Imaginez la scène : un vendredi soir à Jérusalem, à la veille du shabbat. Les bureaux gouvernementaux se vident, chacun s’apprêtant à rejoindre les siens pour ce jour de repos hebdomadaire si cher au cœur des juifs pratiquants. Pourtant, dans les couloirs du pouvoir, le téléphone sonne. Au bout du fil, un homme pressé, déterminé à bousculer les règles pour arriver à ses fins : Steve Witkoff, émissaire spécial de Donald Trump, bien décidé à arracher un accord de cessez-le-feu à Gaza.
Une négociation au pas de charge
Witkoff, promoteur immobilier new yorkais proche de Trump, n’a que faire des usages diplomatiques. Son seul objectif : obtenir un accord avant l’investiture de son patron, quitte à contraindre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à négocier pendant le shabbat. Une entorse au protocole qui en dit long sur la détermination de cet émissaire atypique, décrit par un diplomate israélien comme « un homme d’affaires qui veut parvenir à un accord rapidement et qui avance de manière inhabituellement agressive. »
Ce n’est pas un diplomate. Il ne parle pas comme un diplomate, il ne s’intéresse pas aux manières diplomatiques et aux protocoles diplomatiques.
– Un haut diplomate israélien à propos de Steve Witkoff
Face à cette pression, Netanyahou finira par céder, acceptant une rencontre le samedi après-midi. Un geste fort, quand on connaît l’attachement du Premier ministre au respect du shabbat. Mais c’était sans compter sur la ténacité de l’équipe Trump, bien décidée à remporter cette dernière victoire diplomatique avant de passer la main.
Trump et Biden se disputent la paternité de l’accord
Quelques heures plus tard, le cessez-le-feu tant attendu est annoncé. Une « trêve épique » dont Trump s’empresse de revendiquer la paternité, y voyant le fruit de sa « victoire historique en novembre ». Pourtant, dans le camp démocrate, on affirme au contraire qu’il s’agit de l’aboutissement de longs mois d’efforts de l’administration Biden. Deux lectures pour un même évènement, reflet des tensions qui entourent cette passation de pouvoir hors normes.
Le rôle clé de la diplomatie américaine
Au-delà de ces querelles, une chose est sûre : sans l’implication américaine, et le coup de pression final de Witkoff, difficile d’imaginer que cet accord aurait pu voir le jour. Un constat qui illustre une fois de plus le rôle central des États-Unis dans le processus de paix au Moyen-Orient. Quitte à bousculer les habitudes et les susceptibilités, Washington reste un acteur incontournable lorsqu’il s’agit de rapprocher Israéliens et Palestiniens.
Cet accord de cessez-le-feu ÉPIQUE n’a pu se produire qu’à la suite de notre victoire historique en novembre!
– Donald Trump
Gaza, un champ de ruines après 15 mois de guerre
Reste maintenant à mesurer les conséquences de cet accord sur le terrain. Après plus de 15 mois d’une guerre dévastatrice, qui aurait fait 46 000 morts côté palestinien selon certaines estimations, Gaza n’est plus qu’un champ de ruines. Les besoins humanitaires y sont immenses, de l’accès à l’eau et à la nourriture à la reconstruction des infrastructures en passant par la relance de l’économie. Autant de défis titanesques, qui nécessiteront une mobilisation de longue haleine de la communauté internationale.
Surtout, si l’accord permet d’espérer un retour au calme, il est loin de régler la question palestinienne sur le fond. Le statut de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés, la colonisation… Autant de dossiers explosifs qui attendent toujours une solution politique. Et qui risquent, si rien n’est fait, de conduire à de nouveaux cycles de violences dans les années à venir.
Le Hamas, affaibli mais toujours debout
Autre inconnue : l’avenir du Hamas, cible principale de l’offensive israélienne. Si le mouvement islamiste a été durement touché, il n’en reste pas moins influent, notamment à Gaza où il contrôle toujours le terrain. Sa capacité à rebondir et à peser dans un éventuel processus de paix sera un facteur clé des prochains mois.
Nous sommes prêts à tout quitter pour repeupler ces terres.
– Un colon d’Evyatar
Enfin, la question des colonies reste un point de crispation majeur. Loin de se résoudre à un retrait, certains Israéliens rêvent au contraire d’étendre la colonisation à Gaza, rallumant les braises du conflit. Une perspective inquiétante, alors même que l’ONU dénonce une « annexion rampante » des territoires palestiniens.
Une paix fragile, un avenir incertain
Le cessez-le-feu arraché ce samedi à Jérusalem ouvre donc une fenêtre d’opportunité, un fragile espoir de désescalade après des mois d’une guerre meurtrière. Mais les défis restent immenses pour bâtir une paix durable, entre urgence humanitaire à Gaza, persistent des tensions et avenir politique toujours en suspens. Il faudra plus que quelques coups de pression diplomatiques pour venir à bout de l’un des conflits les plus inextricables de notre temps. L’histoire retiendra néanmoins ce coup de force de l’émissaire de Trump, prêt à bousculer tous les codes pour arracher un accord in extremis. Quitte à contraindre un Premier ministre israélien à transgresser le shabbat.