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Christophe Guilluy : La dissolution, un pari risqué de Macron ?

Christophe Guilluy décrypte la dissolution surprise de l'Assemblée par Macron après la victoire du RN aux européennes. Un pari risqué pour le président qui chercherait davantage à invisibiliser la crise démocratique qu'à y répondre. Selon le géographe, cette décision pourrait se retourner contre lui...

La victoire écrasante du Rassemblement National de Jordan Bardella aux élections européennes a conduit Emmanuel Macron à prendre une décision aussi inattendue que lourde de conséquences : dissoudre l’Assemblée nationale. Un véritable séisme politique qui suscite de nombreuses interrogations. Le géographe Christophe Guilluy, spécialiste de la France périphérique, nous livre son analyse de cette situation inédite.

Un « schisme culturel » entre la France d’en haut et d’en bas

Pour Christophe Guilluy, auteur des “Dépossédés”, le succès du RN n’est pas une surprise mais la confirmation d’un diagnostic qu’il pose depuis plusieurs années : celui d’un profond « schisme culturel » entre les classes populaires et moyennes d’un côté, et le « monde d’en haut », celui des catégories supérieures, de l’autre.

Aujourd’hui, après plusieurs décennies de cristallisation des fractures géographiques, sociales et culturelles, je ne parlerais plus de « fractures » mais d’un véritable schisme, un schisme culturel entre des classes populaires et moyennes et, non pas seulement les « élites » ou le « 1 % », mais avec « le monde d’en haut », celui des catégories intégrées ou supérieures.

– Christophe Guilluy

Selon le géographe, ce vote sanction massif traduit une « contestation existentielle » de la part d’une France qui se sent délaissée, incomprise voire méprisée par les élites politiques, économiques et médiatiques.

La dissolution, une tentative d’invisibilisation de la crise démocratique ?

Face à ce rejet cinglant dans les urnes, Emmanuel Macron a donc décidé de frapper fort en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais pour Christophe Guilluy, cette manœuvre relève plus de la communication que d’une volonté réelle de répondre aux aspirations profondes exprimées dans ce scrutin :

Avec cette dissolution – dont le storytelling a été pensé secrètement par une cellule de communicants à l’Élysée -, Emmanuel Macron cherche moins à répondre à ce schisme qu’à l’invisibiliser.

– Christophe Guilluy

En précipitant de nouvelles élections législatives, le chef de l’État espère occuper l’espace médiatique et éclipser le triomphe du RN. Une stratégie de diversion qui ne règle en rien les causes profondes de la défiance.

Un pari très risqué pour Macron qui pourrait perdre sa majorité

Non seulement cette dissolution ne répond pas à l’appel du pied des électeurs, mais elle expose aussi le président à un risque majeur : celui de perdre la majorité absolue à l’Assemblée. Dans l’hypothèse probable d’une poussée des extrêmes et d’un affaiblissement de la macronie, le pays pourrait se retrouver dans une situation inédite sous la Ve République : celle d’une cohabitation entre un président et une Assemblée d’oppositions.

Dans le meilleur des cas pour lui, Macron remporterait ces législatives anticipées en divisant une fois de plus la droite. Mais en cas d’échec, il provoquerait un chaos politique et institutionnel en pleine période troublée, entre contestation sociale, crise économique et organisation des JO à Paris.

– Christophe Guilluy

La tentation de « l’homme providentiel » en cas de chaos ?

Le géographe pointe aussi le risque qu’en cas d’échec, Emmanuel Macron soit tenté de se poser en recours en jouant sur les peurs d’un pays fragmenté :

Macron croit ainsi qu’il pourrait être soit confirmé dans sa gouvernance soit rappelé pour rétablir l’ordre.

– Christophe Guilluy

Une posture « d’homme providentiel » qui ne ferait qu’accroître les tensions et la défiance envers le pouvoir en place. Christophe Guilluy y voit la marque d’un président « machiavélique » privilégiant son intérêt politique à celui du pays.

Cette dissolution surprise apparaît donc comme un énième pari très risqué d’Emmanuel Macron. Certains y verront un coup de poker d’un « joueur » habitué à bousculer la table. D’autres une fuite en avant, voire un aveu d’échec face à la colère qui monte. Une chose est sûre : loin de résorber la crise démocratique, elle pourrait au contraire précipiter le pays dans une nouvelle période de turbulences politiques. Avec le risque d’aggraver encore le divorce entre gouvernants et gouvernés.

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