Imaginez-vous partir couvrir un simple reportage sur le football, votre passion, et vous retrouver six mois plus tard face à une peine de sept ans de prison dans un pays que vous admirez. C’est exactement ce qui arrive à Christophe Gleizes, journaliste sportif français de 36 ans, dont le verdict en appel est attendu ce mercredi à Tizi Ouzou. Une journée qui pourrait tout changer.
Une affaire qui cristallise les tensions
Depuis plusieurs mois, le nom de Christophe Gleizes revient régulièrement dans les débats sur la liberté de la presse et les relations franco-algériennes. Arrêté fin mai 2024 alors qu’il préparait un article sur la Jeunesse Sportive de Kabylie, le club le plus titré d’Algérie, il a été condamné en première instance à une peine extrêmement lourde. Aujourd’hui, la cour d’appel de Tizi Ouzou doit trancher.
L’audience débutera à 9 heures locales et, selon son avocat algérien Amirouche Bakouri, le verdict sera prononcé le jour même. Une rapidité peu habituelle qui montre l’importance politique et médiatique prise par ce dossier.
Que s’est-il réellement passé ?
Tout commence par un voyage classique pour un journaliste passionné de football maghrébin. Christophe Gleizes, collaborateur régulier des magazines So Foot et Society, entre en Algérie avec un visa touristique – pratique courante pour les reporters indépendants. Son objectif ? Réaliser un grand reportage sur la JSK, club mythique basé à Tizi Ouzou, en plein cœur de la Kabylie.
Le 28 mai 2024, il est interpellé. Les autorités lui reprochent trois choses :
- Être entré avec un visa touristique alors qu’il exerçait une activité professionnelle
- Posséder des publications considérées comme nuisibles à l’intérêt national
- Et surtout : avoir été en contact avec une personne liée au MAK
Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie a été classé organisation terroriste par Alger en 2021. Or l’un des dirigeants du club de football avec qui le journaliste échangeait occupait aussi des responsabilités au sein de ce mouvement. Problème : les premiers contacts remontent à bien avant 2021, et le dernier échange de 2024 portait uniquement sur… l’organisation du reportage footballistique.
Une condamnation qui a choqué
En première instance, fin juin, Christophe Gleizes écope de sept ans de prison ferme pour « apologie du terrorisme ». Une peine d’une rare sévérité pour un journaliste étranger couvrant le sport. L’ONG Reporters sans frontières parle immédiatement d’une « méconnaissance totale du métier de journaliste ».
« Il n’a rien à faire en prison. Il n’est coupable que d’avoir exercé son métier de journaliste sportif et d’aimer le football algérien. »
Thierry Bruttin, directeur général de RSF
Cette phrase résume le sentiment de toute la profession. Car Christophe Gleizes n’a jamais caché ses échanges : ils étaient professionnels, liés au football, et antérieurs pour la plupart à la classification terroriste du MAK.
L’espoir d’un apaisement diplomatique
Ces dernières semaines, plusieurs signaux laissent penser que le climat s’améliore entre Paris et Alger. La grâce accordée le 12 novembre à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, puis sa libération, a été perçue comme un geste d’apaisement. Même si les deux dossiers sont officiellement distincts, l’avocat français Emmanuel Daoud y voit « un signal positif ».
Arrivé en Algérie pour plaider aux côtés de son confrère algérien, Me Daoud a pu s’entretenir longuement avec son client avant l’audience. Il insiste sur un point crucial à expliquer aux magistrats : un journaliste n’est pas un militant.
« Nous devons leur faire comprendre qu’un reporter ne fait pas de politique, qu’il n’est pas un idéologue, pas un activiste », explique-t-il avec pédagogie. Car c’est bien là que le bât blesse : la justice algérienne semble avoir confondu contacts professionnels et soutien politique.
Un procès sous haute tension
Mercredi matin, la petite salle d’audience de Tizi Ouzou sera sous pression. D’un côté, les soutiens du journaliste : avocats français et algérien, famille, ONG internationales. De l’autre, une justice algérienne qui défend sa souveraineté face à ce qu’elle perçoit comme une ingérence.
Emmanuel Daoud prend d’ailleurs soin de répéter son « respect » pour l’indépendance de la justice algérienne, refusant le terme d’« otage » parfois employé en France. Il rappelle que son client a pu recevoir des visites, consulter son dossier, bénéficier d’avocats – des droits qui ne sont pas toujours accordés dans ce type d’affaires.
Malgré tout, la peine de première instance reste un choc. Sept ans pour des échanges WhatsApp liés à un reportage footballistique, c’est du jamais-vu.
La Kabylie, terre de football et de passions politiques
Pour comprendre l’affaire, il faut replonger dans l’histoire complexe de la Kabylie. Région berbère fière de son identité, elle a toujours entretenu un rapport particulier avec le pouvoir central algérois. La Jeunesse Sportive de Kabylie n’est pas qu’un club de football : c’est un symbole régional, presque une institution nationale kabyle.
Quand Christophe Gleizes choisit ce sujet, il touche sans le savoir à un nerf sensible. Certains dirigeants du club ont effectivement des liens anciens avec le MAK. Mais pour un journaliste spécialisé, contacter ces personnalités fait partie du travail de terrain normal.
Le drame, c’est que le timing joue contre lui : son voyage intervient trois ans après la classification terroriste du mouvement. Même si ses échanges les plus anciens datent d’avant, un seul message en 2024 suffit à déclencher l’accusation.
Quelles issues possibles ce mercredi ?
- L’acquittement pur et simple – scénario rêvé par la défense, qui prouverait la compréhension par la cour d’appel du métier de journaliste
- Une réduction de peine – avec libération immédiate pour le temps déjà effectué en détention provisoire
- Le maintien de la condamnation – hypothèse la plus crainte, qui plongerait le journaliste dans une incertitude totale
- Une peine avec sursis – compromis souvent utilisé dans les affaires sensibles à dimension internationale
Toutes les options restent ouvertes. La rapidité annoncée du délibéré – même jour – laisse penser que la décision est déjà largement mûrie.
Un précédent lourd de conséquences
Au-delà du sort personnel de Christophe Gleizes, c’est tout le journalisme international en Algérie qui retient son souffle. Si la lourde peine est confirmée, le message sera clair : tout contact, même ancien, avec une personne liée au MAK peut valoir des années de prison à un reporter étranger.
À l’inverse, un acquittement ou une forte réduction de peine serait perçu comme un signe d’ouverture, au moment où Alger et Paris cherchent à normaliser leurs relations après des années de crispation.
Le football, passion commune aux deux pays, pourrait paradoxalement jouer un rôle dans ce dénouement. Car c’est bien l’amour du ballon rond algérien qui a conduit Christophe Gleizes en Kabylie… et en prison.
Ce mercredi, une page se tourne. Quelle qu’en soit l’issue, l’histoire de ce journaliste sportif devenu symbole malgré lui restera dans les annales de la liberté de la presse.
À l’heure où vous lisez ces lignes, le verdict a peut-être déjà été prononcé. Christophe Gleizes sera-t-il libre ce soir ? Ou devra-t-il passer encore de longs mois loin des stades et de ses proches ? Une chose est sûre : son histoire nous rappelle brutalement que le métier de journaliste reste l’un des plus exposés au monde.
Nous resterons évidemment mobilisés pour vous tenir informés minute par minute de l’évolution de cette affaire hors norme.









