Imaginez un pays d’Amérique latine où l’immigration et la sécurité sont devenues les deux obsessions majeures des électeurs. Un pays qui, il y a encore dix ans, passait pour l’un des plus stables et des plus sûrs du continent. Ce pays, c’est le Chili, et dans dix jours exactement il pourrait élire son premier président d’extrême droite depuis la fin de la dictature Pinochet.
Un débat radio décisif à quelques jours du scrutin
Mercredi soir, les deux finalistes de l’élection présidentielle chilienne se sont affrontés lors de l’avant-dernier grand débat, diffusé cette fois à la radio. D’un côté José Antonio Kast, 59 ans, leader ultraconservateur crédité de 55 à 60 % des intentions de vote. De l’autre Jeannette Jara, 51 ans, candidate communiste modérée portée par la large coalition de gauche et de centre-gauche qui soutient le président sortant Gabriel Boric.
Le ton était électrique, le sujet central prévisible : l’immigration irrégulière et son lien supposé avec la montée de la criminalité. Deux visions du monde se sont violemment opposées, mais un détail a particulièrement retenu l’attention.
Kast recadre sa promesse d’expulsions massives
Jusqu’à présent, le candidat d’extrême droite martelait qu’il expulserait en masse les migrants en situation irrégulière, y compris des familles entières. Des déclarations qui ont fait bondir une partie de l’opinion et les pays voisins.
Mais mercredi, José Antonio Kast a tenu à préciser un point crucial : non, il n’y aura pas de grandes descentes de police spectaculaires dans les quartiers, pas de scènes choc comme celles qu’on a vues aux États-Unis sous Donald Trump avec l’ICE.
« Nous ne parlons pas de raids comme ceux de l’ICE »
José Antonio Kast, débat radio
Il a répété son calendrier : les personnes en situation irrégulière disposeront de 98 jours pour quitter le territoire de leur plein gré à compter de son éventuelle investiture, prévue le 11 mars prochain. Passé ce délai, celles qui seront identifiées seront expulsées « de manière ordonnée ».
337 000 sans-papiers, surtout des Vénézuéliens
Le chiffre officiel fait froid dans le dos : environ 337 000 personnes vivent aujourd’hui au Chili sans titre de séjour régulier. L’immense majorité sont des Vénézuéliens ayant fui la crise économique et politique de leur pays.
Ces dernières années, le Chili est passé du statut de pays d’émigration à celui de pays d’accueil massif. Résultat : une pression inédite sur les services publics et, surtout, une perception d’insécurité grandissante chez une partie de la population.
Les homicides ont augmenté, tout comme les enlèvements express. Même si le Chili reste statistiquement l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, le sentiment d’insécurité explose. Et beaucoup d’électeurs font le lien direct avec l’arrivée massive de migrants.
Jara accuse Kast d’instrumentaliser la peur
Jeannette Jara n’a pas mâché ses mots. Pour elle, son adversaire utilise sciemment le thème migratoire à des fins électoralistes.
« Sur ce sujet, il faut être responsable »
Jeannette Jara
Elle reproche à Kast d’avoir créé des tensions inutiles avec les pays voisins et d’avoir alimenté la xénophobie ambiante. Elle promet, si elle est élue, de ne régulariser aucun migrant clandestin mais de renforcer les contrôles aux frontières et de créer un recensement exhaustif pour repérer ceux qui ont un casier judiciaire.
Des divergences aussi sur les questions sociétales
Au-delà de l’immigration, les deux candidats ont marqué leur opposition sur plusieurs dossiers brûlants. L’euthanasie, tout d’abord : un projet de loi est en cours d’examen au Congrès. Kast s’y oppose fermement opposé ; Jara se montre plus ouverte.
Autre sujet explosif : la réduction du temps de travail. Quand elle était ministre du Travail dans le gouvernement Boric, Jeannette Jara a porté et fait adopter la baisse progressive de la semaine légale de 45 à 40 heures – une mesure que Kast promet d’abroger s’il arrive au pouvoir.
À retenir
• Second tour le 14 décembre
• Kast crédité de 55 à 60 %
• 337 000 migrants irréguliers
• Pas de raids spectaculaires promis
• Expulsions après un délai de 98 jours
Un possible tournant historique
S’il l’emporte, José Antonio Kast deviendrait le premier chef d’État d’extrême droite élu démocratiquement au Chili depuis la chute de Pinochet en 1990. Un symbole fort pour un pays qui a longtemps tourné la page de la dictature, mais où une partie de l’électorat semble prête à redonner sa chance à des recettes autoritaires face à l’insécurité.
Le 14 décembre, les Chiliens auront donc le choix entre deux visions radicalement opposées : celle d’une gauche modérée qui veut corriger le tir sans rompre avec l’héritage Boric, et celle d’une droite ultra qui promet l’ordre et le retour à une souveraineté stricte sur les frontières.
Une chose est sûre : rarement une élection n’aura autant polarisé le pays. Et rarement le thème de l’immigration n’aura autant dominé une campagne présidentielle en Amérique latine.
Dans dix jours, le Chili saura s’il bascule à l’extrême droite… ou s’il choisit la continuité à gauche. En attendant, la tension est à Santiago est à son comble.









