Moins d’un an après leur dernière grande mobilisation, les agriculteurs français sont à nouveau dans la rue pour faire entendre leur colère et leurs revendications. Au cœur des tensions, un accord de libre-échange controversé entre l’Union européenne et les pays du Mercosur qui cristallise les inquiétudes d’une profession en crise. Face à ce qu’ils considèrent comme une menace existentielle, certains syndicats n’hésitent plus à hausser le ton et à menacer de “provoquer le chaos”.
Une colère qui ne faiblit pas
Malgré les promesses et les avancées obtenues l’an dernier, les agriculteurs estiment que leurs revendications n’ont pas été suffisamment entendues. La perspective d’une ratification prochaine de l’accord de libre-échange avec le Mercosur a ravivé les braises d’un mécontentement qui couvait sous la cendre. Pour beaucoup, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’un malaise plus profond :
On en a ras-le-bol des promesses non tenues et des discours creux. Il nous faut des actes, pas du blabla !
un agriculteur en colère
Normes jugées excessives, concurrence déloyale, revenus en berne… Les maux dénoncés dans les manifs sont nombreux et révèlent le profond malaise d’une profession qui se sent abandonnée et sacrifiée sur l’autel du libre-échange.
Le Mercosur, l’accord de trop
Mais c’est bien l’accord UE-Mercosur qui cristallise toutes les colères. Négocié depuis plus de 20 ans, ce traité commercial ouvrirait la porte des marchés européens, à droits de douane réduits, à de grandes quantités de produits agricoles sud-américains, notamment la viande bovine. De quoi faire frémir les éleveurs français, déjà en grande difficulté :
Le Mercosur, c’est la mort de l’élevage français et européen. On ne peut pas lutter à armes égales face aux géants de l’agrobusiness qui n’ont aucune contrainte environnementale ou sanitaire !
un éleveur
Face à ce qu’ils perçoivent comme une menace directe contre leur survie, les agriculteurs français font front commun pour demander le rejet pur et simple de cet accord. Une position largement partagée par la classe politique nationale, de gauche à droite :
La France aura un bras de fer aussi longtemps que nécessaire avec la Commission européenne pour s’opposer au traité.
le gouvernement français
Paris peut notamment compter sur le soutien de Rome dans ce combat. Mais d’autres voix discordantes se font entendre en Europe, à l’image du chancelier allemand Olaf Scholz qui a réaffirmé sa volonté de boucler rapidement cet accord. De quoi jeter de l’huile sur le feu d’une colère qui ne demande qu’à s’embraser.
Actions coup de poing et menaces
Pour tenter de désamorcer la crise, le gouvernement français a annoncé la tenue d’un débat suivi d’un vote sur le Mercosur le 26 novembre à l’Assemblée nationale. Une “première victoire” saluée comme telle par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, les deux syndicats majoritaires.
Nous avançons enfin dans le bon sens. […] Rien n’est gagné, nous ne sommes pas naïfs, mais la mobilisation continue.
Arnaud Rousseau, président de la FNSEA
Contrairement à l’an dernier, l’alliance FNSEA-JA privilégie pour l’instant des actions symboliques pour “ne pas ennuyer les Français”. Mais d’autres syndicats, comme la Coordination rurale, n’hésitent pas à franchir un cran supplémentaire dans la radicalité.
Depuis plusieurs jours, ses militants multiplient les actions coup de poing : barrage filtrant sur l’autoroute A9 près de la frontière espagnole, contrôles de camions, menace de bloquer raffineries et centrales d’achats… Leur objectif affiché : “provoquer un chaos et une pénurie alimentaire” pour faire plier le gouvernement.
On va bloquer l’A9, mais aussi les dépôts de carburants, les ports, les centrales d’achat. […] À un moment donné, ils vont vouloir nous virer. S’ils ne le font pas de la bonne manière, on brûlera tout !
Serge Bousquet-Cassagne, responsable de la Coordination rurale
Jusqu’où ira la colère des agriculteurs ?
Bien décidés à en découdre, les agriculteurs les plus remontés semblent prêts à aller très loin pour défendre ce qu’ils estiment être leur survie. Si un responsable syndical a publiquement brandi la menace de “brûler tout”, certains n’hésitent pas, en privé, à évoquer d’éventuelles actions commando contre des cibles institutionnelles ou commerciales.
Une escalade dans la violence qui inquiète en haut lieu, d’autant que le mouvement semble en partie noyauté par des éléments radicaux proches de l’extrême droite, à l’image de Serge Bousquet-Cassagne qui affiche régulièrement son soutien au Rassemblement national.
Face à cette colère qui menace de dégénérer, le gouvernement se retrouve sur une ligne de crête périlleuse. Tiraillé entre la nécessité de rassurer une profession en souffrance et la volonté de ne pas se laisser déborder par des actions violentes, l’exécutif marche sur des œufs.
Signe d’une tension qui monte, les forces de l’ordre ont été déployées en nombre pour contenir les débordements, notamment aux abords des points de blocage. Mais si le Premier ministre a promis “la plus grande fermeté face aux violences”, il sait aussi que la partie se joue sur le fil du rasoir, tant le fossé de défiance s’est creusé entre le monde agricole et les pouvoirs publics.
Il faut répondre aux inquiétudes légitimes des agriculteurs en ouvrant de vraies discussions sur l’avenir de notre modèle agricole et alimentaire. Mais cela ne peut pas se faire sous la menace ou par la violence. Chacun doit prendre ses responsabilités.
une source gouvernementale
Une chose est sûre : sans dialogue constructif et engagements fermes, le torchon risque de continuer à brûler entre le gouvernement et des agriculteurs à bout, prêts à tout pour sauver leur peau. Avec, en ligne de mire, la menace d’une déflagration sociale aux conséquences imprévisibles.