les infrastructures de base et sans une gouvernance plus transparente, le potentiel de développement du pays risque de rester longtemps inexploité.
Le scrutin de fin décembre pourrait marquer un tournant… ou simplement prolonger une situation déjà précaire. L’avenir le dira.









