En Syrie, la chute du régime de Bachar el-Assad a ouvert les portes de l’enfer. Parmi les lieux emblématiques de l’horreur et de la répression qui ont marqué ces années noires, la prison de Sednaya occupe une place à part. Véritable abattoir humain selon Amnesty International, ce centre de détention tristement célèbre vient d’être investi par les rebelles. Et les premiers témoignages qui en ressortent glacent le sang.
Sednaya, 35 ans de terreur et de mort
Construite en 1987, la prison de Sednaya est rapidement devenue l’un des lieux de répression les plus redoutés de Syrie. Entre ses murs sordides se sont enchaînées pendant des décennies les pires exactions à l’encontre des opposants au régime des Assad, père et fils.
Divisée en deux bâtiments distincts, la prison abritait jusqu’à 20 000 détenus selon certaines estimations, soumis à un traitement effroyable :
- Passages à tabac systématiques
- Tortures en tous genres
- Conditions de détention inhumaines
- Privations extrêmes
- Exécutions sommaires
Selon un rapport accablant d’Amnesty International publié en 2017, entre 5000 et 13 000 prisonniers auraient été exécutés à Sednaya entre septembre 2011 et décembre 2015, au rythme effroyable de 20 à 50 pendaisons par semaine. Des chiffres qui donnent le vertige et témoignent du degré de sauvagerie du régime syrien.
Simulacres de procès et « chefs d’accusation » absurdes
La plupart des exécutions avaient lieu après d’odieux simulacres de procès expédiés en quelques minutes à peine, sur la base de « chefs d’accusation » aussi divers qu’absurdes. Parmi ceux dénoncés par d’anciens détenus figurent :
- « Atteinte à la sûreté de l’État »
- « Incitation à la discorde confessionnelle »
- « Propagation de fausses nouvelles »
Sous ces appellations nébuleuses se cache en réalité une volonté d’écraser dans l’œuf toute forme d’opposition ou de contestation. Un ancien juge ayant officié à Sednaya raconte :
Les accusés n’avaient droit qu’à une à trois minutes pour plaider leur cause. L’issue était presque toujours la même : la pendaison. Quand elle ne suffisait pas à tuer les plus jeunes et les plus légers, les bourreaux leur brisaient alors la nuque.
L’horreur des fosses communes
Les dépouilles des suppliciés étaient ensuite entassées dans des camions frigorifiques surnommés les « frigos à viande » avant d’être jetées dans des fosses communes à l’extérieur de la prison. Les familles n’étaient jamais informées du sort de leurs proches. Elles recevaient tout au plus un certificat de décès laconique évoquant une improbable « crise cardiaque ».
Un médecin forcé de superviser ce sinistre ballet témoigne de l’état des corps :
Au début, ils portaient des traces de torture atroces : brûlures, membres brisés, blessures par électrocution… Avec le temps, la faim et les maladies ont pris le dessus. La gale, la tuberculose et autres infections faisaient des ravages. Les cadavres n’étaient plus que des loques humaines.
Après la chute, l’heure des révélations
Alors que les rebelles syriens viennent de prendre le contrôle de la prison, c’est peu à peu toute l’ampleur de l’horreur qui se dévoile au grand jour. Les premières fouilles menées dans les sous-sols de Sednaya, restés jusqu’ici inaccessibles, mettent au jour de nouvelles preuves accablantes des atrocités commises.
Des équipes des Casques blancs s’activent pour tenter de retrouver d’éventuels survivants terrés dans ces antres obscurs, munis d’un équipement de recherche et de chiens renifleurs. Des familles de disparus patientent anxieusement aux abords du bâtiment, dans l’espoir ténu d’obtenir des réponses sur le sort de leurs proches.
Après des années de peur et de silence, les langues se délient enfin et les rescapés de l’enfer de Sednaya peuvent raconter leur calvaire. Chaque nouveau témoignage met en lumière les rouages de cette monstrueuse machine à broyer les âmes et les corps.
Mais au-delà des souffrances individuelles, c’est toute la nature profondément répressive et criminelle du régime de Bachar el-Assad qui transparaît à travers le cas de cette prison. Un régime prêt à tout pour conserver son emprise, quitte à franchir toutes les limites de la cruauté et de la déshumanisation.
Sednaya, miroir d’une dictature aux abois
Plus qu’un simple centre de détention parmi d’autres, Sednaya était devenu ces dernières années le réceptacle de toutes les peurs du clan Assad, le symbole cauchemardesque d’un régime agonisant s’accrochant au pouvoir par tous les moyens.
Alors que la rébellion gagnait du terrain sur le plan militaire, la répression s’intensifiait entre les murs de la prison. Comme si, à défaut de pouvoir écraser la révolution sur le champ de bataille, la dictature aux abois se vengeait sur ceux qui avaient osé la défier, fussent-ils déjà derrière les barreaux.
En ce sens, la chute de Sednaya signe véritablement la fin d’un système odieux et mortifère, bâti sur la terreur et le sang. Le lieu où se cristallisaient tous les maux et la noirceur d’un régime détesté est devenu, par un ironique retournement de l’histoire, celui de sa déroute.
Aujourd’hui, les murs de la prison résonnent des cris de joie des syriens libérés du joug de la tyrannie. Les cellules sordides où tant ont souffert se transforment en autant de preuves à charge contre leurs anciens bourreaux. Sednaya, jadis instrument de la peur, devient le tombeau de ceux qui l’ont fait régner.
Et maintenant ? Les défis de l’après-Assad
Si la libération de la prison marque indéniablement un tournant, le plus dur reste sans doute à faire pour la Syrie. Après des années de conflit et de déchirements, le pays est à reconstruire, tant sur le plan matériel que social et psychologique.
Les cicatrices laissées par les exactions du régime mettront du temps à se refermer. Il faudra œuvrer à la réconciliation nationale, rendre justice aux victimes, réhabiliter les innombrables détenus injustement persécutés. Un travail de mémoire et de vérité sera nécessaire pour panser les plaies et tourner la page.
Les révélations sur l’enfer de Sednaya et les autres lieux de torture du régime devront être documentées, archivées, transmises aux générations futures pour que jamais un tel cauchemar ne se reproduise. C’est à ce prix que la Syrie pourra construire un avenir apaisé sur les décombres de la dictature.
Aujourd’hui, face aux ruines de la prison, les Syriens pleurent leurs martyrs tout en célébrant leur liberté retrouvée. Demain, il leur faudra bâtir une société nouvelle sur ce champ de ruines. Un immense défi, à la mesure des souffrances endurées et des espoirs nés de la révolution.