Imaginez la scène : à moins d’une semaine de l’arrivée d’Emmanuel Macron à Pékin, le téléphone sonne au Palais de l’Élysée. À l’autre bout du fil, Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, ne perd pas de temps en politesses excessives. Son message est direct : la France doit devenir le fer de lance d’une Europe plus conciliante avec la Chine. Nous sommes le 28 novembre 2025, et la diplomatie mondiale retient son souffle avant une visite d’État qui s’annonce électrique.
Un appel téléphonique qui fixe les lignes rouges avant le sommet
Jeudi dernier, Wang Yi s’est entretenu avec Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du président français. L’échange, révélé par le ministère chinois des Affaires étrangères, n’a duré que quelques minutes, mais chaque phrase portait.
Le chef de la diplomatie chinoise a exprimé l’espoir que Paris « encourage l’Union européenne à adopter une politique positive et rationnelle à l’égard de la Chine » et « promeuve un développement sain des relations sino-européennes sur la bonne voie ». En langage diplomatique, cela signifie : stoppez la dérisking agressif, les enquêtes anti-dumping tous azimuts et les discours sur l’autonomie stratégique qui nous dérangent profondément.
Dans le même temps, Wang Yi a rappelé avec insistance le principe d’une seule Chine, selon lequel Taïwan fait partie intégrante du territoire chinois – un point non négociable pour Pékin. Ce rappel n’est pas anodin : il intervient dans un contexte de crispation extrême en Asie-Asie.
Le contexte régional qui rend l’avertissement chinois explosif
Quelques jours plus tôt, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi avait déclaré que Tokyo « n’excluait pas » une intervention militaire en cas d’attaque contre Taïwan. Des propos jugés « provocateurs » par Pékin, qui y voit une ingérence inacceptable dans ses affaires intérieures.
Wang Yi a donc profité de son échange avec Emmanuel Bonne pour demander à la France et à la Chine de « se soutenir mutuellement de manière ferme sur les questions touchant à leurs intérêts fondamentaux ». Traduction : Paris doit calmer le jeu sur Taïwan si elle veut que Pékin reste coopératif sur l’Ukraine, le climat ou le commerce.
Ce n’est pas la première fois que la France agace Pékin sur ce dossier. En mai 2025, Emmanuel Macron avait établi un parallèle entre la situation en mer de Chine méridionale et la guerre en Ukraine, laissant entendre que laisser la Russie annexer des territoires créerait un précédent dangereux pour Taïwan. Des mots qui avaient provoqué une vive réaction chinoise à l’époque.
Macron à Pékin du 3 au 5 décembre : un agenda sous haute tension
La visite d’État du président français en Chine, prévue du 3 au 5 décembre 2025, sera la troisième depuis 2018, arrive à un moment particulièrement délicat.
- La guerre en Ukraine continue de fracturer les relations Est-Ouest
- Les tensions autour de Taïwan n’ont jamais été aussi vives depuis 1996
- L’Union européenne durcit sa politique de « dérisquage » vis-à-vis de la Chine
- La France prendra la présidence du G7 en 2026, ce qui lui donne un poids supplémentaire
Emmanuel Macron rencontrera Xi Jinping et devrait aborder les grands dossiers économiques et commerciaux, mais aussi climatiques. Mais l’ombre de Taïwan planera inévitablement sur les discussions.
« La situation internationale connaît des turbulences et des changements constants », a observé Wang Yi lors de son appel, appelant à « renforcer la coopération sino-française ».
Derrière la formule convenue, on lit clairement l’inquiétude chinoise face à une Europe qui se rapproche des États-Unis sur les questions stratégiques tout en maintenant des liens économiques massifs avec la Chine – premier partenaire commercial de l’Allemagne, deuxième de la France.
Pourquoi la France est-elle si courtisée (et surveillée) par Pékin ?
Paris occupe une place particulière dans la diplomatie chinoise pour plusieurs raisons :
- Son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU
- Son rôle central au sein de l’Union européenne
- Sa tradition gaullienne d’« indépendance » vis-à-vis de Washington
- Ses investissements massifs en Chine (plus de 200 entreprises du CAC 40 y sont implantées)
- Son influence culturelle et diplomatique en Indo-Pacifique via ses territoires ultramarins
Mais cette position est à double tranchant. Plus la France pèse, plus Pékin attend d’elle qu’elle contrebalance l’influence américaine en Europe et défende une vision « multipolaire » du monde… alignée sur les intérêts chinois.
Lorsque Paris critique les pratiques commerciales chinoises ou s’inquiète publiquement pour Taïwan, Pékin le vit comme une trahison personnelle.
Les sujets qui fâchent et ceux qui rapprochent
Plusieurs dossiers risquent de tendre l’atmosphère lors de la visite :
| Dossier | Position française | Réaction chinoise attendue |
| Taïwan | Critiques occasionnelles | Extrêmement sensible |
| Mer de Chine méridionale | Soutien liberté navigation | Considérée comme zone chinoise |
| Dérisquage européen | Soutenu par Paris | Vu comme containment |
| Ukraine | Soutien total à Kiev | Pékin reste neutre pro-russe |
| Climat | Coopération active | Point positif majeur |
Malgré ces divergences, la Chine reste le deuxième partenaire commercial de la France en Asie, et les investissements croisés sont colossaux. Airbus, LVMH, TotalÉnergies, Sanofi… des pans entiers de l’économie française dépendent du marché chinois.
Pékin sait jouer de cette interdépendance. En 2019, lors de la précédente visite de Xi Jinping à Paris, plus de 30 milliards d’euros de contrats avaient été signés en une soirée. Un record.
Que peut-on attendre de cette visite des 3-5 décembre ?
Trois scénarios se dessinent :
- Le scénario de la détente
Macron réaffirme le « partenariat stratégique global » franco-chinois, annonce de gros contrats, communiqué final apaisé sur Taïwan. - Le scénario de la confrontation polie
Divergences affichées sur Taïwan et l’Ukraine, mais maintien du dialogue. - Le scénario du statu quo tendu
Aucun progrès notable, simple photo opportunité pour les caméras.
Le plus probable ? Un mélange du 1 et 2 : des annonces économiques pour sauver la face, et des divergences assumées sur les principes.
Car au-delà des sourires de circonstance, un message clair a déjà été envoyé par Wang Yi : la Chine attend de la France qu’elle choisisse son camp dans la nouvelle guerre froide qui s’installe entre Washington et Pékin. Et ce choix, Paris le repousse depuis 20 ans avec talent… mais il devient de plus en plus difficile à tenir.
La visite d’Emmanuel Macron à Pékin s’annonce comme l’un des moments diplomatiques les plus scrutés de cette fin d’année 2025. Entre realpolitik et principes, la France va devoir marcher sur une corde raide tendue par Pékin.
Une chose est sûre : dans le grand jeu géopolitique du XXIe siècle, plus personne n’a le luxe de l’équidistance parfaite.









