ActualitésSociété

Chambéry : Il Voulait Tuer des « Mécréants » et Sort Libre

Un homme de 30 ans, converti à l’islam et schizophrène, déclare vouloir « tuer des mécréants jusqu’au dernier » et cible explicitement des Juifs. Interpellé par le RAID, il ressort libre du tribunal. Le parquet réclamait l’enfermement… Pourquoi a-t-il été relâché ?

Imaginez-vous dans votre voiture, un micro caché par la police qui enregistre chacune de vos paroles. Et soudain, vous déclarez calmement vouloir « tuer des mécréants jusqu’au dernier ». À Aix-les-Bains, « il y en a plein ». Des Juifs aussi, précise l’intéressé. Ce n’est pas une scène de film. C’est ce qui s’est passé en septembre dernier à Chambéry.

Quand la psychiatrie désarme la justice antiterroriste

Cette affaire cristallise, une fois de plus, le dilemme infernal auquel sont confrontés les magistrats français : comment protéger la société quand un individu profère des menaces terroristes claires… mais que deux experts psychiatres concluent à l’abolition totale du discernement ?

Le protagoniste s’appelle Lakdar, 30 ans, converti à l’islam depuis huit ans. Il sort tout juste du centre hospitalier spécialisé de Bassens où il était suivi pour une schizophrénie. Il a arrêté son traitement. Il est en phase maniaque. Et il parle. Beaucoup.

Les écoutes qui glacent le sang

Les enquêteurs, qui avaient sonorisé un véhicule dans une tout autre affaire, tombent des nues. Les mots sont crus, répétés, structurés. « Tuer des mécréants », « les assassiner jusqu’au dernier », « à Aix-les-Bains il y en a plein ». Le ton est déterminé. L’intention semble réelle.

Le RAID est dépêché. L’interpellation est musclée, à la hauteur de la menace perçue. On imagine déjà la suite classique : comparution immédiate, inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), hospitalisation d’office longue durée.

Et pourtant… rien de tout cela.

À l’audience : entre déni et slogan politique

Devant le tribunal, Lakdar minimise. « Je ne suis pas contre tous les Juifs, juste ceux qui tuent des enfants, on sait tous ce qui se passe en Palestine ». Puis, coupant le procureur dans ses réquisitions : « Vive la Palestine libre ! »

« Je suis pas dangereux, je veux tuer personne »

Lakdar, à la barre

Ces mots sonnent comme un défi. Le procureur Xavier Sicot, lui, n’y voit aucune remise en question. Il requiert l’hospitalisation complète en unité pour malades difficiles et l’inscription au Fijait. Mesure rarissime, signe de la gravité perçue.

Mais les deux expertises psychiatriques sont formelles : discernement aboli au moment des faits. L’un des experts note tout de même que le prévenu ne critique absolument pas la dimension délirante de ses propos. Traduction : il y croit encore.

Le tribunal tranche : la liberté plutôt que la sécurité

Le délibéré tombe comme un couperet… dans l’autre sens. Le tribunal ne suit pas le parquet. Pas d’hospitalisation forcée. Pas d’inscription au fichier terroriste. Lakdar ressort libre. Exactement comme il était entré.

La décision repose sur un principe juridique ancien : pas de responsabilité, pas de peine. L’article 122-1 du Code pénal est clair : une personne dont le discernement était aboli au moment des faits est pénalement irresponsables. Point.

Mais dans le contexte terroriste actuel, cette règle vieille de deux siècles montre ses limites béantes.

Un précédent parmi des centaines

Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Depuis 2015, des dizaines de dossiers similaires ont défrayé la chronique :

  • Des individus radicalisés déclarés irresponsables pour schizophrénie ou troubles bipolaires
  • Des projets d’attentat avortés uniquement grâce à l’intervention policière
  • Des sorties sèches d’hôpital psychiatrique suivies de passages à l’acte (Sarah Halimi, Kobili Traoré…)
  • Des familles de victimes qui crient leur incompréhension face à l’absence de sanction

Chaque fois le même scénario : la psychiatrie l’emporte sur la sécurité publique. Chaque fois le même sentiment d’impuissance.

La dangerosité réelle existe-t-elle encore en droit français ?

Depuis la loi de 2021 sur la sécurité globale, il existe pourtant un outil : l’hospitalisation sans consentement même en cas d’irresponsabilité pénale, si la dangerosité est avérée. Mais son application reste extrêmement rare. Les juges préfèrent souvent s’en tenir au strict cadre pénal classique.

Résultat : un individu qui vient de proférer des menaces de mort explicites, qui cible une communauté religieuse, qui interrompt le procureur par un slogan politique, se retrouve dans la nature. Sans suivi renforcé. Sans inscription au fichier qui permettrait un contrôle minimal.

Et demain ? S’il reprend ses médicaments, il ira mieux. S’il les arrête à nouveau, qui sait…

La schizophrénie n’efface pas toujours la responsabilité idéologique

Ce qui trouble particulièrement dans ce dossier, c’est la cohérence idéologique des propos. Les menaces ne sont pas décousues ou purement délirantes (« les martiens m’attaquent »). Elles s’inscrivent dans un discours antisémite et djihadiste structuré, répandu sur Internet et dans certains milieux radicaux.

Le « on sait tous ce qui se passe en Palestine » n’est pas une hallucination. C’est une rhétorique politique connue. Le « vive la Palestine libre » en plein tribunal non plus. La maladie mentale amplifie-t-elle une idéologie préexistante ? Ou l’idéologie alimente-t-elle le délire ? Les experts ne tranchent pas toujours.

Et c’est là tout le problème : la frontière entre folie et fanatisme devient poreuse. Et la société paie le prix de cette porosité.

Vers une réforme indispensable ?

Plusieurs voix s’élèvent depuis des années pour demander une évolution législative :

  • Création d’unités spécialisées mixtes (sécurité + psychiatrie) pour les profils terroristes irresponsables
  • Inscription systématique au Fijait dès la menace caractérisée, même en cas d’irresponsabilité
  • Possibilité de mesures de sûreté renforcées indépendamment de la peine
  • Responsabilité pénale partielle pour les cas où le discernement est seulement altéré

Mais pour l’instant, rien ne bouge. Ou si peu.

En attendant, Lakdar marche dans les rues de Chambéry. Libre. Peut-être soigné. Peut-être pas. Et la question demeure, lancinante : jusqu’à quand accepterons-nous que la protection d’un individu, même malade, prime systématiquement sur celle de toute une société ?

Car derrière les grands principes, il y a des vies humaines. Des enfants qui vont à l’école juive. Des passants anonymes qualifiés de « mécréants ». Des familles qui se demandent si, demain, leur tour viendra.

La justice a rendu sa décision. Reste à savoir si la société acceptera longtemps de vivre avec.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.