Les fantômes du génocide rwandais hantent toujours les prétoires. Ce lundi, le tribunal correctionnel de Paris a rendu un verdict retentissant dans l’affaire Charles Onana, cet auteur franco-camerounais qui avait publié en 2019 un livre intitulé « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent ». Un ouvrage qui lui a valu, ainsi qu’à son éditeur Damien Serieyx des Editions du Toucan, d’être accusés de « complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité ».
Au cœur de la polémique, une vingtaine de passages jugés négationnistes, où l’auteur affirmait notamment que « le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! » et qualifiait la thèse d’un génocide planifié par le régime hutu d' »une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». Des propos choquants qui ont poussé plusieurs associations de défense des droits humains, dont Survie, la Ligue des droits de l’Homme et la Fédération internationale des droits humains, à porter plainte en 2020.
Une décision historique et symbolique
Après un procès tendu et médiatisé, la justice a donc tranché. Charles Onana a été reconnu coupable et condamné à une amende de 8400 euros. Son éditeur Damien Serieyx écope quant à lui d’une amende de 5000 euros. Les deux hommes devront en outre verser un total de 11000 euros de dommages et intérêts aux associations parties civiles.
Au-delà des sanctions financières, c’est un véritable camouflet pour Charles Onana, qui se présentait comme un « politologue » et un « journaliste » dévoilant une vérité occultée. Son procès aura surtout permis de réaffirmer avec force la réalité historique du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, un génocide qui fit environ 800 000 morts selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité Tutsi mais aussi parmi les Hutu modérés.
Un procès nécessaire pour combattre le négationnisme et honorer la mémoire des victimes
Une loi pour sanctionner le négationnisme
Ce procès revêtait aussi une dimension juridique importante. Il s’agissait en effet de l’une des premières applications de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Ce texte a étendu le délit de contestation de crime contre l’humanité, jusque-là réservé à la Shoah, à tous les génocides reconnus par la France. Une avancée significative dans la lutte contre le négationnisme.
Comme l’a souligné le tribunal dans sa décision, nier, minorer ou banaliser de façon outrancière un génocide constitue désormais un délit, passible de sanctions pénales. Un avertissement clair adressé à tous ceux qui seraient tentés de réécrire l’Histoire au mépris des faits établis et de la souffrance des victimes.
Les zones d’ombre de l’opération Turquoise
Pour autant, si la condamnation de Charles Onana est incontestable sur le plan moral et juridique, son livre posait malgré tout certaines questions légitimes. En se penchant sur l’opération Turquoise, cette intervention militaro-humanitaire française controversée pendant le génocide, l’auteur entendait interroger le rôle ambigu de la France au Rwanda.
Même si ses thèses ont largement dépassé les limites de l’acceptable, il n’en demeure pas moins que l’attitude de Paris pendant ces heures sombres mérite un examen critique et sans complaisance. Les zones d’ombre demeurent nombreuses et la France peine encore à faire toute la lumière sur son action, tiraillée entre compassion et realpolitik.
Un devoir de vérité et de mémoire
Au final, ce procès aura été celui de la vérité historique face aux dérives négationnistes. En sanctionnant Charles Onana, la justice a rappelé avec force l’importance de protéger la mémoire des victimes et la dignité des rescapés. Car derrière les polémiques et les postures, il y a d’abord l’immense douleur d’un peuple meurtri, les cicatrices à jamais ouvertes de ceux qui ont vu l’horreur et l’inimaginable.
Trente ans après, le génocide des Tutsi continue de hanter le Rwanda et de questionner le monde sur sa capacité à prévenir l’impensable. Le combat pour la vérité et contre l’oubli est un devoir sacré, celui de toutes les consciences éprises de justice et d’humanité. En refusant toute concession au négationnisme, aussi subtil soit-il, le tribunal a rendu un jugement salutaire. Pour qu’enfin l’Histoire soit entendue et respectée.